C'est la nouveauté de cette élection présidentielle française: elle passionne les marchés. Pourquoi? A cause de Marine Le Pen bien sûr. Et pourquoi elle? Parce qu'elle propose un référendum pour sortir de l'euro. Et le Frexit n'aurait rien à voir avec le Brexit. La sortie de l'euro signifierait notamment que l'agence de notation S&P, la plus influente, placerait la dette en catégorie " SD ", pour " selective default ". Une décision dont les conséquences sont inimaginables, la référence la plus courante étant celle de l'Argentine, qui a mis une bonne décennie à s'en remettre. Rien à voir donc avec la sortie programmée de l'Union européenne des britanniques, qui n'a guère fait cillé les agences de rating.
Prévoir le quatrième tour
Pour cette raison, les salles de marchés ont mis des moyens importants pour analyser les élections françaises. La présidentielle, bien sûr, mais aussi les législatives qui suivront. Les algorithmes de probabilité et d'analyse qui tournent d'habitude sur les chiffres macro-économiques et les résultats des entreprises cotées ont été branchés sur les sondages. Cela enlève du même coup un peu de crédibilité à l'exercice mais tout de même. Certains résultats sont assez éclairants, et surtout il y a beaucoup moins de tabous et de prévention que ce qu'on reprend habituellement dans les médias. Pas grand monde, hormis dans les salles de marchés, ne s'amuse par exemple à faire des prévisions sur le deuxième tour des législatives avant le premier tour de la présidentielle.
Qu’est-ce que cela donne?
Lisons par exemple une étude drôlement titrée " House of Cards à la française " envoyée le 8 mars auprès des investisseurs clients de Oddo Securities, l'un des principales sociétés de Bourse de la place de Paris. Le chef économiste de cet établissement, Bruno Cavalier, a mis au point un modèle à partir des matrices de report des voix en 2012 et du mode de scrutin majoritaire à deux tours, qui entraîne des " triangulaires ". Il a branché dessus les prévisions de score de Marine Le Pen au premier tour de la présidentielle. Le résultat est assez stupéfiant. Scénario " central ": elle fait 25%, contre moins de 20% en 2012, ce qui correspond aux sondages actuels. On passe d'un coup de 2 à 57 députés. A priori ce n'est pas dramatique, voire même plutôt démocratique, puisque ce parti pourra s'exprimer dans des conditions normales, avec un groupe parlementaire.
Autre scénario: elle fait plus que 25%, disons 30%. Et là, le logiciel d'Oddo Securities nous fait passer le nombre de députés FN d'un coup à…136 députés. Certes ce n'est pas la majorité absolue (il faut 28% pour arriver à 290 députés) mais cela pourrait être très destructeur, puisque suffisant pour priver les autres partis d'une majorité absolue. " Ce risque vaut particulièrement si Emmanuel Macron est élu, car malgré les ralliements nombreux à sa cause, son mouvement politique, de création récente, n'a pas l'implantation locale des partis traditionnels " explique la note d'Oddo Securities à rebours du discours ambiant sur le" vote utile " en faveur de l'ex-ministre de l'Economie de François Hollande et Manuel Valls.
L’alternative serait alors une majorité relative, un système mal adapté aux institutions de la Ve République et par définition porteur d’incertitudes. Manœuvres politiciennes, recours répété aux électeurs, voire au référendum plébiscite: on connait la destructrice chanson italienne par exemple. Plus près de nous, il y a un certain François Hollande dont la majorité était absolue mais fragile, ce qui laisse la porte ouverte aux compromis. Le problème est qu’Emmanuel Macron, s’il est élu, le sera pour faire des vraies réformes. Et qu’il ne pourrait pas les faire. Dommage pour le pays.