Les "sleeping giants" (géants endormis) forment un réseau de citoyens qui luttent contre la propagation de la haine sur nternet. — Capture d'écran Twitter

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Qui sont les « Sleeping Giants », ces citoyens qui luttent contre la propagation de la haine en ligne ?

Hakima Bounemoura

Le collectif « Sleeping Giants » (« géants endormis ») a pour objectif d’assécher financièrement les relais de la haine en ligne en privant certains sites d’extrême droite de leurs recettes publicitaires

  • Les Sleeping Giants sont un collectif de citoyens qui luttent contre le financement des discours de haine. « Notre objectif, c’est de frapper les sites d’extrême droite et les émissions véhiculant des contenus haineux au portefeuille ».
  • Après une campagne menée par le collectif, plusieurs marques ont décidé de boycotter l’émission dans laquelle intervient Eric Zemmour sur Paris Première.
  • D’autres annonceurs devraient leur emboîter le pas ce lundi, jour de diffusion de la toute nouvelle émission quotidienne animée par le polémiste sur CNews.

Ils s’appellent les Sleepings Giants, en référence à ces forces en sommeil qui, quand on les réveille, deviennent ultra-puissantes… Depuis quelques jours, ce collectif de citoyens qui lutte contre le financement des discours de haine, est sous le feu des projecteurs. Il a réussi à faire « plier » plusieurs annonceurs, qui ont retiré cette semaine leurs spots publicitaires diffusés sur Paris Première durant l’émission du polémiste d’extrême droite Eric Zemmour. Interpellées sur les réseaux sociaux, les marques Nutella (Ferrero), Maaf, Maif, Groupama ou encore PSA ont ainsi décidé de boycotter l’émission dans laquelle intervient le journaliste, condamné en septembre pour provocation à la haine raciale et religieuse.

D’autres annonceurs devraient leur emboîter le pas ce lundi, jour de diffusion de la toute nouvelle émission quotidienne animée par Eric Zemmour sur CNews. « Notre objectif, c’est de frapper les sites d’extrême droite et les émissions véhiculant des contenus haineux au portefeuille », indique à 20 Minutes le collectif, créé en 2016 aux États-Unis, dans la foulée de l’élection de Donald Trump. Et cela semble fonctionner. Outre Atlantique, le collectif a déjà privé Breitbart News, le site de Steve Banon, de près 90 % de ses revenus publicitaires. En France, les militants ont également de belles victoires à leur actif. Plus de 1.000 annonceurs ont déjà bloqué Boulevard Voltaire, le site d’extrême droite fondé par Robert Ménard, et le site fasciste Breizatao du blogueur Boris Le Lay a lui été quasiment « asséché » financièrement.

Le « name & praise », une méthode très efficace

Les Sleepings Giants sont des citoyens bénévoles, issus de tous milieux, et de toutes les classes d’âge. « Notre action est ouverte à tous, chacun peut nous aider. Notre seul intérêt, c’est lutter contre l’intolérance, la haine et la désinformation qui se répand », explique à 20 Minutes Rachel, l’une des cofondatrices de Sleeping Giants France, qui préfère utiliser un prénom d’emprunt. Comme elle, la plupart des militants du collectif agissent de manière anonyme. « D’abord pour faire face à la violence de la fachosphère, très prompt à nous insulter et nous menacer de mort. Mais aussi parce qu’il serait dangereux de résumer ce mouvement à un leader affiché », ajoute la militante, qui se défend d’appartenir à un courant politique. « L’anonymat est un élément important dans la philosophie des Sleeping Giants. Leur action est comparable à cet égard à celle des Anonymous [célèbre groupe d’hacktivistes] », explique à 20 Minutes Tristan Mendès-France, maître de conférences associé à l’université Paris Diderot, spécialiste des cultures numériques.

L’objectif principal des Sleeping Giants, c’est d’informer les entreprises qu’elles apparaissent, sans doute à leur insu, sur des sites ou des émissions télévisées prônant la haine ou l’intolérance. « C’est leur libre choix de faire de la publicité, mais nous sommes convaincus qu’elles devraient être au courant de leur placement », précise Rachel, qui anime également le compte Twitter du collectif. Avec la publicité automatisée (dite programmatique), « les entreprises ciblent leurs clients potentiels en fonction des sites déjà visités et ignorent, le plus souvent, sur quels supports leurs annonces apparaissent », ajoute Tristan Mendès-France. Même procédé pour les pubs diffusées sur les chaînes de télé. « Les marques achètent des emplacements des mois à l’avance, et sont souvent surprises d’être associées à des programmes qui ne correspondent pas du tout à leurs valeurs », complète ainsi Rachel.

C’est là que le collectif intervient. La procédure consiste à prendre une capture d’écran d’une pub diffusée à côté du contenu d’un site d’extrême droite (ou d’une chaîne diffusant une émission où sont diffusés des propos incitant à la haine) puis d’interpeller publiquement via Twitter l’entreprise qui a financé la publicité. « Mais pas question de dénoncer l’entreprise ou d’appeler au boycott. Au contraire, nous favorisons la communication positive, le name & praise (nommer et complimenter), puis nous diffusons la liste des annonceurs qui se sont retirés », détaille Rachel. Et pour être plus efficace, le collectif met en place des campagnes bien ciblées. « Si vous videz dix sites d’une publicité, ça ne les atteindra pas. En revanche si vous videz un seul site de milliers d’annonces, ça aura un réel impact ! »

« Une nouvelle forme d’activisme »

Toucher au porte-monnaie les médias tenant des propos haineux ou jugés racistes, « c’est une nouvelle forme d’activisme », reconnaît Tristan Mendès-France. « C’est à la base une pratique plutôt anglo-saxonne, mais qui commence à rentrer dans les usages en France. L’idée n’est pas d’interdire ou de boycotter, mais de responsabiliser les acteurs économiques », ajoute le spécialiste des cultures numériques. De plus en plus de « citoyens » semblent aujourd’hui être réceptifs à cette nouvelle forme de militantisme. « Nous recevons chaque jour de très nombreuses candidatures sur les réseaux sociaux d’internautes qui veulent s’investir à nos côtés, et qui voient que nos actions au quotidien aboutissent à de véritables résultats », confirme Rachel, qui tient à préciser que le collectif ne reçoit aucun financement.

Autre preuve de l’efficacité de la méthode, d’autres collectifs s’organisent autour de ce combat. A l’image de l’initiative « Stop Hate Money », portée par le site Conspiracy Watch et pilotée par Tristan Mendès-France, et qui a pour objectif d'« assécher l’éco-système financier » de la fachosphère, ou encore le projet Ripost, qui entend utiliser les coupons publicitaires alloués par les plateformes Internet (comme Google, Bing ou Facebook) à certaines associations. Le gouvernement s’intéresse à ces initiatives. Pourtant en juin dernier, un amendement LREM à la proposition de loi sur la haine en ligne pour empêcher la diffusion de publicités sur des sites visés par une décision judiciaire a été retiré…

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