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Ventes d'armes : la drôle de guerre entre Paris et Berlin

Alors que le SPD veut brider les exportations militaires de l'Allemagne, la France veut doper les siennes. Problème: les champions français pâtiraient du coup de frein allemand.
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090914 Challenges La France vend bien ses armes
L’armement français s’exporte bien, mais jusqu’à quand ? La suspension de la livraison des Mistral à la Russie pourrait freiner les contrats futurs. Première source d’inquiétude : l’Inde qui envisage d’acheter 126 Rafale et qui pourrait se raviser.
(c) Challenges

De notre envoyé spécial à Bordeaux,

Une France qui se pavane de ses performances à l'exportation. Une Allemagne qui doute de sa stratégie, et envisage même de brider ses industriels à l'export. Etrange monde que celui des exportations d'armement. De fait, Paris et Berlin ont pris des paris stratégiques diamétralement opposés sur le sujet des ventes d'armes. Côté français, l'heure est à la mobilisation générale : le ministre de la défense Jean-Yves le Drian a dévoilé mardi matin aux Universités de la défense de Bordeaux des chiffres 2013 d'exportation d'armement en hausse de 43%, à 6,87 milliards d'euros.

Ces chiffres confortent la France à la quatrième place mondiale derrière les Etats-Unis, la Russie et le Royaume-Uni, et devant l'Allemagne, contrairement au classement du think-tank suédois Sipri. "Ce sont des résultats impressionnants, assure Jean-Yves Le Drian. Ceux de 2014, je l'espère, ne seront pas moins bons." Au ministère de la défense, on ne renonce pas à l'objectif de 10 milliards d'euros d'exportations annoncé par la DGA en 2010, tout en soulignant qu'un « étiage » autour de 7 milliards serait déjà une performance appréciable.

"Une honte pour l'Allemagne"

Côté allemand, c'est plutôt la soupe à la grimace. Si les autorisations d'exportations d'armement ont augmenté de 24% en 2013 outre-Rhin, à 5,85 milliards d'euros, le ministre de l'Economie Sigmar Gabriel, fidèle à la position du SPD, veut brider les ventes export, les réservant aux pays de l'UE et de l'OTAN, sauf si les intérêts de l'Allemagne sont menacés. "Je suis d'accord avec Helmut Schmidt : c'est une honte que l'Allemagne soit parmi les plus importants exportateurs d'armes du monde, indiquait déjà le patron du SPD en février. Alors les choses doivent changer. C'est pourquoi je suis en faveur d'une politique restrictive en ce qui concerne les exportations d'armes". De quoi mettre en danger les champions allemands Rheinmetall ou Krauss Maffei Wegmann, alors que les deux tiers des autorisations d'exportations allemandes concernent des pays non membre de l'UE ou de l'OTAN.

Paris n'a cure de ces préventions diplomatiques. L'objectif est clair : la France doit développer ses ventes d'armement, fort des conclusions d'un opportun rapport sur leur impact commandé à McKinsey, et dévoilé le 9 septembre. Le document estime le nombre d'emplois liés aux ventes d'armes à l'export à 40.000, soit 25% des emplois de l'industrie de défense. Sans ces exportations, le déficit de la balance commerciale française aurait été "de 5 à 8 points plus élevé chaque année sur la période 2008-2013", assure l'étude.

Les entreprises de la "base industrielle et technologique de défense" (la fameuse BITD en jargon militaire) représentent 1% des sociétés exportatrices, mais 24% du montant total des exportations françaises. "Les industriels français de la défense exporte trois fois plus qu'elles n'importent, explique Jean-Yves Le Drian. Cela maintient en France un socle de compétences et d'emplois non délocalisables."

Une mauvaise nouvelle pour les Français

La France va-t-elle bénéficier du retrait allemand au grand export ? Pas si simple. La situation est plus complexe que ce que certains veulent bien croire : "L'Allemagne semble tâtonner encore un peu avec sa nouvelle doctrine, il va falloir voir si elle maintient une ligne dure ou assouplit sa position », souligne Jean-Pierre Maulny, directeur adjoint de l'Iris. Berlin doit ainsi décider d'accorder ou non les licences d'exportations pour de gros contrats en Arabie Saoudite et au Qatar. L'Allemagne visait encore récemment une vente à l'Egypte de deux sous-marins de TKMS. Or ce pays est loin d'afficher les garanties des alliées de l'UE ou de l'OTAN.

Comble du comble, les industriels français sont même, depuis un mois, directement touchés par la nouvelle stratégie allemande. Berlin rechigne en effet à accorder des licences d'exportations pour des composants allemands intégrés dans des équipements français, alors que l'accord dit Debré-Schmidt, signé en 1972, dispose qu'"aucun des deux gouvernements n'empêchera l'autre gouvernement d'exporter ou de laisser exporter dans des pays tiers des matériels d'armement issus de développement ou de production menés en coopération". Si des exceptions existent, le texte rappelle qu'il "ne pourra être fait usage qu'exceptionnellement de la possibilité de refuser l'autorisation d'exporter les composants d'un projet commun."

Pour les industriels français, le coup de canif dans le contrat est évident. "Il y a de sérieuses difficultés sur certaines campagnes export, même quand la part allemande représente une partie infirme du produit fini", assure Antoine Bouvier, PDG du missilier MBDA. Renault Trucks Défense serait aussi touché par les restrictions allemandes. Une sorte de traduction dans les relations intra-européennes des contraintes des normes américaines ITAR, qui permettent à Washington de bloquer des ventes d'équipements intégrant des composants américains. "Si ITAR se transfère en Europe, c'est une catastrophe", prévient un industriel.

 

 

 

 

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