Kenzo, la légende de la mode, est mort des suites du Covid-19

Kenzo Takada, pionnier des créateurs japonais installé à Paris, est mort. Multiculturalisme et imprimés floraux constituaient ses attributs de mode.

Par Astrid Faguer

Kenzo Takada photographié dans son bureau en janvier 2019.
Kenzo Takada photographié dans son bureau en janvier 2019. © JOEL SAGET / AFP

Temps de lecture : 5 min

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Le 7 octobre 1999, Kenzo Takada faisait ses adieux à la mode avec un dernier défilé réjouissant. Le plus parisien des designers japonais, qui avait cédé sa maison à LVMH six ans plus tôt, tirait sa révérence dans la joie et la bonne humeur – des marqueurs indissociables de son travail. Cette ultime collection présentée au Zénith, devant 4 000 personnes en liesse, était un show-performance réunissant musiciens, animaux, danseurs, sur fond d'inspiration multiethnique. Sur le podium, mannequins (Katoucha Niane, Inès de la Fressange), célébrités (Julien Clerc) et proches collaborateurs défilaient ou dansaient au son des tam-tams, de notes tziganes ou d'accordéon. Un moment magique et poétique, qui s'énonçait comme une rétrospective du talent de Kenzo Takada, décédé ce 4 octobre à l'âge de 81 ans des suites du Covid-19. 

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Pour clore le spectacle, le designer était venu saluer énergiquement l'assistance, sa mèche de jais – désormais grise – en mouvement, sourire aux lèvres, dans un complet trois-pièces sombre, accordé à une chemise blanche et une cravate jaune. Dès lors, la maison qui portait son prénom allait continuer de vivre sans lui, voyant se succéder au poste de directeur artistique son fidèle collaborateur Gilles Rosier (2000-2003), puis Antonio Marras (2003-2011), suivi par le tandem formé par Carol Lim et Humberto Leon (2011-2019), et enfin par Felipe Oliveira Baptista (2020). Avec cet ultime opus, Kenzo Takada célébrait également 30 ans de succès.

Arrivé à Marseille en bateau

Cinquième d'une famille de sept enfants, né en 1939 à Himeji, cité nippone au passé féodal, où son père possède une machiya (une maison de marchand japonais), Kenzo Takada s'intéresse à la mode dès l'enfance. Devenu adulte, il abandonne son cursus général à l'université de Kobe pour poursuivre en 1958 ses études dans la célèbre école tokyoïte – la Bunka Fashion College, qui vient juste d'ouvrir ses portes aux garçons. Une fois diplômé, Kenzo Takada rejoint Marseille en bateau – un périple de plus d'un mois et demi – pour finalement débarquer à Paris en 1964. Son succès n'y est pas immédiat.

Il commence d'abord par vendre ses croquis à Louis Féraud et Jacques Delahaye, avant d'obtenir un poste d'assistant-styliste chez Renoma – marque française alors incontournable, prisée par la jeunesse parisienne et les célébrités. Il a 30 ans quand, en avril 1970, il inaugure sa première boutique au cœur de la galerie Vivienne, décorée dans un esprit Douanier Rousseau, qu'il baptise « Jungle Jap ». Une adresse qui accueillera la même année son premier défilé de prêt-à-porter femme s'énonçant entre kimonos remasterisés, jupes hautes aux coloris vifs et tops amples. Un show qui se tiendra devant cinquante personnes et sur fond de la musique du film «  Il était une fois dans l'Ouest ».

Une mode à part

Kenzo Takada propose une mode féminine à part, facile à comprendre, mêlant clins d'œil à ses racines nippones et références occidentales, recours à des cotonnades japonaises comme à des chutes de tissu provenant du marché Saint-Pierre, tenues folkloriques et vêtements de tous les jours, mix de couleurs et d'imprimés notamment végétaux et floraux... L'ensemble constitue une allure nomade, hybride et joyeuse, à nulle autre pareille, qui séduit. Dès lors tout s'enchaîne, les ouvertures de boutiques se multiplient (en 1971 à Saint-Tropez, en 1972, passage Choiseul à Paris, en 1973, rue du Cherche-Midi à Paris, en 1977, place des Victoires toujours à Paris), les relais dans la presse se font de plus en plus nombreux (dès 1971 l'édition américaine du Vogue s'intéresse à son travail), ses défilés font le buzz (comme en 1983 où il organise un défilé au château de Maisons-Laffitte), et la diversification de la marque est en marche (avec l'univers masculin en 1983 et la parfumerie en 1988).

En parallèle, Kenzo organise des événements de grande ampleur qui marquent les esprits. Ainsi, en juin 1994, il recouvre le Pont-Neuf de plus de 30 000 pots de bégonias et d'un rideau de lierre pour célébrer l'arrivée de l'été. Kenzo Takada se démarque en jouant la carte de l'audace et de la liberté de ton. Un propos qui s'exprime loin de la rigueur minimaliste habituellement prônée par les autres designers japonais. Une formule créative qui tape dans l'œil des vedettes de l'époque qui assureront la promotion de ce style – à l'instar de Grace Jones ou Jerry Hall. Les shows du designer aux allures de grandes fêtes finiront par sceller la réputation ultra-joyeuse de sa mode. Ainsi, en 1979, le designer, qui présente sa collection sous un grand chapiteau, surgira sur le podium – ou la scène, c'est selon – à dos d'éléphant suivi par des cavalières entièrement dénudées. On le sait moins, le designer est également à l'époque l'une des figures majeures des nuits parisiennes.

Un héritage unique

Dans les années 1980, il fréquente les lieux les plus branchés de la capitale (du Sept de la rue Sainte-Anne, au Pimm's également rue Sainte-Anne, en passant par le célèbre Palace) et organise avec son compagnon et bras droit (Xavier de Castella, que lui avait présenté Karl Lagerfeld) des fêtes et autres after-shows mémorables – à l'instar de sa soirée « Cartoon » au Palace où il était apparu déguisé en Minnie Mouse. Toutefois, l'arrivée du sida, la disparition de son compagnon Xavier de Castella en 1990 et l'attaque cérébrale de son associé Atsuko mettront un terme à cette époque festive mêlée d'insouciance et d'optimisme. Si Kenzo Takada quitte la scène de la mode et son rythme effréné à l'aube des années 2000, il ne disparaîtra jamais totalement des radars.

Entre la sortie d'un livre sobrement intitulé « Kenzo Takada » écrit par son ami Kazuko Masui (2018), la vente de sa collection d'objets d'art à Drouot (2009), le lancement d'une marque de design – K3 – en 2020 et la fête anniversaire en grande pompe pour ses 80 ans au Pavillon Ledoyen (avec pour dress code celui de porter une tenue dorée), le designer, qui continuait d'apparaître au premier rang des défilés de la marque qu'il avait créée, avait su ne pas se faire oublier en apparaissant çà et là. Aujourd'hui disparu, il laisse derrière lui un héritage mode unique, dont l'inspiration ne connaissait pas de frontières.

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Commentaires (4)

  • Ferula

    Il a créé une mode si jolie, si haute en couleurs et si seyante aussi ! Ses imprimés étaient un hymne à la joie de vivre. Oui, il était un véritable artiste et c'est bien triste que le ou la covid l'ait emporté.

  • Je croyais qu'il avait inventé la fraise : (

  • Martinoune

    Je porte encore par alternance ses parfums «  le monde est beau » et «  ça sent beau «  délicates fragrances très « agrumes »... Dans des flacons en forme de fruits... Très collector...
    il a rejoint le monde des esprits et ne sera pas oublié...
    paix et repos à son âme...