La génération K : des jeunes rebelles et angoissés

Les jeunes nés entre 1995 et 2002 ne vont "pas très bien", selon Noreena Hertz, qui leur a consacré une étude, publiée il y a quelques jours. Décryptage.

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Pour Noreena Hertz, les jeunes qui accèdent aujourd'hui à l'âge adulte sont profondément affectés par le climat anxiogène de l'époque. Au point de s'identifier aux héros de Hunger Games, à commencer par Katniss Everdeen, d'où son surnom de génération K.
Pour Noreena Hertz, les jeunes qui accèdent aujourd'hui à l'âge adulte sont profondément affectés par le climat anxiogène de l'époque. Au point de s'identifier aux héros de Hunger Games, à commencer par Katniss Everdeen, d'où son surnom de génération K. © Lionsgate/20th Century Fox

Temps de lecture : 6 min

Oubliez les générations X, Y et même Z... Voici venu le temps de la génération K. Comme la chercheuse britannique Noreena Hertz a surnommé la cohorte d'enfants nés au tournant du siècle dernier. Au terme d'une vaste enquête, menée au printemps auprès de 2 000 jeunes filles occidentales nées entre 1995 et 2002, l'économiste vient de publier un portrait-robot de cette génération en passe d'accéder à l'âge adulte. Autant le dire tout de suite, la photographie n'est pas franchement flatteuse. Elle révèle même des traits de caractère un peu inquiétants.

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Mais pourquoi donc avoir affublé cette génération de la lettre K ? "Tout simplement en référence à Katniss Everdeen, l'héroïne de Hunger Games, interprétée par Jennifer Lawrence au cinéma", explique l'universitaire. À l'en croire, ce personnage de "survivor", orpheline de père et fille d'une mère dépressive, ne serait pas seulement l'une des héroïnes préférées des jeunes. Elle en serait, aussi et surtout, l'emblème !

Défiance et sens du devoir

Selon l'étude de Noreena Hertz, les "vingtenaires" actuels, qui constituent ce qu'elle appelle le "dernier cru" du millénaire, seraient à l'image de Katniss Everdeen. Cette "nouvelle" génération présenterait ainsi un caractère détonnant mêlant un inextinguible désir de rébellion résultant d'une forte défiance face aux autorités à un réel sens du devoir et du sacrifice.

Ses représentants se révéleraient moins nihilistes et asociaux que leurs aînés. "Ce ne sont pas les inadaptés sociaux que l'on nous dépeint parfois dans la presse, à la communication limitée et qui préfèrent les écrans de leurs smartphones à une existence réelle", affirme l'universitaire. Biberonnés aux nouvelles technologies, les membres de la génération K sont certes "accros" à leur téléphone portable, mais adeptes de réseaux sociaux moins "technos" que leurs aînés. Facebook est déjà "has-been" à leurs yeux. Ils n'en conserveraient pas moins une psychologie versatile et un comportement zappeur, propre aux usagers des outils numériques.

Les traumas primordiaux

"Pour autant, la technologie, bien que centrale dans leur mode de vie, n'est pas le seul élément qui structure leur personnalité", analyse Noreena Hertz dans la tribune qu'elle leur a consacrée dans le New York Times le 21 avril dernier. Car deux autres facteurs ont modelé leur caractère. D'abord, la pire récession économique qu'ait connue le monde depuis des décennies. Ensuite, les dangers géopolitiques auxquels la planète est confrontée. Ces deux traumatismes auraient profondément affecté la psyché de cette génération. Les jeunes K seraient anxieux. Et pour cause !

La chercheuse en veut pour preuve une série statistique affligeante : 75 % des adolescentes américaines interrogées pensent être un jour exposées à un acte de terrorisme. 66 % estiment que le changement climatique affectera profondément leur mode de vie. 50 % des jeunes filles sondées sont préoccupées par l'armement nucléaire iranien et craignent un conflit atomique. Où qu'elle regarde, la génération K ne voit que stress et désolation.

Des pulsions suicidaires

86 % des jeunes de cette classe d'âge pensent qu'ils auront de grandes difficultés pour trouver du travail. Et 77 % redoutent de ne pas être en mesure de rembourser les dettes contractées pour financer leurs études, notamment. 22 % affirment avoir déjà songé sérieusement au suicide ! La montée de la menace terroriste islamique, l'austérité économique et les révélations conjuguées d'Edward Snowden sur la surveillance généralisée mise en place par les services de renseignements occidentaux ne sont pas des événements à même de cultiver le sens de la légèreté.

Les générations X et Y avaient connu, outre-Atlantique, l'enthousiasme de la campagne d'Obama en 2008. Une campagne dont le slogan “Yes we can” laissait poindre l'espoir de nouveaux possibles. "La suivante envisage le monde davantage comme un cauchemar de Thomas Hobbes", indique l'universitaire. L'auteur du Léviathan, connu pour ses aphorismes pessimistes (dont le plus célèbre est homo homini lupus est / "l'homme est un loup pour l'homme"), ne décrit-il pas, dans son œuvre, un monde en état de guerre permanente ?

Hunger Games comme modèle

La théorie du philosophe anglais, selon laquelle les hommes, dominés par leurs pulsions destructrices, ne peuvent pas s'entendre entre eux et doivent confier leur destinée à un tiers : ce fameux (et monstrueux) Léviathan..., semble être le motto de la génération K. Ces jeunes pourraient ainsi reprendre mot pour mot le propos hobbesien : "Tout ce qui résulte d'un temps de guerre, où tout homme est l'ennemi de tout homme, résulte aussi d'un temps où les hommes vivent sans autre sécurité que celle que leur propre force et leur propre capacité d'invention leur donneront. Dans un tel état, il n'y a aucune place pour une activité laborieuse, parce que son fruit est incertain (...), pas d'arts, pas de lettres, pas de société, et, ce qui est le pire de tout, la crainte permanente, et le danger de mort violente ; et la vie de l'homme est solitaire, indigente, dégoûtante, animale et brève."

Ce constat explique que la trilogie des Hunger Games de la romancière Suzanne Collins soit devenue le livre de chevet (et le film de référence) de cette jeunesse. Leurs grands-parents "soixante-huitards" croyaient en l'utopie d'une société fraternelle et hédoniste. Leurs petits-enfants se révèlent fans de récits dystopiques décrivant un avenir apocalyptique et bien moins enclins que leurs aïeux aux plaisirs terrestres.

Stoïciens ou désespérés ?

Les jeunes d'aujourd'hui boivent et fument ainsi moins que leurs aînés. Ils s'avèrent également plus laborieux. 45 % d'entre eux confient avoir pour priorité de se consacrer à leur travail dans les dix prochaines années même s'ils doivent y sacrifier leurs soirées. C'est par l'effort et avec un sens aigu du pragmatisme qu'ils entendent régler leurs problèmes d'anxiété. Ils savent, de fait, ne pouvoir compter que sur eux-mêmes.

À la question “En quoi croyez-vous ?” et “À quelle autorité vous fiez-vous ?”, la génération K confie ainsi une profonde aversion pour les grandes organisations. Seules 4 % des adolescentes interrogées par Noreena Hertz croient que les grandes entreprises prennent les bonnes décisions (contre 60 % des adultes). Et seule une sur dix croit en l'effet positif de l'intervention de la puissance publique. Moitié moins que la génération précédente. Toutes les institutions leur inspirent de la défiance. Les "vingtenaires" se désintéressent ainsi de la religion et affirment vouloir rompre avec les traditions. 30 % des adolescentes confient ne pas vouloir se marier. 35 % doutent d'avoir envie de faire des enfants. Les parents de ces jeunes, qui se préoccupaient du monde qu'ils laisseraient à leur progéniture, peuvent dormir tranquilles. Ils devront désormais se faire à l'idée qu'ils n'auront pas forcément de descendance.

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Commentaires (5)

  • alpen

    Les travers de cette generation K me rappellent ceux de ma generation. L'apocalypse ne me parait pas encore trop immediate.

  • greenpogney

    C’est en effet bien souvent un monde selon Hobbes avec luttes politiques et guerres. C’est comme ça depuis la fondation du monde. Ma génération a vécu dans la peur de la destruction mutuelle assurée et de la guerre d’Algérie. Les médias nous terrorisent constamment par leurs nouvelles. Ce n’est pas leur faute si l’humanité est souvent folle. Nous savons que la loi du monde est caractérisée par le conflit entre les pays et l'agressivité entre les entreprises et les être humains et par dessus tout, par cette phrase qui résume tout : "c'est l'imprévisible qui est le plus probable". C'est le célèbre effet "papillon" de la théorie du chaos où un battement d'aile de papillon à Pékin peut provoquer un léger souffle qui, de proche en proche, donnera naissance à un ouragan sur la Californie. Beaucoup plus concrètement, cela veut dire que la moindre variation politico-économique peut entraîner des effets considérables (Exemple : l'assassinat d'un archiduc à Sarajevo a déclenché la première guerre mondiale). Les scientifiques observateurs du comportement humain décrivent le monde comme un aquarium où les espèces ne se supportent pas et finissent par s’entre-dévorer : les pays totalitaires et les multinationales, espèces agressives, tentent de dévorer leurs rivaux dans le grand aquarium du monde. Bien entendu c'est une vision très pessimiste car il existe des alliances, des organisations internationales et des hommes de hautes qualités morales qui s'efforcent de maintenir la paix et la démocratie. Oui, il existe une force contraire pleine de dignité et de bienveillance qui produit des Lincoln, De Gaulle, Churchill, Gandhi, Kouchner, Emmanuelli(Xavier), Bettati( Mario), Kofi Annan, les grands patrons oblatifs et tous les généraux commandants de théâtres d’opérations extérieures, etc. Il ne faut pas oublier nos soldats de la paix qui agissent par milliers pour défendre nos patries contre le nihilisme et l'agressivité des nations.

  • guyh

    Interrogez-vous d'abord sur les meneurs de ces manifestations, ils ont connus des services de police et de renseignements, arrêtez de nous enfumer avec des comparaisons avec une certaine jeunesse américaine, sortie de l'imagination d'un scénariste de film... La violence des jeunes aux Etats-Unis n'est en rien comparable à ce que l'on voit chez-nous... Une image de la France déplorable, qui interpelle le monde entier, ces images sont diffusés en boucle sur toutes les grandes de télévision internationales, je viens de les voir sur RT. Com et CCTV chaîne chinoise, dont le cameraman a été pris à parti et son matériel arraché, on peut revoir les mêmes images sur NHK, CNN, CNBS... , accès par internet ou par satellite... Plus de 120 pays reçoivent ces belles images d'une France au bord de la révolution... !.