Neuilly : Serge a-t-il vraiment été chassé de son appartement ?

Un sexagénaire assure qu'une famille de squatteurs s'est installée dans son domicile pendant l'un de ses voyages. La vérité est peut-être plus nuancée...

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La porte de Serge a été fracturée et des squatteurs se sont installés dans son domicile (Photo d'illustration).

La porte de Serge a été fracturée et des squatteurs se sont installés dans son domicile (Photo d'illustration).

© CLOSON DENIS/ISOPIX/SIPA

Temps de lecture : 7 min

Voilà des mois que Serge, 60 ans, invalide à 55 %, assure ne plus avoir pénétré dans son appartement de Neuilly. L'homme dit avoir été chassé de son domicile en novembre dernier, comme l'a raconté Le Parisien , alors qu'il rendait visite à son père, victime d'un AVC, dans le sud de la France. Selon Europe 1, la vérité pourrait cependant être plus nuancée...

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Plusieurs habitants de l'immeuble, interrogés par la radio, assurent que Serge louerait régulièrement au noir son appartement et qu'il se serait fait prendre à son propre jeu. Ce que tend à confirmer un mail écrit par le syndic de l'immeuble et obtenu par Europe 1. Fin 2016, une des familles que Serge logeait « au black » n'aurait plus payé le loyer, et le propriétaire aurait décidé de reprendre possession de son bien et de changer la serrure. C'est cette même famille qui aurait alors forcé la porte, avant de se réinstaller illégalement dans l'appartement.

Deux versions très différentes

Serge, lui, ne dit rien de tout cela. L'homme assure avoir voyagé plusieurs semaines pour s'occuper de son père. Il affirme que c'est pendant son absence que des squatteurs ont fracturé sa porte – pourtant dotée d'une serrure flambant neuve et d'un mécanisme de fermeture très sophistiqué, dit-il. « Mon syndic m'a téléphoné pour me demander si j'étais bien à l'origine d'une demande de bip parking. C'est comme ça que j'ai appris que quelqu'un se faisait passer pour moi », jure le propriétaire.

Après quelques coups de fil, Serge a ainsi appris par le gardien de l'immeuble que son appartement était occupé. « Le squatteur avait laissé son numéro de téléphone au syndic. Je l'ai donc appelé. Il m'a expliqué dans un cynisme obscène qu'il avait détourné le contrat EDF et installé une box internet. Il m'a même dit qu'il avait mis une alarme connectée à son portable pour savoir si j'essayais de venir ! C'est moi qui deviens l'intrus ! » enrage-t-il.

« Il m'a dit que, s'il était délogé, il ferait un dégât des eaux en partant »

« Si je suis la logique juridique, poursuit Serge, j'ai juste le droit de dormir sur un banc ou dans ma voiture ! [...] Je suis à bout. Il y a une telle inertie... Délais de quinze jours en quinze jours, de mois en mois... Un huissier est passé dans l'appartement et a relevé l'identité des deux personnes qui y habitent, avec leurs enfants en bas âge. L'huissier a fait l'inventaire des meubles. Ce ne sont pas des personnes dans le besoin, des migrants ou des demandeurs d'asile ! Ils ont mis une télé grand écran Sony, un frigidaire Samsung qui vaut 1 200 balles chez Darty, et une nouvelle machine à laver. La mienne a été remisée dans un placard ! »

D'après Serge, le squatteur, un Français de 27 ans au « sang-froid incroyable », s'est même permis d'être menaçant. « Il m'a dit que, s'il était délogé, il ferait un dégât des eaux en partant. Le pire, c'est que je ne sais même pas comment il est entré. Il a dû avoir la complicité d'un serrurier et de quelqu'un qui lui a dit que je n'étais pas là. Et en plus, il ose me dire qu'il est religieux, c'est le pompon. Je lui ai demandé au téléphone de me citer le 10e commandement : Tu ne convoiteras pas la maison de ton prochain. Là, il est resté comme un imbécile... »

L'idée est venue à Serge de se faire justice lui-même avec des amis, mais il est vite revenu à la raison : « J'ai des propositions tout le temps. Mais après ça va être l'escalade. Je ne suis pas sûr qu'il ne récidive pas. Évidemment, on est tenté de prendre le type et de le foutre dehors comme un malpropre. Mais il faut que la justice passe... Pour le moment, il se croit en totale impunité. Vous imaginez ? Vos draps, vos casseroles, vos serviettes de bain. Je préférerais encore me faire voler, au moins il se serait barré ! »

Les voisins ne décolèrent pas

Sur Europe 1, les voisins affirment que cette histoire est fausse. « Il n'y a pas de signature de bail chez le syndic, et il fait ça depuis une dizaine d'années. [...] Maintenant, monsieur fait part dans les journaux qu'il a été squatté... C'est faux, totalement faux. » Peut-être cela explique-t-il pourquoi les policiers ont dit à Serge qu'ils ne « pouvaient rien faire » dans l'immédiat lorsqu'il est allé les voir. C'est en tout cas ce qu'assure son avocate, Me Nejma Labidi.

Serge a donc saisi, au civil, le tribunal d'instance de Courbevoie, qui statuera sur la procédure d'expulsion... le 12 mars prochain. Parallèlement, une plainte pénale a également été déposée au parquet de Nanterre contre les présumés squatteurs, sur le fondement de l'article 226-4 du Code pénal, qui punit d'un an de prison et de 15 000 euros d'amende le « maintien dans le domicile d'autrui ». Mais l'instruction de cette plainte prend également beaucoup de temps...

La préfecture pas saisie du dossier

En théorie, Serge – dans le cas où il serait de bonne foi, ce qui reste à vérifier... – aurait-il pu utiliser une autre procédure ? C'est ce que semble dire Catherine Procaccia, sénatrice LR du Val-de-Marne, qui a vivement réagi à l'affaire sur Twitter.

Dans un rapport parlementaire (dont un extrait est reproduit ci-dessous), le député Marc-Philippe Daubresse précise en effet que la loi visant à « préciser l'infraction de violation de domicile », promulguée en juin 2015, a changé le point de départ du délai de 48 heures qui permet l'ouverture d'une enquête de flagrance. Alors que, jusqu'à maintenant, ce délai courait à compter de l'introduction frauduleuse dans le domicile du squatteur, ce délai commencerait aujourd'hui « dès que le propriétaire ou l'occupant légitime s'en aperçoit, même si l'introduction date de plusieurs jours ». La rédaction du texte est cependant loin d'être aussi limpide que le sous-entendent les politiques.

Selon le cabinet d'avocats Seban & Associés, qui a consacré un article à cette nouvelle loi, « les forces de l'ordre [peuvent désormais] intervenir dans le cadre d'une enquête de flagrance pour délit de violation de domicile, tout au long du maintien dans les lieux, quelle qu'en soit sa durée ».

Alors qui a tort, qui a raison ? Contactée par Le Point, la préfecture des Hauts-de-Seine, dont dépend le domicile de Serge à Neuilly, assure ne « pas avoir connaissance de ce dossier à ce stade ». Quant au parquet de Nanterre, il ne nous avait pas répondu à l'heure de la publication de cet article.

Domicile ou propriété ?

Geoffroy Didier, député européen et vice-président LR de la région Île-de-France, est en faveur d'une modification législative. « La loi Dalo [droit au logement opposable, NDRL] initiale n'avait manifestement pas prévu le cas des squatteurs et avait mis en danger le droit de propriété. En 2015, il y a eu une modification de cette loi, mais qui ne va pas suffisamment loin », explique-t-il au Point.

Le député préconise ainsi plusieurs mesures-chocs. Il faut, dit-il, agir contre les gens qui « utilisent leur propre propriété pour exploiter la misère humaine [les marchands de sommeil] et contre ceux qui violent allègrement le droit de propriété [squatteurs]. C'est un signal d'inversion des valeurs particulièrement préoccupant. » L'article 38 de la loi Dalo, qui permet au préfet d'expulser en urgence un squatteur qui s'est introduit de manière frauduleuse dans le domicile d'autrui, « doit ainsi être étoffé, complété et enrichi », ajoute-t-il.

Geoffroy Didier estime également que le terme de « domicile » actuellement utilisé par la loi doit être remplacé par celui de « propriété », plus large, puisqu'il vise également les maisons secondaires. « Deuxièmement, on doit pouvoir aller plus rapidement dans la mise en œuvre de cette expulsion : elle doit pouvoir se faire sans délai. Troisième chose : je souhaite qu'il n'y ait pas l'excuse de la trêve hivernale lorsque la propriété squattée est le domicile principal de quelqu'un, soit le propriétaire, soit le locataire [ce qui est actuellement à l'appréciation du juge, NDLR]. Je veux rendre plus absolu le droit de propriété lorsqu'il est violé par un délinquant. »

Mise à jour 10/02/2019, 20 h 40 : cet article a été mis à jour pour tenir compte d'une autre version que celle de Serge, relatée par Europe 1.

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Commentaires (87)

  • Un peu de recul

    J’ai entendu dire que ça n’arrivait pas en Corse où on chasse volontiers le sanglier.

  • IGOR.DESILES

    A ce stade des articles on laisse supposer que tout ne serait pas si clair. C'est une façon de ne pas traiter le fond du dossier en renvoyant les torts sur le propriétaire. Un locataire doit payer son loyer et n'a pas a menacer le proprio. Point barre.

  • Platon Hic

    @Timeo Danaos : vous devriez lire l’article. Le « pauvre » neuilléen Serge semble avoir été surtout victime de sa propre cupidité selon ses voisins, outre sa version très arrangée des faits...