Montant de la fraude fiscale : la Cour des comptes botte en touche

Réclamé par Macron à la fin du grand débat et sous la pression des Gilets jaunes, le rapport de la Cour des comptes ne parvient pas à chiffrer l'ampleur du phénomène. 

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Les Gilets jaunes ont entamé leur mouvement le 17 novembre, il y a un peu plus d'un an. Beaucoup croient qu'une lutte accrue contre la fraude fiscale permettrait de combler le déficit public et de financer plus de redistribution. 

Les Gilets jaunes ont entamé leur mouvement le 17 novembre, il y a un peu plus d'un an. Beaucoup croient qu'une lutte accrue contre la fraude fiscale permettrait de combler le déficit public et de financer plus de redistribution. 

© Idriss Bigou-Gilles / Hans Lucas

Temps de lecture : 6 min

Tous ceux qui attendaient un chiffre seront déçus. Saisie par le Premier ministre en mai dernier, sous la pression des Gilets jaunes, pour mesurer l'ampleur de la fraude fiscale en France d'ici novembre, la Cour des comptes a estimé qu'elle n'avait pas assez de temps pour produire une évaluation fiable. « La Cour a préféré proposer dans un premier temps une méthodologie rigoureuse d'évaluation des irrégularités et de la fraude aux prélèvements obligatoires », expliquent les magistrats financiers.

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En effet, aussi étonnant que cela puisse paraître, cette méthodologie n'existe pas. « De nombreux pays ont mis en œuvre une démarche d'estimation. [...] Les États-Unis ont été précurseurs de ces travaux [...], qu'ils ont réalisés dès les années 1980. Depuis, de nombreux autres pays se sont engagés dans cette voie : le Royaume-Uni au début des années 2000, les pays scandinaves, l'Italie, le Canada. Sur un échantillon constitué de 58 pays de l'OCDE étudié par la Cour, plus de la moitié (57 %) se livrent aujourd'hui à ce type de travaux. Dans l'ensemble de ces cas, c'est l'administration fiscale elle-même qui effectue les calculs et les rend publics », relève la Cour des comptes. Mais « la France, de même que l'Allemagne, fait partie des pays dont les administrations fiscales ne se sont pas encore lancées dans ce type de travaux ». Un manque qu'il va falloir réparer d'urgence...

Des recouvrements en baisse

Les magistrats déplorent que « très peu de progrès [aient] été réalisés depuis le rapport du conseil des prélèvements obligatoires de 2007 sur la fraude aux prélèvements obligatoires et son contrôle ». Selon elle, « seule l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) a entrepris des travaux de chiffrage ». Cette dernière a évalué en 2018 la fraude aux cotisations sociales à 8,5 milliards d'euros. Un chiffre jugé « inférieur à la réalité compte tenu du périmètre restreint sur lequel il porte ». Quant à la fraude à la TVA – un gros morceau de la fraude –, la Cour, qui s'est associée à l'Insee, a réussi à l'estimer à une « quinzaine de milliards d'euros ».

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Les résultats de la lutte contre la fraude fiscale en France laissent en tout cas à désirer. « Contrairement à ce qui est observé à l'étranger, les recouvrements opérés à la suite des contrôles s'inscrivent dans une tendance de moyen terme à la baisse », déplore la Cour des comptes, malgré les avancées importantes récentes de la lutte internationale contre la fraude et l'optimisation fiscale dans le cadre de l'OCDE à la suite de la crise financière de 2008. Il y a pourtant bien eu « un important renforcement du dispositif juridique de lutte contre la fraude aux prélèvements obligatoires », reconnaît la Cour. Mais le « renouvellement des instruments juridiques dont dispose désormais l'administration fiscale contraste avec la modestie de l'impulsion interministérielle donnée à la lutte contre la fraude, ainsi qu'avec l'adaptation réelle, mais encore trop lente, des administrations chargées du contrôle », regrette-t-elle aussitôt.

Une baisse des effectifs en cause ?

La diminution des montants recouvrés par l'administration fiscale est d'autant plus forte si l'on exclut les bons résultats de la cellule de régularisation des avoirs cachés à l'étranger mis en place entre 2013 et 2017, dans la foulée d'un accord international pour la mise en place d'un mécanisme multilatéral d'échange automatisé de données entre États sur les comptes détenus par les non-résidents en 2013.

Faut-il blâmer les réductions d'effectif comme le fait régulièrement le syndicat Solidaires Finances publiques ? Elle « ne signifie pas nécessairement une révision à la baisse des ambitions en matière de lutte contre la fraude, nuance la Cour des comptes. Comme en témoignent les documents stratégiques de plusieurs pays analysés, les pouvoirs publics ont considéré qu'à l'instar d'autres missions des administrations financières, le contrôle fiscal pouvait aussi faire l'objet de gains de productivité, liés prioritairement à l'essor du numérique comme aux évolutions des tissus économiques sur le territoire. »

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Une lutte contre la fraude qui ne comblera pas le déficit public

La Cour des comptes formule finalement onze recommandations « permettant de proposer une stratégie d'ensemble en matière de fraude aux prélèvements obligatoires ». « Celles-ci visent à : évaluer la fraude aux prélèvements obligatoires pour mieux la combattre ; faire de la prévention une composante à part entière de la lutte contre la fraude ; mobiliser davantage les administrations chargées de la détection de la fraude pour mieux la réprimer dans le cadre d'une stratégie nationale cohérente », explique le communiqué de presse accompagnant le rapport. 

Pour autant, les magistrats profitent de leur rapport pour dénoncer l'idée largement répandue selon laquelle une lutte plus vigoureuse contre la fraude permettrait de combler le déficit public et donc de financer sans problème une augmentation des dépenses publiques importante. « Dès lors que les estimations de la fraude aux prélèvements obligatoires sont produites, la tentation est grande de les mettre en regard des déficits publics. Elle est d'autant plus forte que la crise financière de 2008 a suscité un intérêt accru des opinions et des pouvoirs publics pour la lutte contre la fraude aux prélèvements obligatoires dans la plupart des pays, écrivent les magistrats. Il convient cependant de garder à l'esprit le fait que les montants estimés de la fraude ne constituent pas une cagnotte que les pouvoirs publics pourraient intégralement mobiliser en accroissant l'effort de lutte. Les estimations réalisées ont en effet un caractère théorique et ne fournissent pas d'indication sur les entités économiques concernées. De plus, une part significative des redressements opérés dans le cadre de la lutte contre la fraude ne peut être effectivement recouvrée en raison de l'insolvabilité des contribuables, ce phénomène étant particulièrement marqué dans les cas de fraude les plus massifs, qui correspondent souvent à des entreprises dont l'existence même et la viabilité économique reposent sur le non-respect de leurs obligations fiscales et sociales. » 

En conséquence, Bercy s'est engagé, lundi matin, à poursuivre l'effort de lutte contre la fraude engagé depuis le début du quinquenat, soulignant notamment le rôle de sa cellule d'analyses des données fiscales par algorithme (« data minning ») qui compte désormais une trentaine de personnes après avoir fait face à « une résistance culturelle », depuis sa création en 2013. Le travail de chiffrage gobal de la fraude aux prélèvements obligatoires va être poursuivi, mais il ne sera pas pour demain. Le ministère espère pouvoir procéder à l'évaluation de la fraude à l'impôt sur les sociétés et à l'impôt sur le revenu « rapidement », sans pour autant s'engager sur une date précise. Pour l'évaluation d'ensemble, il faudra encore attendre. A condition que la volonté politique ne faiblisse pas...

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Commentaires (44)

  • agusta

    La fraude fiscale surtout est utilisée à temps et à contre temps par ceux qui voudraient que l'état dépense encore plus que ce qu'il fait déjà. Alors non nos déficits ne seront jamais comblés par la lutte contre la fraude fiscale. Toutefois la fraude sociale est toujours ignorée par ces mêmes citoyens qui dans ce cas là parlent de chasse aux pauvres. Langage militant pour dire que ces esprits ont toujours réponse aux problèmes, par le grand y a qu'à faut qu'on.

  • pratique64

    Quand je me remémore les volumineux classeurs bleus de Francis Lefêbvre qui prenaient bien un mètre de rayonnage pas étonnant que les contribuables et les fonctionnaires du fisc ne s'y retrouvent pas dans les milliers de pages de cette bible fiscale française ! La fraude fiscale existe mais elle est fantasmée par la population, par l'administration fiscale dans ses notifications de redressements surtout lorsqu'elles sont annoncées par un ministre. La fraude fiscale "non répertoriée ou inconnue" est certes importante mais concerne des activités illégales (drogue prostitution…) ou des activités marginales (travail au noir dont emplois a domicile…) dont on peu se demander si la chasse fiscale systématique n'aurait pas des effets contre productifs sur les recettes fiscales par l'abandon de ces activités marginales et la baisse des ventes de bricolage par exemple. Par contre on peut s'étonner que l'Etat n'utilise pas les techniques demandées par exemple aux établissements bancaires pour traquer le blanchiment d'argent sale : connaissance du contribuable, logiciels de recherches des mouvements financiers internationaux, relations avec les autres états, les gros poissons nagent dans les marigots ou le fisc à le moins de visibilité, les frontières et le manque de fluidité des informations entre administrations en sont la cause

  • patachon91

    En quoi ce faux dérivatif serait il une excuse à ces 15 + 8 milliards de fraude ?