« Les résultats financiers 2018 (de Renault) vont être excellents », prévenait du fond de sa prison Carlos Ghosn, dans son interview aux Echos du 1er février. Et ce, alors que « la performance de Nissan a baissé durant les deux dernières années… vous voyez bien qu’il y a un problème », précisait l’ex président de la firme nippone et ancien PDG de Renault. Thierry Bolloré, nouveau directeur général du constructeur tricolore, a effectivement annoncé ce jeudi une honorable marge opérationnelle de 6,3% pour Renault (actionnaire de Challenges) l’an passé. Son allié japonais avait pour sa part affiché mardi une marge de 3,7% seulement (sur les trois premiers trimestres de son exercice fiscal, avril-décembre 2018). Jamais l’écart entre les deux alliés (2,6 points) n’a été aussi grand… en faveur de Renault. C’est en 2016 que la firme de Boulogne-Billancourt a doublé Nissan. En 2017, l’écart n’atteignait encore que 1,8 point.
L'Alliance moins déséquilibrée que naguère
Depuis la conclusion de l’Alliance franco-japonaise en mars 1999, pourtant, Nissan générait systématiquement de meilleurs résultats que Renault. Au point que, au sein du gouvernement à Paris, d’aucuns reprochaient au double patron Carlos Ghosn de favoriser systématiquement la société de Yokohama. En 2005, Nissan n’engrangeait-il pas une marge de 9,2% (3,2% pour Renault) ? Mais l’ex-Régie a obstinément amélioré sa performance opérationnelle depuis le point bas de 2012 (1,8%), et ce jusqu’en 2017 (6,6%).
L’Alliance apparaît donc aujourd’hui nettement moins déséquilibrée que naguère, même si Nissan demeure un tiers plus gros que Renault en chiffre d’affaires. Une évolution fondamentale, qui permet au groupe tricolore et à l’Etat français (son actionnaire à 15%) de parler légitimement plus fort dans les tractations avec Nissan sur l’avenir de l’Alliance. Jean-Dominique Senard, qui entame ce jeudi sa première visite de deux jours au Japon dans ses nouvelles fonctions, doit d’ailleurs y rencontrer Hiroto Saikawa, le bouillant directeur général de Nissan.
Précédé de sa réputation de diplomate, celui qui demeure également patron de Michelin (jusqu’en mai) l’avait rencontré une première fois à Amsterdam les 31 janvier et 1er février. Et ce, en vue notamment de la prochaine assemblée générale extraordinaire du japonais, le 8 avril, qui mettra un terme au mandat d'administrateur de Carlos Ghosn, arrêté le 19 novembre dernier. Cette assemblée devrait entériner son remplacement par Jean-Dominique Senard, qui pourrait également devenir président du japonais. Prudent et soucieux d’apaiser les esprits, ce dernier a toutefois déclaré ce jeudi qu'il était prématuré d’en discuter à ce stade.
Résultat en net baisse à cause de Nissan
En 2018, les résultats de Renault ont- il est vrai- baissé quelque peu. Le chiffre d’affaires a en effet fléchi de 2,3%, à 57,14 milliards d’euros, à cause d’un effet devises négatif (-2,24 milliards d’euros d’une année sur l’autre) dû à la chute du peso argentin, du real brésilien et de la livre turque. Renault est très implanté en Amérique du sud et en Turquie. Ses ventes de véhicules aux partenaires (Nissan, Mercedes, Fiat) ont également reflué et ses propres volumes ont subi la fermeture du marché iranien et des reculs en Inde et en Asie-Pacifique. Mais « toutes les régions sont rentables », souligne Thierry Bolloré, qui présentait pour la première fois les résultats annuels du groupe. Le résultat d’exploitation a du coup fléchi de 242 millions, à 3,61 milliards d’euros, l’an passé. Mais c’est surtout le bénéfice net qui a plongé de près de 37%, à 3,45 milliards. Sous l’effet notamment d’un plongeon de la quote-part de Nissan dans ce résultat (1,5 milliard l’an passé, contre 2,79 milliards l’année précédente).
Thierry Bolloré a cependant essayé de rassurer les analystes. « Renault a maintenu en 2018 une performance élevée malgré une détérioration de son environnement », a-t-il affirmé, avec pour objectif en 2019 un chiffre d’affaires en hausse, une marge opérationnelle supérieure à 6% et un flux de trésorerie positif pour l’automobile. Le groupe au losange (Renault, Alpine, Dacia, Lada, Samsung Motors, Jinbei et Huasong) se montre toutefois plus prudent que l'an dernier sur ses objectifs annuels. Le nouveau directeur général a par ailleurs confirmé les objectifs du plan « Drive the future » (2017-2022) avec à terme un chiffre d’affaires supérieur à 70 milliards d’euros, 5 millions de ventes annuelles (3,88 millions l’an dernier) et une marge de plus de 7%. La Bourse a réagi par une hausse du titre de 3,16% (à 14h30).
Mauvaise année pour l'allié japonais
Entre avril et décembre 2018, Nissan avait de son côté enregistré un résultat net en recul de 45% à 316 milliards de yens (2,5 milliards d'euros), alors que ses ventes trébuchaient en Europe et surtout aux Etats-Unis, son premier marché. « Nous avions la vieille habitude d'y pousser les ventes, toujours et toujours, en usant de promotions », a reconnu humblement Hiroto Saikawa. Il en a d’ailleurs profité pour lancer indirectement une pique à son ancien mentor. Sous-entendu : la ruineuse guerre des rabais outre-Atlantique était imputable aux temps où Carlos Ghosn dirigeait la firme.
Le constructeur de l’Archipel table désormais sur un bénéfice net de 410 milliards de yens (3,6 milliards d’euros) pour l'ensemble de l'exercice, qui prend fin en mars 2019, contre… 500 milliards précédemment escomptés. Le chiffre d'affaires annuel est attendu à 11.600 milliards de yens (-2,9%, à 90 milliards d’euros).
L'Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi (MMC) est restée en 2018 le numéro un mondial des voitures et utilitaires légers (si l’on exclut donc les poids-lourds), avec une hausse globale de 1,4% à 10,76 millions d'unités. Nissan annonce avoir vendu 5,65 millions de véhicules l'an dernier (-2,8% en année calendaire). Mitsubishi a accru ses volumes de 18% à 1,22 million d'unités et Renault (de 3,2% à 3,88 millions). Même sur le front des ventes, l’écart entre Nissan et Renault s’est donc un peu réduit l’an dernier !