BFMTV
Bandes dessinées

Mort à 54 ans de Kentarō Miura, le créateur du manga "Berserk"

Détail de la couverture du premier tome de "Berserk"

Détail de la couverture du premier tome de "Berserk" - Glénat

Le dessinateur, qui a tenu en haleine ses lecteurs pendant plus de 30 ans avec son chef-d'œuvre de dark fantasy, sur les aventures du guerrier surpuissant Guts, est mort début mai.

Kentarō Miura, le créateur du manga Berserk, unanimement considéré comme un des chefs-d'œuvre du 9e Art, a succombé le 6 mai dernier à une dissection aortique aiguë, ont annoncé ce jeudi son éditeur Hakusensha et la revue Young Animal, dans laquelle il publiait depuis 1989 sa série. Il avait seulement 54 ans.

Né en 1966, Kentarō Miura avait débuté sa carrière en 1985 dans la revue Weekly Shonen Magazine avec le one-shot Futatabi, avant de publier en 1988 dans Monthly Comicomi une première version de Berserk. Depuis octobre 1989, ce maître de la dark fantasy se consacrait à son grand-œuvre, écoulé depuis à plus de 40 millions d'exemplaires dans le monde - et adapté plusieurs fois sous forme de séries et de films. Son influence est considérable: de Gladiator à L'Attaque des Titans en passant par la série de jeux vidéo Souls (Demon's Souls, Dark Souls), on ne compte plus les œuvres qui s'y réfèrent.

Berserk restera inachevé

Série composée de quarante tomes, mais toujours en cours de publication, Berserk restera inachevé. En disparaissant, Kentarō Miura emporte avec lui le dénouement de cette œuvre sombre et sans concession, qui suit les aventures du guerrier surpuissant Guts dans un univers désespéré ressemblant à notre Moyen-Âge. Le dessinateur avait publié le 22 janvier dernier un ultime chapitre, le 363, baptisé en japonais Chōen.

En 2019, lors d'une interview accordée à son éditeur français Glénat, Kentarō Miura avait mentionné ses craintes de mourir avant la fin de sa série: "Je prie pour réussir à la finir de mon vivant", avait-il lancé sur le ton de la plaisanterie, avant d'ajouter:

"Je prends soin de moi. Le principal changement est là. À l’époque où j’ai débuté la série, je m’occupais moins de sa fin que de raconter une histoire qui, de toute façon, se terminerait tôt ou tard ; mais aujourd’hui où j’ai pris conscience que la vie n’est pas éternelle, c’est en prenant soin de ma santé que je tente de boucler la série."

Un grand dessinateur

Doté d'une culture graphique hors du commun, Kentarō Miura avait puisé dans le folklore européen (elfes, trolls, etc.), mais aussi la peinture classique (Goya, Bosch) les gravures du XIXe siècle (Gustave Doré), le cinéma anglo-saxon (Alien, Hellraiser) et les mangas (Ken le Survivant, Devilman) pour imaginer un monde d'une originalité et surtout d'une noirceur inédites dans la culture populaire.

Miura avait été distingué en 2002 pour Berserk dans la catégorie prix de l'excellence du prestigieux prix culturel japonais Osamu Tezuka. Son sens du détail était tel qu'il laisse derrière lui une œuvre certes inachevée, mais avant tout vertigineuse où chaque case dissimule des dizaines de secrets, décryptés en partie dans le livre Berserk: A l’encre des ténèbres du vidéaste Alt236.

"Avec le temps, j’ai porté de plus en plus d’attention aux détails, limite trop", avait concédé Kentarō Miura à Glénat. "Ces derniers temps, par contre, j’essaie de rendre mon dessin plus lisible."

Si la violence de ses histoires (et la récurrence des scènes de viol) a pu rebuter certains lecteurs, Kentarō Miura était considéré comme un dessinateur d'exception, avec un sens aigu de la mise en scène et du design des personnages et des monstres. Il avait détaillé dans les colonnes du Figaro en 2019 son processus créatif:

"Jusqu’aux premiers épisodes sur la troupe du Faucon, je créais mes personnages en exagérant les traits de mes propres amis et connaissances, ce qui les rendait naturellement vivants, même si je ne les développais pas. Mais cette technique finit forcément par montrer ses limites, quand on est mangaka. Car le travail de mangaka consiste à rester assis à son bureau, sans possibilité d’élargir ses relations humaines. Par la suite, j’ai donc été obligé de créer des personnages de toutes pièces."
Couverture des deux premiers tomes de "Berserk"
Couverture des deux premiers tomes de "Berserk" © Glénat

Influencé par Mad Max

On lui doit ainsi la création de personnages inoubliables - Griffith, Zodd, Puck, la troupe du Faucon, les God hand - et toute une mythologie qui devrait être encore analysée pendant des décennies. Pour Guts, héros taciturne et surpuissant de Berserk qui affronte une horde de créatures monstrueuses pour se défaire des traumatismes de son enfance, Kentarō Miura avait confié s'être inspiré du personnage de Mad Max, incarné par Mel Gibson:

"À l’origine, l’image de Guts vient essentiellement du premier Mad Max", avait-il raconté au Figaro. "Pour faire court, partir d’un monde avec un héros sombre qui brûle de se venger, vous pousse à imaginer un personnage enragé. Quand, guidé par sa colère, il va déverser cette rage sur des ennemis surpuissants, il faut insister sur son fanatisme si on veut rester cohérent. Voilà pourquoi j’ai trouvé que 'berserk' ferait un titre parfait pour représenter mon univers."

Kentarō Miura était aussi un scénariste hors pair, capable de choix radicaux pour respecter la cohérence de son œuvre, quitte à s'aliéner une partie de son lectorat. Un des arcs les plus marquants de Berserk reste ainsi celui du Sabbat, où il sacrifie dans une séquence très impressionnante l'essentiel de ses personnages. Un choix gonflé, qui avait fait perdre une partie de sa popularité à la série, mais qui s'était avéré payant sur le long terme: depuis, Berserk et Kentarō Miura sont entrés dans la légende.

https://twitter.com/J_Lachasse Jérôme Lachasse Journaliste BFMTV