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«La France a besoin d’un État stratège, pas d’un État brancardier!»

«Ce mal résulte d’un choix fait depuis les années 1970-1980, de laisser partir un à un les attributs de l’État stratège à la française». BERTRAND GUAY/AFP

FIGAROVOX/TRIBUNE - La crise du Covid a révélé l’omniprésence et l’impuissance de l’administration, analyse le groupe de haut-fonctionnaires du Projet Vauban. Selon eux, il est urgent de procéder à une réforme en profondeur de l’État providence.

Entrepreneurs, élus, haut-fonctionnaires, étudiants et associatifs, nous sommes quarante à engager un an avant l’élection présidentielle, le Projet Vauban pour sortir la France de la crise.


Nous pensions avoir le «meilleur système de santé au monde» mais nous sommes le seul pays du Conseil de sécurité de l’ONU à ne pas avoir son propre vaccin. Cette vérité, cette douleur, doit réveiller notre pays et l’engager dans un profond effort de réforme pour regagner sa puissance, car la crise du Covid révèle justement autant l’omniprésence que l’impuissance de l’État. La suppression de l’ENA n’y changera rien. Le problème demeure: un État tellement lourd qu’il en devient immobile.

Capable de réglementer tous les détails de notre vie et de s’endetter pour éviter l’écroulement mais inapte à soutenir la production d’un vaccin français. Sachant interdire aux gens de se promener sur des plages désertes, quitte à y envoyer les hélicoptères de la Gendarmerie, mais incapable de donner à la France un nombre suffisant de lits de réanimation.

Nous vivons sous le régime d’un État brancardier qui vous ordonne de ne pas bouger et d’attendre que les secours arrivent avant de vous emmener, «quoi qu’il en coûte», sur une civière dans un hôpital surchargé et sous-équipé.

Petit à petit, l’État stratège, joyau de notre histoire, s’est mué en un État-providence alourdi.

Ce mal résulte d’un choix fait depuis les années 1970-1980, de laisser partir un à un les attributs de l’État stratège à la française, et de le remplacer par un État-providence dont la réglementation et le taux de dépenses publiques n’ont cessé d’augmenter afin de protéger ce qui nous restait de capacités productives face à la concurrence mondiale.

Petit à petit, l’État stratège, joyau de notre histoire, s’est mué en un État-providence alourdi.

L’État français se distingue depuis longtemps par un niveau élevé de dépenses publiques, ne serait-ce que parce que le système de retraite et d’éducation sont publics, ce qui n’est généralement pas le cas à l’étranger. Là n’est donc pas en soi le problème. Le problème est que ce système s’appuyait pendant les Trente Glorieuses sur un État qui orientait l’industrie et la recherche tout en assurant une gestion publique efficace.

Or, plus la France s’est ouverte à la mondialisation, plus elle a renoncé à cet État stratège pour un État sauveteur, tout juste capable de prodiguer des premiers soins à des salariés bringuebalés d’une crise à une autre. La crise du Coronavirus n’est qu’une manifestation de plus de ce nouveau et claudiquant «modèle français». Quand d’autres pays, tels l’Allemagne ou la Suisse, ont su tirer parti du commerce mondial par un effort de modernisation, nous tentions de nous en protéger par un recours constant à la réglementation et à la dépense sociale.

La chute de notre industrie, inévitable pour un pays qui participait aux Jeux Olympiques avec un boulet fiscal au pied et le poids des normes sur le dos, a suscité un accroissement des dépenses sociales, du nombre de fonctionnaires et des normes de protection des emplois.

Plus notre pays s’est ouvert, plus notre droit du travail s’est alourdi. D’après les estimations de Robert Badinter et d’Antoine Lyon-Caen, le code du travail est passé de 600 articles en 1974 à 8 000 de nos jours (ce qui n’est pas la voie suivie par la Suisse dont le droit du travail se limite à 500 pages contre 3 000 chez nous).

Il est pourtant évident que sans industrie, sans dépense performante et sans organisation rationnelle, l’État brancardier trébuche.

De même que la dette publique s’est accrue à mesure que la France avançait dans la mondialisation. Depuis 1974, date du dernier budget à l’équilibre, elle est passée de 15 % du PIB à 120 % en 2021, traduisant un choix bien différent de l’Allemagne dont le niveau de dette publique n’est que de 80 % du PIB. Ce qui est regrettable, ce n’est pas la dépense publique en soi. Ce qui est regrettable, c’est d’avoir exposé la France à la concurrence sans la préparer ou la former et d’avoir donc dû privilégier le «sauve-qui-peut» par un État qui, faute de nous renforcer s’efforcerait de nous ramasser.

Il est pourtant évident que sans industrie, sans dépense performante et sans organisation rationnelle, l’État brancardier trébuche.

«Comment avons-nous pu laisser s’installer un tel délabrement de l’État, une telle impéritie publique?» se demandait Marcel Gauchet dans les colonnes de Marianne. L’État s’affaisse dans les crises et ne sait plus les préparer. Stocks de masques périmés, logistique défaillante, hôpitaux publics suradministrés et sous-dotés en lits de réanimation et en personnel soignant… autant de signes du déclassement de l’État.

Nous pensions avoir un État efficace mais nous avons choisi d’avoir 35 % de personnels administratifs dans les hôpitaux contre 23 % chez nos voisins. Nous pensions être à la pointe de la recherche mais le niveau des crédits publics de R&D dans la santé en France est trois fois inférieur à celui de l’Allemagne.

La vérité est que l’État brancardier est boiteux, qu’il porte un masque chirurgical fabriqué en Chine et qu’il est fatigué par le contrôle bureaucratique qu’il s’inflige à lui-même.

Un État stratège doit savoir donner des moyens aux fonctionnaires de services (personnel soignant, enseignants, chercheurs), plutôt qu’aux agents de bureau. Il n’est pas possible de préparer l’avenir quand nos chercheurs sont payés 35 % de moins que la moyenne de l’OCDE.

En d’autres termes, ce n’est pas l’État qui nous sortira de la crise, mais notre capacité à nous réconcilier avec l’idée de réforme pour bâtir l’État stratège.

Nous devons renouer avec une puissance publique d’état-major, capable de stimuler l’innovation et de planifier l’effort industriel avec un commissariat général au Plan digne de ce nom. Un État qui sache répartir les facteurs de production dans le pays avec une «délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale» (DATAR) renouvelée, qui investisse dans la recherche et sache mobiliser le stock d’épargne que la crise a permis de réunir dans un grand fonds souverain. Nous devons aussi alléger le poids des normes et la part de la dépense publique inefficace et inefficiente.

En d’autres termes, ce n’est pas l’État qui nous sortira de la crise, mais notre capacité à nous réconcilier avec l’idée de réforme pour bâtir l’État stratège.

«Transformation», «redressement»… Plutôt que ces périphrases pudiques, ayons la lucidité de nous réconcilier avec l’idée de réforme, indissociable de celle de souveraineté. La réforme ne consiste pas à appliquer en France les plans du fonds monétaire international (FMI), de Margareth Thatcher ou de Gerhard Schröder. Elle consistera à lui donner les armes dont elle a besoin dans la mondialisation en restant fidèle à son génie.

Loin d’effacer la France, cet effort de réforme est ce qu’il nous faut pour regagner en puissance, qui n’est rien d’autre que la forme réelle de la souveraineté.

«La France a besoin d’un État stratège, pas d’un État brancardier!»

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1 commentaire
  • jean-claude 95

    le

    Macron devait réformer la gouvernance, il ne s'est attaqué qu'à des problèmes subalternes, la simplification administrative n'a pas été faite, et ce qui est à craindre c'est les écolos qui vont rajouter de la complexité de gouvernance. Oui Macron a martelé qu'il allait nous protéger, ce que l'on demande d'être dirigé et non materné.

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