[review] UN3

Pour la nouvelle année, on se fixe des objectifs : être aimable, adorer Bendis, lire du DC… et pourquoi pas sauver le monde ? Avant de me lancer dans cette mission, je me suis préparé en lisant UN3 sorti chez Bliss comics.

Un résumé pour la route

un3_1Urgence Niveau 3 est un projet à part. Comme Love is love, ce n’est pas une publication de Valiant mais un projet plus personnel de l’éditeur. Au départ, il s’agissait d’une publication en ligne pour le Programme alimentaire mondial par le scénariste Joshua Dysart (Soldat inconnu, Harbinger, Bloodshot). On retrouve donc ses deux récits sur l’Irak et le Soudan du sud. Ils sont dessinés par Alberto Ponticelli (Soldat inconnu). Bliss nous propose un chapitre inédit sur le Tchad écrit par Jonathan Dumont, responsable du service multimédia de WFP (Programme alimentaire mondial). Pat Mansioni passe de coloriste à dessinateur pour ce dernier récit. Les deux premiers récits ont été publiés sur internet en 2015 et en 2017. Les trois récits ont été publiés en France en octobre 2018.

On en dit quoi sur Comics have the Power ?

Ce récit fictif est basé sur des interviews mené par Dysart sur le terrain entre 2014 et 2016. Il a en effet été humanitaire pour le WFP afin de faire connaître son action. Chaque chapitre raconte le travail et la vie d’un humanitaire sur une zone d’action. A la lecture, on sent parfois cet objectif pédagogique.

Le premier chapitre concerne l’Irak. Comme un novice, nous suivons en parallèle Leila Helal, une humanitaire lors de sa première mission et un père de famille irakien qui a fui à l’arrivée de Daesh. Mis à part les mêmes personnages, on a peu de liens entre les chapitres et j’ai parfois eu du mal à relier les récits. Ces récits de vie deviennent très prenants car une grande partie de l’histoire évite les dialogues pour reprendre les témoignages assez denses. Le père de famille reste très factuel et évite le sentimentalisme – même quand il parle de l’enlèvement de sa petite fille et son grand fils par Daesh. Le groupe terroriste exerce un chantage sur la famille pour la retrouver. De plus, le témoignage de ce médecin montre bien que cela concerne toutes les catégories sociales qui se retrouvent plongées dans un destin commun de déplacé. Le récit évite le misérabilisme en se terminant par une note positive. On se rend compte que la mission du Programme alimentaire n’est pas seulement d’apporter de la nourriture mais qu’une vraie administration gère un ensemble d’actions.

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Chaque page est organisée autour de grandes cases et l’organisation reste classique comme si la pudeur était de mise. Les visages sont réalistes et à peine simplifiés. Par contre, Pat Masioni opte pour un moins réaliste mais très beau camaïeu d’ocre et de marron. De plus, ces couleurs sont étouffantes car elles saturent la page. Ce choix renforce l’intimité avec le livre. Alberto Ponticelli fait le choix fort de gribouiller au feutre le visage des Islamistes et leurs drapeaux. Est-ce une volonté de refuser de les représenter pour centrer le regard sur les visages des victimes et des humanitaires ? Est-ce une impossibilité de montrer ces monstres ? C’est un récit de la guerre mais vécue par les victimes civiles.

Dans le chapitre sur le Soudan du sud, le lecteur suit une action non pas sur un pays en guerre mais pendant une sécheresse. Le récit sépare au départ humanitaires et victimes puis ils se retrouvent. Après l’indépendance de ce pays, une famille de patriotes est contrainte à la fuite vers le Soudan – comme de nombreux hommes – à cause du manque d’eau. Malgré les différences, il y a un lien entre les chapitres par le personnel de Programme alimentaire – Leila Helal et un mystérieux agent de sécurité. Revenue aux États-Unis, Leila trouve sa maison artificielle et est contente de repartir sur le terrain. Au contraire, l’homme est un contre exemple car il a perdu toute vie personnelle. En fin de chapitre, Leila a changé – elle s’autorise à avoir une vie personnelle et plus agréable que ces réfugiés. Elle veut toujours agir mais elle n’est plus en colère contre les populations des pays riches – qui vivent dans le confort et ignorent la détresse qu’elle a connue. Elle ne cessera juste pas de ressentir une tension devant ce contraste.

On découvre plus en profondeur la complexité de leur travail et celui du scénariste. En effet, ce chapitre n’aborde pas la guerre entre les deux Soudan. Est-ce l’obligation pour l’association de rester neutre ? Dans le chapitre précédent, il dénonce pourtant Daesh. Pourquoi ? Dysart s’autorise une timide audace scénaristique – le narrateur intervient visuellement dans le récit de ses souvenirs. Tout se passe sur le terrain mais le monde extérieur est évoqué sans cesse – la communication avec les instances centrales de WFP, la nécessité de communiquer pour obtenir des dons, l’appel aux pays donateurs. Cette action de médiatisation créera un émoi international et stimulera l’aide. Certaines pages m’ont posé question – suis-je devenu insensible ? Je ne peux m’empêcher de préférer des livres théoriques aux témoignages des victimes.

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Le dernier chapitre sur le Tchad nous raconte le traumatisme d’Evan Thomas – l’humanitaire asocial des aventures précédentes – et nous explique comment il est devenu si sauvage. Encore une fois, c’est sa première mission. L’humanitaire qui arrive et discute avec un ancien sert à introduire le lecteur. J’ai découvert qu’il existait des tensions entre une réfugiée et ce khawaja – blanc – considéré comme méprisant et hautain. Par un enlèvement, il va découvrir ce que vivaient les réfugiés.

Du point de vue humanitaire, on comprend la complexité de l’acheminement de la nourriture avec le brigandage. Un camp de réfugiés du Darfour est créé par le conflit entre éleveurs nomades et agriculteurs sédentaires. On sent également que le but de ce chapitre est moins de convaincre le lecteur car il est surtout destiné à ce livre. Masioni a un style assez proche mais plus d’organisation autour d’une case en pleine page.

Alors, convaincus ?

UN3 était une bande dessinée en ligne destinée à faire savoir l’action des humanitaires mais c’est aussi un récit fort avec une forte charge affective par le témoignage des réfugiés. Joshua Dysart arrive très bien à retranscrire ces morceaux de vie mais on a l’impression qu’il s’efface devant son sujet. J’ai beaucoup aimé le travail de Pat Masioni sur les nuances de couleurs. J’ai eu plus de mal avec le dessin un peu froid d’Alberto Ponticelli malgré de superbes cases et des choix graphiques audacieux.

Thomas S.

 

 

 

 

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