"Charge mentale" : le ras-le-bol des femmes

La BD "Fallait demander", qui dénonce le partage des tâches dans le couple, s'est répandue comme une traînée de poudre sur les réseaux sociaux.

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"Fallait demander" d'Emma. © Emma

Temps de lecture : 6 min

Ranger la table du salon, remplir le frigo, vider le lave-vaisselle, signer les cahiers des enfants, préparer leur sac de sport et leur goûter, déclarer le salaire de l'aide à domicile, trouver une solution de garde pour les enfants le lendemain soir… Il ne s'agit pas seulement d'effectuer ses tâches, il faut aussi y penser, les anticiper, planifier et surtout ne pas en oublier. Dans le couple, c'est une mission le plus souvent assumée par la femme. Et si, d'aventure, elle se plaint de ne pas avoir reçu d'aide pour lancer une lessive, la réponse sera souvent : « Pourquoi ne me l'as-tu pas demandé ? »

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Certains soupireront, voyant dans cette anecdote les soubresauts d'une rengaine féministe classique, alors même que les tâches domestiques sont de plus en plus partagées au sein du couple. Et pourtant, l'annexion d'une partie du cerveau féminin par ces « to-do lists » géantes porte un nom qui était encore inconnu il y a deux jours à peine pour de nombreuses femmes : la « charge mentale ».

Du partage des tâches domestiques

C'est une bande dessinée qui a mis le feu aux poudres. Publiées sur la page Facebook de son auteur, Emma, les planches regroupées sous le titre Fallait demander ont rencontré un écho énorme sur les réseaux sociaux. L'auteur a visé juste en dénonçant cette « charge mentale » qui pèse sur le quotidien des femmes. « Pour moi, l'existence de cette charge devient flagrante quand je décide de m'atteler à une corvée simple comme débarrasser une table, écrit Emma. Je commence par prendre un objet à ranger, mais, sur le chemin, je vais marcher sur une serviette sale que je vais aller mettre dans le panier, que je vais trouver plein. Je vais du coup faire une lessive, et tombe sur mon panier de légumes qu'il faut mettre au frais. En rangeant les légumes, je vais me rappeler qu'il faut ajouter la moutarde sur la liste de courses. Et ainsi de suite. Au final, je parviendrai à ranger ma table au bout de deux pénibles heures. Pour la retrouver couverte de bazar le soir même. » La dessinatrice poursuit : « Si je demande à mon copain de ranger la table, il va juste ranger la table. La serviette va rester par terre, les légumes vont pourrir sur le plan de travail et on n'aura plus de moutarde pour le repas du soir. »


Derrière cette succession de micro-événements du quotidien, la question du partage des tâches domestiques. Comme le rappelle l'Insee dans son rapport 2017 sur l'égalité entre les femmes et les hommes, parmi les ménages avec au moins un enfant, « les femmes passent en moyenne 1 heure 34 minutes quotidiennement à s'occuper des enfants (contre 43 minutes pour les hommes) et consacrent 3 heures 13 minutes aux tâches ménagères (contre 1 heure 12 minutes pour les hommes) ». Lorsqu'elles exercent un emploi à temps plein, les mères consacrent deux heures de plus que les pères chaque jour aux activités domestiques et parentales.

Prise de conscience

« Quand le partenaire attend de sa compagne qu'elle lui demande de faire les choses, c'est qu'il la voit comme la responsable en titre du travail domestique. C'est donc à elle de savoir ce qu'il faut faire et quand il faut le faire. Le problème avec ça, c'est que planifier et organiser les choses, c'est déjà un travail à plein temps. (...) Alors, quand on demande aux femmes de faire tout ce travail d'organisation, et en même temps d'en exécuter une grande partie, ça représente au final 75 % du boulot. Les féministes appellent ce travail la charge mentale. »

Emma enfonce le clou : « La charge mentale, c'est le fait de toujours devoir y penser. Penser au fait qu'il faut ajouter les cotons-tiges à la liste de courses, que c'est le dernier délai pour commander le panier de légumes de la semaine et qu'on est en retard pour les étrennes du gardien. (...) La charge mentale repose en quasi-totalité sur les femmes. (...) En fait, ce que disent nos partenaires en nous demandant de leur indiquer les tâches à faire, c'est qu'ils refusent de prendre leur part de charge mentale. (...) Et, alors que les femmes accèdent de plus en plus au marché du travail, elles restent malgré tout les seules responsables du foyer. » Ce terme n'est pas une appellation folklorique imaginée par la dessinatrice. Pour la chercheuse Nicole Brais, de l'université Laval de Québec, la « charge mentale » se définit comme « ce travail de gestion, d'organisation et de planification qui est à la fois intangible, incontournable et constant, et qui a pour objectifs la satisfaction des besoins de chacun et la bonne marche de la résidence ».

Pour beaucoup de lectrices, c'est un nom enfin posé sur un tourment quotidien. Elles se retrouvent dans ces dessins. 180 000 partages sur Facebook deux jours après la mise en ligne, mardi soir. L'ampleur du phénomène de Fallait demander est symptomatique de l'envergure de la prise de conscience. Plus de 10 000 commentaires déposés : « C'est tellement vrai et tellement important » ; « Les mots qui font mouche » ; « Je me sens moins seule » ; « Juste merci… C'est tellement ça » ; « Whaou ! C'est la première fois que je, ou plutôt tu, mets un mot sur cet incessant tourbillon mental que crée la gestion d'un foyer à plein temps... Je n'aurais pas su mieux le décrire ». Les femmes « taguent » des amies, épinglent leur mari, et crient leur soulagement de ne plus être seules face à ce poids. « Cette femme est mon idole ! s'enflamme Émilie. Désormais, les textos que j'échange avec mon mari se terminent tous par #ChargeMentale. »

Un sujet de dispute quasi inévitable

« À chaque fois que je me plains de devoir penser à tout, mon compagnon me reproche de me plaindre, assurant qu'il prend sa part de tâches domestiques parce qu'il sort les poubelles. Mais c'est ce qui est intangible qui m'épuise le plus », déplore Pauline. Des hommes réagissent aussi : « Tu as mis de la lumière sur des choses que je n'avais pas vues. » Certains reconnaissent s'être laissés infantiliser, certaines avouent qu'elles auraient du mal à lâcher prise. La prise de conscience permettra peut-être de faire bouger les lignes.

« Je ne m'attendais pas à ça, reconnaît Emma. Même ceux de mes amis qui sont d'habitude fatigués de lire mes sujets féministes ont été emballés. » Et la dessinatrice d'analyser ce succès par la difficulté d'en parler au sein d'un couple : « En général, évoquer ce sujet aboutit inévitablement à une dispute... » Emma travaille déjà à son prochain sujet, qui abordera le « travail émotionnel », « tout ce travail qu'assument les femmes pour maintenir le lien social de la famille et organiser une vie agréable : les anniversaires des enfants, les soirées entre amis, l'écoute des autres... ». En attendant cette prochaine publication sur son blog, nombreuses sont celles qui ont déjà ajouté à leur charge mentale de ne pas oublier, lors de leur prochain passage à la librairie, d'acheter le livre Un autre regard qu'Emma a sorti cette semaine aux éditions Massot. On y retrouve la bande dessinée sur la maternité, premier grand succès de l'auteur, qui avait été partagée plus de 25 000 fois en janvier dernier.

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Commentaires (22)

  • serdav

    Dans un couple comme dans une entreprise le partage des tâches se fait par la parole et le vrai problème dans un couple vient souvent que l'on ne parle pas de ce ou de ces sujets, cela faisant qu'une répartition arbitraire des travaux s'établie.
    Comme le cerveaux féminin est plus apte à traiter plusieurs choses en même temps, l'action s'entreprend avant que le cerveaux masculin l'ai détectée.
    Exemple : j'ai toujours admiré ma secrétaire capable de répondre simultanément au téléphone en tapant le courrier et tenant mon agenda, je ne sais faire qu'une chose à la fois, si je lis je n'entend pas la question qu'on me pose. Veuf je suis obligé de faire des listes et de déterminer tel jour ceci, tel autre cela ; que de casserole déborde et de plat crame si je ne reste pas devant le fourneau.
    Maintenant il y a aussi les cultures familiales, ce vieil atavisme des femmes à la maison ou celui des travaux physiques nécessitant de la force.
    Mai je le redis la solution vient dans l'échange pour une meilleure compréhension de l'un et de l'autre, arrêtons de nous noyer dans des psychologies primaires nous culpalisants.

  • janou002

    je connais... Le travail de la maison après la journée de bureau, les trois enfants à récupérer à l'école ou à la garderie puis à conduire l'un au sport, l'autre chez le spécialiste (des dents, des yeux, des oreilles... ) et le 3eme qu'on trimbale avec soit pour ne pas le laisser seul à la maison... Le linge en grande quantité à assumer seule car M. N'est préoccupé que de ses chemises dont il exige que VOUS les repassiez comme ceci et les disposiez sur des cintres comme cela parce que c'est comme ça que sa mère faisait ! Disposé à donner un coup de main à condition de le lui demander sinon, il ne voit rien, n'entend rien !... Et seulement quand il est là car il ne rentre tôt ( avant 20h ! ) que deux jours par semaine... Pour attraper son sac de sport et repartir jusqu'à 22h!... Bref, lorsqu'en plus de tout ça, vous vous jetez le défi de reprendre des études, c'est des journées de 19h, 7j/7 pendant tout le temps que ça dure... Évidemment pour avoir élevé trois citoyens, à la retraite, on vous gratifie d'une majoration de 10% sur votre pension ( autrefois non imposable mais ça c'était avant nullissime !) et devinez quoi ? Le sportif y a droit aussi !
    Alors, oui, on pourrait faire comme disent les hommes de ce forum, tout laisser trainer et laisser la maison virer à la porcherie... Mais pourquoi alors bichonner les chemises de M. ? Et si on ne le faisait pas, oserait il aller au travail en chiffons ?
    Ce qui reste vrai c'est que la femme est souvent prisonnière de l'idée qu'on la juge à travers la tenue de sa famille, de la propreté de sa maison... Elle se sent responsable ! Ah la responsabilité à une époque où la mode est plutôt à l'inverse, au relativisme... Charge mentale ou "pesanteur sociologique, comme disait un de mes collègues... C'est la même chose et ça pèse !

  • Pan Bagnat

    Il n'est pas question ici du seul partage des tâches ménagères mais de la CHARGE MENTALE. Vous savez : penser à inscrire les enfants au centre aéré (avant la date limite, c'est mieux !... ), ne pas rater les inscriptions à l'école ou au collège -au moins aussi important-, ne pas oublier le pique-nique pour la sortie scolaire, payer la cantine, penser à prendre rv chez l'ortho-dontiste/phoniste (en journée, pas à 22h30), puis ne pas oublier d'aller au rv, acheter du lait/des couches pour le petit dernier -idéalement avant de constater le dimanche que le paquet est vide... Bref, toutes ces petites choses qui encombrent un esprit déjà en surchauffe. Alors Messieurs, ne nous en voulez pas de rater la date de révision ou du contrôle technique du monospace ; -)