Les nouveaux locaux de la police judiciaire parisienne dans le quartier des Batignolles — JULIEN DE FONTENAY/JDD/SIPA

POLICE

Rapprochement des polices judiciaires nationale et de Paris, révolution et bisbilles en vue?

Thibaut Chevillard

Le nouveau directeur central de la police judiciaire a évoqué récemment devant les députés les bénéfices d’un rapprochement entre la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) et la police judiciaire de la préfecture de police de Paris (PJPP)

  • Le 22 mai dernier, à l’Assemblée nationale, le directeur central de la police judiciaire a évoqué les bénéfices d’un rapprochement entre la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) et la police judiciaire de la préfecture de police de Paris (PJPP) de Paris.
  • Alors que la Préfecture de police est souvent qualifiée « d’Etat dans l’Etat », le gouvernement actuel entend la réformer.
  • Si certains policiers voient ce rapprochement d’un bon œil, d’autres estiment qu’i’l n’est pas nécessaire de changer le système actuel qui fonctionne.

De Nanterre aux Batignolles, l’audition de ce haut responsable policier a fait beaucoup parler. Voire suscité un peu d’inquiétude. Le 22 mai, devant la commission d’enquête sur les moyens des forces de sécurité, le nouveau directeur central de la police judiciaire a été interrogé par les députés sur un épineux dossier : celui d’un éventuel rattachement des agents de la police judiciaire de la Préfecture de police de Paris (PJPP) à la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ). Pour Jérôme Bonnet, cette évolution – si elle se concrétisait – serait bénéfique aussi bien sur le plan opérationnel que sur celui des moyens et des ressources humaines, selon le compte-rendu publié par l'agence de presse spécialisée AEF.

Pour comprendre pourquoi un tel chantier constituerait une petite révolution dans le monde de la police, il faut remonter au début du XIXe siècle. Par la loi du 28 pluviôse an VIII (17 février 1800) et par l' arrêté du 12 messidor an VIII (1er juillet 1800), Napoléon Bonaparte a confié à un préfet les pouvoirs de police dans la capitale. Depuis, la « PP » jouit d’une autonomie opérationnelle totale vis-à-vis de la direction générale de la police nationale. En d’autres termes, le préfet de police gère comme il l’entend les effectifs placés sous son autorité. Raison pour laquelle la préfecture est souvent décrite comme « un état dans l’état » et le préfet qualifié de « ministre de l’Intérieur Bis ».

« On pourrait partager plus d’informations »

L’architecture de la préfecture de police ressemble fortement à celle de la DGPN (direction générale de la police nationale). Elle aussi dispose d’un service de renseignement (la DRPP), d’une direction chargée du maintien de l’ordre (la DOPC) et donc d’un service de police judiciaire composé de sept prestigieuses brigades : les aventures du commissaire Maigret ont mis en lumière le travail des enquêteurs traquant les meurtriers. Les braqueurs de bijouteries sont pratiquement toujours retrouvés par la BRB (Brigade de répression du banditisme). Quant aux hommes cagoulés de la BRI (Brigade de recherche et d’intervention), ils ont fait preuve à plusieurs reprises d’un grand courage pour libérer des otages ou arrêter des malfaiteurs chevronnés.

Les affaires d’envergures commises dans la capitale et dans les départements limitrophes de la petite couronne sont donc l’apanage des flics du « 36 », qui ont quitté récemment le quai des Orfèves pour le quartier des Batignolles. La DCPJ, qui possède des brigades similaires, n’a pas de compétence sur ce territoire. Ce qui suscite régulièrement quelques tensions entre les deux entités. « On pourrait partager ensemble beaucoup plus d’informations, ce qu’on ne fait qu’exceptionnellement aujourd’hui », déplore notamment un policier de la DCPJ, interrogé par 20 Minutes.

La « PP » fragilisée par des affaires

Depuis longtemps, des voix s’élèvent pour mettre fin à cette spécificité parisienne. En 2011, l’ancien ministre de la Justice, Jean-Jacques Urvoas (PS), proposait dans un livre « l’abolition » de ce qu’il qualifiait d'« hérésie juridique ». Six ans plus tard, le sénateur Philippe Dominati (LR) préconisait dans un rapport de transférer à la DGPN « les compétences du préfet de police en matière de police judiciaire ». « Depuis que j’ai intégré la police judiciaire, j’ai souvent entendu parler de ça », souffle un policier parisien à 20 Minutes. Mais cette fois, l’exécutif semble bel et bien décidé de la réformer.

Les violences commises plusieurs semaines de suite en marge des manifestations des « gilets jaunes » ont valu au préfet Michel Delpuech d’être remplacé par Didier Lallement, installé par Christophe Castaner en mars dernier. Dans sa lettre de mission, le ministre de l’Intérieur lui a fixé deux priorités. Si la première concerne le maintien de l’ordre, la seconde consiste à lancer une vaste réforme de la Préfecture de police. Et qui concernerait aussi sa PJ ? « Rien n’est enclenché » pour l’instant, nous affirme une source ministérielle. Le temps est aux « gilets jaunes ». La réforme attendra un peu. A la DCPJ, dont le siège se situe à Nanterre, certains soufflent que la création d’une police judiciaire compétente sur tout le territoire » serait une bonne chose.

Une « gabegie »

« Aujourd’hui, on demande à tout le monde de faire des efforts en termes budgétaires. Or, il y a deux structures qui coexistent. Ce n’est pas normal », s’emporte ainsi un policier, évoquant une « gabegie ». Pour le secrétaire général du syndicat Synergie Officiers, Patrice Ribeiro, un tel rapprochement « peut être efficace » également sur le plan opérationnel à condition que les agents « ne soient pas dilués dans un grand bloubiboulga, qu’ils gardent leur spécificité, leur identité ». Les limiers de la « PP » et de la DCPJ « travaillent sur des thématiques communes mais leurs chefs ne se parlent pas », explique-t-il à 20 Minutes.

ême son de cloche du côté du syndicat Alternative police CFDT. « Nous soutenons cette démarche comme pour la DRPP », explique à 20 Minutes son secrétaire général, Denis Jacob, soulignant que « des dysfonctionnements de communication transversale entre ces directions de la PP et les directions centrales sont connues de tous. « L’Etat dans l’Etat n’a que trop duré et de nombreux dysfonctionnements avaient été relevés notamment lors des attentats de 2015 », ajoute le syndicaliste.

Que la DCPJ veuille récupérer la PJPP, c’est dans la logique. Mais ce n’est pas sûr que le préfet de police soit prêt à la céder », analyse un policier parisien. Il est vrai que ce haut fonctionnaire perdrait ainsi une partie importante de son pouvoir. « C’est comme si on lui demandait de se couper un bras en lui assurant que c’était logique », ironise un autre policier. De nombreuses questions se poseraient si une telle réforme était un jour mise en œuvre. La brigade des stupéfiants serait-elle rattachée à l’Ocrtis (Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants) ? La BRI au Raid ?

« ourquoi casser un système qui est bon ? »

Et quid des trois districts de police judiciaire et des services départementaux de police judiciaire, chargés des affaires de moyenne délinquance ? « J ne suis pas persuadé que ces collègues seraient d’accord pour intégrer la Dspap (direction de sécurité de proximité de l’agglomération parisienne) », l’équivalent à Paris de la sécurité publique, analyse une source proche du dossier. « Quand on fait une réforme, c’est avant tout pour que les choses s’améliorent », souligne auprès de 20 Minutes Frédéric Lagache, délégué général du syndicat Alliance. « Or, le travail de la PJPP est reconnu. On peut créer plus de passerelles entre les deux structures. Mais pourquoi casser un système qui est bon ? »

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