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"Il avait une attitude néo-colonialiste": d'anciens salariés d'Assu 2000 décrivent le système Bouthier au Maroc

La ville de Tanger, au Maroc.

La ville de Tanger, au Maroc. - Jobt1962, CC BY-SA 4.0, Wikimedia Commons

Jacques Bouthier, mis en examen pour "viols sur mineures" et "traite d'êtres humains", se rendait régulièrement à Tanger. Là-bas, il aurait ciblé de nombreuses jeunes femmes dans des situations précaires.

Une semaine après la mise en détention provisoire de Jacques Bouthier, inculpé pour viols sur mineures et traite d'êtres humains, le système mis en place par l'ancien patron d'Assu 2000 pour avoir des relations sexuelles avec de très jeunes femmes se dessine progressivement.

"Il venait faire son marché au Maroc"

C'est de l'autre côté de la Méditerranée que les regards se tournent désormais, plus précisément à Tanger, cité portuaire du Royaume du Maroc où est situé un centre d'appels d'Assu 2000. Jacques Bouthier, en sa qualité de dirigeant de l'entreprise, s'y rendait régulièrement. Pour rendre visite à ses équipes, mais également repérer de nouvelles victimes, comme l'ont assuré à BFMTV plusieurs anciens employés du centre d'appels.

"En fait, il venait faire son marché au Maroc. Son type, c'était des Marocaines jeunes, minces et plutôt petites. Il passait beaucoup de temps au standard (...) mais il draguait tout ce qui bouge. Lorsqu'il faisait le tour des plateaux, il allait voir les filles et il les invitait dans une villa", témoigne ainsi Khamisse, ancien salarié et manager d'Assu 2000 à Tanger.

Un témoignage corroboré par Ghita, qui a également travaillé pour le compte d'Assu 2000 à Tanger. "Rapidement, j'ai reçu plusieurs plaintes. Une dizaine peut-être. Les filles se sont plaintes de l'attitude de Jacques Bouthier. Elles me disaient : 'Il m'a touché les seins. Il m'a mis la main aux fesses.' Ce n'est jamais allé au commissariat. Mais c'était problématique. J'en ai parlé à mes managers rapidement. Ils m'ont dit : 'Il ne faut pas en faire tout un plat. Il faut dédramatiser', explique-t-elle.

L'attitude du patron était devenue tellement problématique que Ghita s'est à l'époque vue contrainte de mettre en place des stratégies, afin d'éviter tout contact avec Jacques Bouthier.

"Je conseillais aux filles d'aller aux toilettes ou de prendre une pause quand il arrivait sur le plateau", se souvient-elle. De son côté, Khamisse assure que Jacques Bouthier se plaisait à organiser des défilés calqués sur la célèbre marque de lingerie Victoria's Secret dans une villa.

C'est l'image d'un dirigeant d'entreprise considérant ses employées comme autant de proies à s'accaparer qui se dessine peu à peu. Ses venues à Tanger étaient d'ailleurs régulières, une fois par trimestre. Et le centre d'appels n'était pas son seul terrain de chasse. Jacques Bouthier organisait également des séminaires et diverses réunions dans le royaume chérifien, à Fès, Ouarzazate ou encore Marrakech.

Les très jeunes femmes précaires comme cibles

En France, l'affaire Jacques Bouthier a débuté avec le témoignage d'une jeune femme de 22 ans, "recrutée" par le millionnaire alors qu'elle était mineure, en grande difficulté personnelle et familiale. Soit le même profil que la jeune femme de 14 ans qui lui a succédé. Au Maroc, l'ancien patron d'Assu 2000 profitait également de sa richesse et de sa position pour faire tomber dans son giron de jeunes femmes aux ressources financières limitées et ne pouvant parfois pas se permettre de refuser ses propositions. "C'était son terrain de chasse favori", indique à BFMTV un ancien manager.

"Il faut bien comprendre qu'ici, au Maroc, c'est très dur de trouver du travail. La plupart des filles n'étaient pas originaires de Tanger mais elles étaient venues pour travailler pour Assu 2000. Et la plupart envoyaient de l'argent à leur famille. Si elles perdaient leur boulot, c'était dramatique. Jacques Bouthier le savait et l'utilisait. Il choisissait ses victimes. Il visait principalement le service standard parce que c'est là que se trouvent les filles les plus jeunes, de 19 à 26, 27 ans peut-être. Et les moins diplômées. Celles qui peuvent le moins dire 'non'", déclare Ghita.

Plus pernicieux encore, Jacques Bouthier organisait dans son entreprise des concours truqués pour pouvoir partir en vacances avec, encore une fois, de très jeunes femmes. Khamisse se rappelle ainsi avoir gagné un concours interne chez Assu 2000 grâce aux nombreux contrats qu'il signait. À la clé? Un séjour de cinq jours tous frais payés au Mexique. "Mais ils ont changé les règles pour que je n'y aille pas. En fait, c'est parce qu'il ne voulait que des filles lors de ces voyages", déclare-t-il aujourd'hui.

Des relations avec la police locale?

Lors d'un échange de SMS avec son ancien patron, Khamisse a également reçu des menaces à peine voilées de Jacques Bouthier, laissant entrevoir les méthodes que pouvait déployer l'homme qui n'a pas hésité à mettre sur pied un commando en début d'année pour récupérer une vidéo où on l'aperçoit au lit avec une fille de 14 ans.

"Si tu persistes à vouloir nous emmerder, tu vas nous mettre dans l'obligation de te donner une bonne leçon. (...) Je n'aime pas les escrocs. Veux-tu que j'en parle à mes amis de la police de Tanger", mets ainsi en garde Jacques Bouthier, dans un échange de messages qu'a pu consulter BFMTV.

De quels "amis de la police de Tanger", parlait donc le septuagénaire? Bénéficiait-il de passe-droits dans l'administration locale de par sa richesse? A-t-il corrompu des fonctionnaires de police? Autant de questions qui laissent envisager le travail d'investigation colossal qui attend les enquêteurs, sur cette affaire qui s'étend désormais des deux côtés de la Méditerranée. Ghita, elle, l'assure: "Il faisait comprendre qu'il avait de l'argent et pouvait s'acheter ce qu'il voulait, y compris la police".

Signe de l'impunité dont croyait bénéficier Jacques Bouthier, il a même profité d'une réception organisée au consulat de France à Tanger pour tenter d'approcher une nouvelle victime. C'est ce qu'assure à BFMTV Nour (le prénom a été modifié) une jeune Marocaine licenciée en novembre 2021 d'Assu 2000 pour avoir refusé les avances du grand patron.

Lors d'une réception organisée dans l'enceinte de la représentation française dans la ville marocaine, Jacques Bouthier avait indiqué à Nour: "Vous êtes belle, vous méritez d’être traitée comme une reine", avant de mentionner des "petites cachettes" dans le consulat.

Pour Ghita, le comportement de Jacques Bouthier à l'égard des jeunes Marocaines témoigne d'une certaine vision du monde. "Je ne sais pas si on peut parler de racisme. Je dirais plutôt qu'il avait une attitude néo-colonialiste. (...) Il s'en foutait du consentement. Il disait : 'Les Marocaines, ce sont des goldy girls. Elles ne veulent que de l'argent'".

Vincent Vantighem, avec Jules Fresard