L'affaire qui empoisonne Anne Hidalgo

La maire de Paris a-t-elle bénéficié d'un emploi fictif entre 2001 et 2003 ? L'intéressée le dément formellement et dénonce une campagne de diffamation.

Par

Anne Hidalgo, le jour du lancement de la candidature de Paris pour accueillir les JO de 2024. Photo réalisée le 3 février 2017.
Anne Hidalgo, le jour du lancement de la candidature de Paris pour accueillir les JO de 2024. Photo réalisée le 3 février 2017. © PATRICK KOVARIK / AFP

Temps de lecture : 9 min

Le 25 octobre dernier, le magazine Capital accuse Anne Hidalgo d'avoir bénéficié d'un «  emploi fictif  » entre 2001 et 2003. Selon Philippe Eliakim, auteur de l'enquête, la maire de Paris aurait été rémunérée pendant deux ans par le ministère du Travail, son administration d'origine, à l'époque où elle était conseillère de Marylise Lebranchu, garde des Sceaux. Une pratique courante sous la Ve République, où les hauts fonctionnaires effectuent régulièrement des passages en cabinet ministériel. À cette nuance près que cette fonction auprès de la ministre de la Justice aurait, elle-même, été «  virtuelle  », selon le journaliste.

La newsletter politique

Tous les jeudis à 7h30

Recevez en avant-première les informations et analyses politiques de la rédaction du Point.

Votre adresse email n'est pas valide

Veuillez renseigner votre adresse email

Merci !
Votre inscription a bien été prise en compte avec l'adresse email :

Pour découvrir toutes nos autres newsletters, rendez-vous ici : MonCompte

En vous inscrivant, vous acceptez les conditions générales d’utilisations et notre politique de confidentialité.

«  Elle ne participait jamais aux réunions de travail, elle n'avait même pas de bureau. Les seules fois où on la croisait, c'est lorsque le club de Martine Aubry, Réformer, organisait une réunion ou un dîner dans les locaux du ministère, avec Benoît Hamon et François Lamy  », affirme un ancien collègue d'Anne Hidalgo, cité par Capital. Philippe Eliakim écrit qu'un autre conseiller de Marylise Lebranchu à l'époque lui aurait confirmé l'information, confiant avoir «  à peine croisé  » la future maire de Paris, Place Vendôme : «  Très vite, au début 2001, on a laissé carte blanche à Anne Hidalgo pour mener sa campagne municipale à Paris. [...] Lorsque, au mois de mars 2001, elle a été élue et est devenue première adjointe, elle a quitté définitivement le cabinet  », rapporte Capital dans un deuxième article, paru le 13 novembre.

Coup de théâtre : le jour même de la publication de ce témoignage, le conseiller cité dément formellement avoir tenu de tels propos. Mais le journaliste maintient ses informations, arguant du fait que l'entretien a été enregistré. Parole contre parole... La justice aura à démêler prochainement cette affaire. Anne Hidalgo a, en effet, porté plainte contre le journal. Le Point revient sur les tenants et les aboutissants de ce dossier complexe.

De l'Inspection du travail au cabinet Lebranchu

Inspectrice du travail depuis 1982, Anne Hidalgo a grimpé les échelons au sein de son administration jusqu'à devenir directrice du travail à la fin des années 90. Membre de la délégation à la formation professionnelle au ministère du Travail à partir de 1993, chargée de mission au Bureau international du travail à Genève entre 1995 et 1996, puis auprès du directeur des ressources humaines de la Compagnie générale des eaux (devenue Veolia), la future maire de Paris, adhérente au Parti socialiste depuis 1994, intègre successivement plusieurs cabinets ministériels du gouvernement Jospin entre 1997 à 2002. Elle travaille d'abord pour Martine Aubry, ministre de l'Emploi, puis pour Nicole Péry, secrétaire d'État aux Droits des femmes et à la Formation professionnelle.

En novembre 2000, Anne Hidalgo est «  mise à disposition  » du cabinet de Marylise Lebranchu, ministre de la Justice, comme conseillère technique puis comme chargée de mission. Elle continue à cette date à être payée par le ministère du Travail. Rémunération : 3 040 euros par mois, plus des primes, selon Capital. Une information confirmée, le 8 novembre dernier, par Le Canard enchaîné. Sous la plume d'Hervé Martin, le Palmipède affirme qu'«  Anne Hidalgo a, pendant près d'un an et demi [...], continué de percevoir l'intégralité de son traitement de directrice du travail, alors qu'elle n'assurait qu'une partie minime de cette fonction au sein du cabinet de la ministre de la Justice  ».

Une mise à disposition conforme aux usages

Élue en mars 2001 à la Mairie de Paris sur la liste de Bertrand Delanoë, Anne Hidalgo est immédiatement nommée première adjointe. Elle continue à se faire payer par son administration d'origine, le ministère du Travail où, selon un proche, elle a conservé «  une activité à mi-temps  ». Compte tenu de la poursuite de cette activité professionnelle, parallèlement à ses fonctions d'élue, Bertrand Delanoë ne lui confie que deux délégations : le suivi du dossier «  égalité femmes-hommes  » et la mise en place du bureau des temps.

Selon plusieurs sources proches du dossier, la rémunération totale d'Anne Hidalgo avoisine les 8 000 euros brut par mois, de l'ordre de 6 424 euros net, à partir d'octobre 2002, du fait de son avancement dans la grille salariale de son ministère en raison de son ancienneté et des primes de cabinet (autour de 3 200 euros). «  Un montant qui peut apparaître élevé au regard des standards salariaux qui ont cours dans l'administration, mais qui se justifie quand on sait que cela implique une disponibilité totale, soirs et week-ends compris  », évoque un conseiller ministériel du gouvernement d'Édouard Philippe.

L'entourage d'Anne Hidalgo assure qu'elle adresse alors un courrier officiel au contrôleur financier de son ministère pour que son traitement soit revu à la baisse. Une source assure, sous le couvert de l'anonymat, que c'est le contrôleur financier du ministère qui s'y serait opposé par écrit. Ce courrier figurerait, à l'en croire, dans le dossier transmis à la justice. Le Point a contacté Jean-Pierre Mignard, l'avocat d'Anne Hidalgo, pour avoir confirmation de cette information et, éventuellement, communication de ces documents. À l'heure où sont écrites ces lignes, l'avocat n'a pas donné suite à notre demande.

Pour preuve de sa bonne foi, l'entourage de la maire souligne que ses primes de cabinet ont été divisées par deux (passant à 1 600 euros par mois) à cette période, ce qui confirmerait qu'elle a signalé au ministère la Justice son incapacité de poursuivre son travail à temps plein en tant que conseillère ministérielle. Mais son traitement de base, celui qui provient du ministère du Travail, reste, lui, inchangé.

Une situation qui s'éternise

De mars à octobre 2001, Anne Hidalgo va continuer d'être payée par son ministère. «  Un emploi fictif  », selon Capital. «  Une situation banale quand on sait que de nombreux élus continuent de travailler en parallèle de leur mandat  », rétorque une source proche du dossier. Laquelle cite deux exemples : deux élus Les Républicains au Conseil de Paris qui se sont trouvés dans la même situation qu'Anne Hidalgo.

À l'automne, l'élue socialiste part en congé maternité. Pour son troisième enfant, elle bénéficie d'un arrêt de six mois. «  À 42 ans, sa grossesse étant considérée comme à risque, elle est contrainte d'arrêter son travail un mois avant la date de congé légal  », croit savoir un proche. Elle ne reprendra son poste qu'en avril 2002. Le temps pour elle de faire ses cartons, car, balayé un certain 21 avril, Lionel Jospin se retire de la vie politique. «  Les conseillers ministériels du gouvernement socialiste sont alors retournés à leur vie d'avant  », résume l'un des membres de cabinet de l'époque.

Le coup de tonnerre du 21 avril

Anne Hidalgo regagne la direction régionale du travail d'Île-de-France. On lui propose d'intégrer la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), rattachée au ministère du Travail. Elle accepte, envisageant d'y consacrer un jour par semaine. Ce département n'est pas réputé pour exiger de ses membres un travail harassant. L'été passe. L'élue se ravise. En août, elle écrit à sa tutelle pour décliner finalement l'offre qui lui a été faite et demander un «  détachement sans solde  ».

Il faudra huit mois à l'administration pour acter ce changement de statut. Le 20 janvier 2003, un arrêté ministériel place officiellement l'élue en position de détachement «  avec cessation du paiement de sa rémunération  ». Cette modification de son statut étant faite à titre rétroactif, Anne Hidalgo doit restituer les sommes perçues depuis le mois d'août 2002 (date à laquelle elle indiquait se consacrer à temps plein à son mandat à la Mairie de Paris), soit 21 659,05 euros hors primes. En détachement depuis janvier 2003, Anne Hidalgo a été mise «  en retraite  » le 1er juillet 2011.

Les questions en suspens

Anne Hidalgo a-t-elle été absente du cabinet Lebranchu pendant la campagne municipale de 2001  ? Le directeur de cabinet de l'époque, Christophe Devys, aujourd'hui directeur régional de santé d'Île-de-France, assure que non. « Jusqu'à son élection en mars 2001 et sa nomination comme première adjointe du maire de Paris, elle a exercé sa mission à plein temps, ce qui signifie, en cabinet, un volume d'heures particulièrement important. [...] Malgré son entrée en campagne électorale pour les élections municipales à Paris, son engagement est resté entier. Je me rappelle avoir même été impressionné par sa capacité à concilier cette campagne et ses fonctions au cabinet », écrit-il dans une lettre évoquée par le site de L'Obs. L'élue a, par la suite, publié ce courrier sur son compte Twitter.

Ce témoignage suffira-t-il à éteindre la polémique ? Pas sûr. D'autres documents semblent indiquer que l'actuelle édile de la capitale n'a pas brillé, sur toute la période, par son assiduité. «  Au début de 2001, nous avons découvert avec stupéfaction que le nom d'Anne Hidalgo figurait toujours sur la liste des votants aux élections professionnelles. Cela signifiait qu'elle continuait d'être payée alors qu'elle ne faisait plus rien  », affirme Yves Sinigaglia, l'un des responsables du syndicat SUD, cité par CapitalLe Point a contacté la centrale. Mais ses représentants n'ont pas encore répondu à nos questions.

Par ailleurs, Capital a publié, le 16 novembre, un nouveau témoignage : celui de Jean-Pierre Morelle, présenté comme « le contrôleur financier du ministère du Travail » entre 1997 et 2006. Or, l'intéressé dément avoir « été saisi d'une demande de passage à mi-temps émanant d'[Anne Hidalgo] ». Du côté de la maire, on explique que ce n'est pas au contrôleur financier, mais au directeur de l'administration générale et de la modernisation des services que l'élue a écrit à l'été 2001.

La défense de l'intéressée

«  Cette affaire a été créée de toutes pièces au moment des dernières élections municipales  », martèle-t-on dans les rangs de l'élue socialiste. «  Ce n'est pas parce qu'on ne la voyait pas beaucoup, Place Vendôme, qu'elle ne travaillait pas  », ajoute, pour la défendre, un ancien collègue au ministère de la Justice. « Les locaux du ministère de la Justice sont vastes et les conseillers travaillent dans des bureaux éloignés les uns des autres », affirme un autre.

Il sera probablement bien difficile de vérifier, 16 ans après les faits, l'emploi du temps d'Anne Hidalgo à l'époque. La maire de Paris dénonce une campagne de calomnie. La maire de Paris indiquait vouloir répliquer sur le terrain judiciaire, dès le 25 octobre. Elle a saisi les tribunaux, le mardi 7 novembre.

Ce service est réservé aux abonnés. S’identifier
Vous ne pouvez plus réagir aux articles suite à la soumission de contributions ne répondant pas à la charte de modération du Point.

0 / 2000

Voir les conditions d'utilisation

Commentaires (89)

  • epaminondacacia

    Le fameux slogan ! Mais... Ils le sont tous ! Pas forcément en direct mais quid du collègue qui atteste avoir vu untel ou unetelle au boulot à telle époque ? Un mensonge par camaraderie... Le menteur sera un jour bénéficiaire du mensonge d'un autre... Et tout cela avec l'argent public ! Pourtant les seuls qu'on ne tient pas au courant... Mais c'est bien sur ! Le pauvre contribuable !

  • Surlaligne

    Quand on ne veut pas, cela ne prend pas.
    On vérifie cela tous les jours.
    D'ailleurs quels sont les Français qui en ont entendu parler ?
    C'est ainsi que vont les médias et la politique en France.

  • voltairius

    Si madame Hidalgo a été rémunérée par le ministère du travail il doit en rester trace dans la mémoire de l'ordinateur du ministère : y a t'il ou y a t'il pas ? Qui veut et peut le savoir ?