Marche contre les violences faites aux femmes à Lyon, le 24 novembre 2018. — KONRAD K./SIPA

BATAILLE DES CHIFFRES

Lutte contre les violences sexuelles : Pourquoi la disparition d’un Observatoire de la délinquance inquiète-t-elle les associations ?

Hélène Sergent

Plusieurs associations de lutte contre les violences faites aux femmes s’alarment de la disparition de l’ONDRP annoncée par Edouard Philippe

  • L’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) va disparaître fin 2020 et devrait être transféré à l’Insee, a annoncé Matignon.
  • Cet organisme indépendant fournissait chaque année une étude intitulée « Cadre de vie et sécurité » comprenant, entre autres, les chiffres relatifs aux violences sexuelles commises en France.
  • L'arrêt de cette étude inquiète plusieurs associations de lutte contre les violences faites aux femmes.

Pour le grand public, c’est un acronyme un peu barbare. Mais pour les acteurs de terrain et les associations, l’ONDRP ou « Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales » était une véritable mine d’or. Chaque année depuis 2007, cet organisme publiait le résultat d’une enquête intitulée « Cadre de vie et sécurité » (CVS). A l’intérieur, on retrouvait l’ensemble des chiffres liés à la délinquance, aux sanctions pénales et aux violences exercées en France.

Mais le 4 octobre, le couperet est tombé. Edouard Philippe, le Premier ministre, a annoncé la disparition fin 2020 de cet observatoire et de son organisme de tutelle, l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ). Depuis, les associations de lutte contre les violences sexuelles et violences faites aux femmes s’inquiètent. Selon elles, la disparition des études menées par l’ONDRP risque d’entraver le travail mené par l’ensemble des acteurs mobilisés et d’affaiblir les politiques menées par les pouvoirs publics.

« C’est une catastrophe »

Ulcérée, Caroline de Haas, militante féministe et membre du collectif « #Noustoutes » alerte depuis plusieurs jours sur cette disparition à venir. Selon elle, la décision prise par Matignon aura de nombreuses conséquences. « Ce qu’on ne mesure pas n’existe pas. A partir du moment où on ne dispose pas de chiffres, on se retrouve dans l’incapacité de mobiliser les différents acteurs et d’évaluer l’efficacité des mesures mises en place pour lutter contre la violence. Cette décision est une catastrophe », estime-t-elle. Sans chiffre, comment savoir quel budget allouer à telle ou telle action de sensibilisation ou pour développer tel ou tel dispositif expérimental ?

Sur la question des violences sexuelles comme sur de nombreux sujets relatifs à la délinquance, les idées reçues ont parfois la dent dure. Les chiffres collectés dans ces enquêtes annuelles permettaient de dresser un constat plus affiné de la réalité de ces violences. Au planning familial, ces données étaient régulièrement consultées explique la coprésidente Caroline Rebhi : « Ces statistiques nous permettent d’être plus vigilantes, de pouvoir mieux former les nombreux professionnels qui font appel à nous. C’est grâce, entre autres, à ces travaux qu’on sait par exemple que les violences sexuelles se déroulent davantage dans la sphère familiale. Cela permet de nous orienter lors d’actions de dépistage de violences sexuelles ».

Une enquête complète

Et si la disparition en l’état de l’ONDRP inquiète tant, c’est aussi parce que le mode d’enquête de l’observatoire était unique en la matière. L’enquête « Cadre de vie et sécurité » était menée chaque année, en partenariat avec l’Insee et le service de statistiques du ministère de l’Intérieur et financée par ces trois acteurs. Elle visait un large échantillon (près de 16.000 ménages) âgés de 18 à 76 ans et tous les entretiens étaient menés par des enquêteurs de l’Insee, en face-à-face. « C’était un outil de mesure de la délinquance beaucoup plus fiable que les seuls chiffres du ministère de l’Intérieur puisque les résultats n’étaient pas soumis aux seuls dépôts de plainte. La réalisation de cette enquête depuis 2007 a contribué à la création d’un socle de connaissances sur les violences faites aux femmes », insiste Christophe Soullez, chef de l’ONDRP.

La décision de supprimer cet observatoire découle du «travail de simplification de l'État et de suppression des agences qui a commencé », a expliqué le cabinet d’Edouard Philippe à l’AFP le 8 octobre. Contacté par 20 Minutes, Matignon a toutefois précisé qu’il n’était pas « supprimé » mais « transféré à l’Insee ». Mais les contours de ce transfert restent flous selon le patron de l’ONDRP : « Ce que nous savons, c’est que l’institut, dans sa forme actuelle, doit fermer ses portes fin 2020. La seule chose qui nous a été dite c’est qu’a priori les pouvoirs publics souhaiteraient conserver un observatoire extérieur aux ministères de l’Intérieur et de la Justice mais on ne sait pas vraiment où, ni comment cela va se traduire concrètement. »

« Pas d’équivalent » en France

En attendant, l’enquête « Cadre de vie et sécurité » menée par les équipes de l’observatoire devrait définitivement cesser en 2022. Dans un courrier adressé en avril 2018, le directeur général de l’Insee a annoncé aux équipes de l’ONDRP qu’il souhaitait se retirer de cette enquête fin 2021. Or les alternatives sur le sujet sont rares.

« L’Ined [l’Institut national des études démographiques] a abordé les violences sexuelles lors de son enquête Virage publiée en 2017. Mais elle a eu lieu une année, elle n’a pas été renouvelée. Certains instituts de sondage se penchent aussi parfois sur le sujet mais très sincèrement, quand vous arrivez devant les pouvoirs publics avec un sondage d’opinion, en termes de crédibilité, ça n’a pas le même poids qu’une enquête de l’ONDRP », déplore Caroline de Haas.

Un constat partagé par Christophe Soullez : « En l’état, il n’y a pas d’équivalent. Même si d’ici là on trouve un autre dispositif, on ne pourra plus comparer les nouveaux chiffres avec les précédentes enquêtes. En supprimant ce suivi des violences sexuelles, on va casser un précieux thermomètre ».

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