La pandémie de coronavirus "est notre chance de changer le monde"

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Légende image, Pour Bregman, la pandémie de coronavirus nous a donné notre meilleure possibilité de changement.

2020 est l'année qui a changé le monde tel que nous le connaissions.

Alors que le coronavirus se répand sur la planète, détruisant la santé des personnes et la richesse de nombreux pays, les inégalités, l'injustice sociale et les effets à long terme du racisme systémique sont devenus plus apparents que jamais.

De nombreuses personnes se sont mobilisées contre ce phénomène : du mouvement Black Lives Matter à la réduction de l'écart entre les sexes, les humains peuvent-ils changer la donne et construire une meilleure société sur les ruines de la pandémie ?

Rutger Bregman, historien et star des réseaux sociaux, pense que c'est une chance comme il ne s'en est jamais présentée.

Cet historien qui a fait remis l'élite à sa place lors du Forum économique mondial de Davos et auteur d'Utopies réalistes et Une Histoire Optimiste de l'Humanité affirme que la pandémie de coronavirus nous a donné notre meilleure possibilité de changement.

Du mouvement Black Lives Matter à la réduction de l'écart entre les sexes, la crise a rendu les inégalités et l'injustice plus apparentes que jamais. Alors, les humains peuvent-ils traverser la crise et construire une société meilleure à partir des ruines du confinement introduit pour lutter contre le virus Covid-19 ?

Les "stupides projets philanthropiques"

Bregman
Légende image, Rutger Bregman

Les livres de Bregman - notamment Utopies réalistes et Une Histoire Optimiste de l'Humanité - ont été traduits dans plus de 30 langues et lus par des millions de personnes dans le monde entier.

Il est devenu célèbre pour avoir utilisé l'histoire afin de démystifier le mythe du misanthrope - l'idée que, si on leur en donnait la possibilité, les humains choisiraient toujours d'être égoïstes et haineux par nature - et il préconise plutôt de placer la bonté comme nouvelle valeur fondamentale de l'humanité.

Mais pour beaucoup, Bregman a fait sensation du jour au lendemain au Forum économique mondial de Davos, où il a dit à une assemblée de milliardaires d'arrêter l'hypocrisie.

"1 500 jets privés sont arrivés pour entendre Sir David Attenborough [environnementaliste] parler de la façon dont nous détruisons la planète", a-t-il déclaré, déconcerté.

Il leur a dit de cesser de parler de "stupides projets philanthropiques" et de se concentrer sur "la véritable question de l'évasion fiscale (...) et du fait que les riches ne paient pas leur juste part".

Chaque crise peut être un tournant

"Les historiens savent depuis longtemps que les crises peuvent être des points de changement pour les sociétés" dit Bregman à la BBC.

S'exprimant avec peu d'optimisme sur Zoom depuis sa maison aux Pays-Bas, il affirme qu'"Il est très facile d'imaginer comment la crise du coronavirus peut nous mener sur un chemin très sombre, l'histoire nous dit que les personnes au pouvoir ont tendance à profiter des crises".

"Il suffit de regarder la majeure partie du 20e siècle : l'incendie du Reichstag [en Allemagne] et la montée d'Hitler... Pensez au 11 septembre, qui a donné lieu à deux guerres illégales, puis à une surveillance massive des citoyens par le gouvernement...", ajoute-t-il.

Mais il y a aussi de bonnes raisons d'être optimiste, car des idées qui, il y a quelques années seulement, auraient pu être considérées comme trop radicales, "se généralisent" aujourd'hui, selon l'auteur.

Des choses telles que "des impôts plus élevés pour les riches, un nouveau pacte vert pour résoudre le changement climatique, ou l'introduction d'un revenu de base universel pour éradiquer la pauvreté...Il y a cinq ans, rien de tout cela n'aurait été à l'ordre du jour", dit-il, et pourtant maintenant "les responsables politiques du monde entier en discutent".

Éliminer le racisme, l'inégalité et la pauvreté

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Légende image, Manifestation anti raciste

Bregman dit que c'est une sorte de paradoxe, mais souvent, lorsque nous pensons que les choses sont pires que jamais, c'est parce qu'elles ont déjà commencé à s'améliorer. "L'inégalité, la pauvreté, le racisme... quand on voit l'indignation, c'est aussi quand on commence à voir des progrès",affirme-t-il.

Selon Bregman, c'est également le cas du mouvement Black Lives Matter aux États-Unis et dans le monde entier : "On pourrait penser que le racisme s'aggrave, mais maintenant on en parle plus que jamais."

"Le racisme est si profondément ancré dans notre histoire", mais voir les manifestants le dénoncer dans le monde entier montre "qu'il y a des raisons d'espérer : cela montre que nous pouvons et que nous devons changer cela",pour Bregman.

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Il en va de même pour l'évasion fiscale.

"Toutes ces multinationales, les milliardaires, qui font le tour du monde en cachant de l'argent dans des paradis fiscaux", dit Bregman, "personne n'en parlait il y a 15 ans", mais maintenant, de plus en plus de gens trouvent ouvertement que c'est contraire à l'éthique et inacceptable, "maintenant on en parle beaucoup plus, et on est en colère".

Réaliser qui compte dans la société

Una enfermera preparando equipo médico en una unidad de cuidados intensivos en Francia, en abril de 2020.

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Légende image, Tout le monde s'est rendu compte que "les travailleurs qui étaient vraiment importants étaient les éboueurs, les enseignants, les infirmières....

Pour Bregman, l'un des moments les plus intéressants de la pandémie a été lorsque les gouvernements du monde entier ont établi des listes de travailleurs essentiels.

Vous regardez ces listes et vous vous demandez : "Hé, où sont les gestionnaires de fonds spéculatifs et les banquiers", dit-il.

C'était une reconnaissance publique du fait que "les personnes qui comptent vraiment sont les éboueurs, les enseignants, les infirmières..."

"Les personnes qui souvent ne perçoivent pas les plus hauts salaires, ou les professions qui ne sont pas considérées comme les plus prestigieuses, se sont révélées essentielles",souligne-t-il.

Bregman pense également que ce pourrait être un moment décisif pour toute une génération qui choisit ce qu'elle veut être en grandissant.

"Nous pourrions repenser la valeur du travail. Dans les années 80 et 90, pour beaucoup de jeunes, la définition du succès aurait pu être d'aller à Wall Street ou dans la Silicon Valley",affirme-t-il.

Mais aujourd'hui, les jeunes pensent peut-être : "Hé, peut-être que je veux faire un travail qui fait vraiment la différence. Je veux apporter quelque chose de valeur", selon l'auteur.

Un salaire équitable et du respect

"Les riches devraient payer des impôts, pas faire des dons de charité", dit Bregman.

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Légende image, "Les riches devraient payer des impôts, pas faire des dons de charité", dit Bregman.

"Nous parlons ici de deux choses : la redistribution du respect et la redistribution des revenus. Et il y a autre chose : "l'idée d'un revenu de base universel. Vous donnez à chacun une allocation mensuelle qui suffit à couvrir ses besoins fondamentaux en matière de nourriture, de logement et d'habillement",dit-il.

Selon Bregman, ce serait le moyen le plus sûr de lutter contre l'inégalité, la pauvreté et l'instabilité de l'emploi. Cela donnerait également aux travailleurs essentiels sous-payés "un pouvoir de négociation beaucoup plus important" au cas où ils estimeraient devoir faire grève.

"Nous savons, grâce à des recherches récentes, que dans les économies modernes, environ 25 % de la main-d'œuvre pense que son travail n'apporte pas vraiment de valeur ajoutée",dit-il.

Souvent, ces personnes "ont de bons salaires et sont allées dans les meilleures universités", et pourtant elles ne sont pas sûres de la valeur de leur contribution, déclare Bregman.

"C'est un vrai gaspillage que nous ne pouvons pas nous permettre. J'espère que la crise du coronavirus pourra être le départ d'un changement de ceci aussi", affirme-t-il.

Bregman souhaite que les gens cessent de penser "Je ne veux plus écrire de rapports que personne ne lira", mais qu'ils disent plutôt "Je pourrais vraiment faire quelque chose avec mes compétences et mon talent".

La génération qui va changer le monde

Greta Thunberg fait partie de "la génération la plus progressiste que ce monde ait jamais connue", selon Bregman.

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Légende image, Greta Thunberg fait partie de "la génération la plus progressiste que ce monde ait jamais connue", selon Bregman.

"Ce que nous constatons actuellement est un changement générationnel", déclare Bregman.

Pour lui, les jeunes d'aujourd'hui constituent "la génération la plus progressiste que ce monde ait jamais connue".

"Ils sont pro-démocratie, ils veulent le changement, ils sont tellement conscients du danger de la crise climatique, ils sont très en colère contre l'inégalité croissante", dit-il.

Bregman affirme que si seuls les moins de 40 ans étaient autorisés à voter, nous aurions une autre génération de leaders mondiaux au pouvoir.

"Au Royaume-Uni, les travaillistes gagneraient partout. Aux États-Unis, Bernie Sanders serait le candidat présidentiel le plus susceptible de devenir le président américain en novembre prochain", affirme Bregman.

"Que vous soyez de gauche ou de droite, c'est un fait : cette nouvelle génération arrive et elle va tout changer",dit-il.

"La survie des sans-gêne"

Ce qui motive la jeune génération, dit Bregman, c'est une réaction contre l'élite actuelle et son comportement intolérable.

"Les élites inventent des règles pour le reste du peuple, mais ces règles ne semblent pas s'appliquer à eux",dit-il.

Il y a plusieurs exemples, dit Bregman, "Regardez ce qui s'est passé au Royaume-Uni avec Dominic Cummings [conseiller en chef du gouvernement]. Il a clairement enfreint les règles de confinement. Mais malgré tout, il n'a pas démissionné".

"C'est ce que l'on peut appeler la survie des sans-gênes", dit Bregman.

Il dit que l'une des choses les plus extraordinaires à propos des êtres humains est leur capacité à "ressentir potentiellement de la honte". "C'est quelque chose de très important pour maintenir nos sociétés unies. Nous sommes l'une des très rares espèces de tout le règne animal à avoir la capacité de rougir. C'est vraiment, vraiment important que nous puissions le faire, parce que cela nous aide à nous faire confiance et à coopérer", dit Bregman.

"Mais quand on y pense, à quand remonte la dernière fois que quelqu'un comme Boris Johnson au Royaume-Uni, Donald Trump aux États-Unis ou Bolsonaro au Brésil a rougi en public ?", demande Bregman.

Je pense qu'il est très inquiétant que nous ayons construit ces systèmes politiques où nous permettons cette "survie pour les sans-gêne". "Nous ne sommes plus tout à fait en mesure de contrôler ceux qui sont au pouvoir", dit Bregman, "il y a beaucoup de travail qui doit être fait dans cette sphère".

Oubliez l'optimisme, c'est une question d'espoir

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Si Bregman devait donner des conseils à un jeune de 15 ans inquiet, ce serait "Tu n'as pas besoin d'être optimiste. L'optimisme est une forme de complaisance".

Il veut que les jeunes se méfient du message selon lequel "Tout va bien se passer".

"Ce n'est clairement pas le cas", dit-il, "Il y a des choses vraiment, vraiment inquiétantes qui se passent : le changement climatique, l'extinction des espèces..."

"Et il y a beaucoup de travail à faire : "Nous devons faire ce qui n'a jamais été fait auparavant en temps de paix : nous devons totalement révolutionner et transformer toute notre économie en quelques décennies seulement", déclare M. Bregman.

Alors, que pouvez-vous être ? "Je pense que vous pouvez être plein d'espoir. Et l'espoir est quelque chose de très différent de l'optimisme".

"Il s'agit de la possibilité d'un changement. C'est ce qui vous pousse à agir et à faire partie de la solution", dit Bregman.

"Et il y a tant de raisons d'espérer : il suffit de regarder les cinq dernières années. Qu'avons-nous vu ? Nous avons vu le plus grand mouvement de justice climatique de l'histoire, lancé par une jeune suédoise de 16 ans. Nous avons vu les énormes manifestations antiracistes aux États-Unis, les plus grandes que j'ai vues de toute ma vie...", explique-t-il.

"L'esprit du temps est en train de changer et nous entrons dans une ère différente, tant au niveau de la science que de la société", dit-il.

"Notre superpuissance secrète en tant qu'espèce est de coopérer", dit Bregman, "et c'est ce qui se passe en ce moment".

"Fini le cynisme. L'espoir est là", dit-il.