Les Ponettes : les couleurs du rugby féminin corse

Par Christophe LAURENT

Ce n’est pas ça la consigne ! Vous n’écoutez pas ! Allez, cinq pompes chacune ! » Henri Bonino, ancien joueur de Bastia XV et de Lucciana, a le regard noir. Sur la pelouse synthétique de Vescovato, tandis que son homologue, Romain Geronimi s’occupe des avants, lui entraîne les trois-quarts et les arrières des Ponettes.

Les Ponettes.... regroupement féminin des clubs de Ventiseri, du Crab, du RCA et de Lucciana. Une entente, pour porter haut les couleurs du rugby version soutifs’ et barrette dans les cheveux. Parce que c’est compliqué l’image du rugby féminin.

Le non initié pensera filles en marcel, femmes à barbe, un je ne sais quoi de masculinité... Non, les avants, c’est sûr, sont costauds. Et les lignes arrières... eh bien... comme des lignes arrières masculines, des gabarits rapides, mus par des cannes musclées et soigneusement épilées. En fait, le rugby féminin est très féminin. Il faut être clair, ces filleslà ont des sourires à tomber, portent la queue de cheval avec élégance, une joie incroyable et un enthousiasme que l’on ne rencontrent pas si souvent dans le sport collectif.

« Entraîner des filles, cela reste très différent des garçons, confie toutefois Henri Bonino. Même si c’est la première fois que j’entraîne, j’ai joué dans quelques équipes et c’est vrai qu’une joueuse, il faut vraiment être présent, sans cesse la pousser, l’encourager. Sinon elle a tendance à se laisser aller. Mais, à côté de ça, il y a cette envie de jouer, cette fraîcheur que je ne connaissais pas. Avec une incroyable ambiance de groupe. »

Faire jouer des filles au rugby, en Corse. Le pari est double pour ces entraîneurs.

L’histoire de cette équipe ne date pas d’hier. Il n’y a pas eu une équipe ex-nihilo. Mais depuis deux ans, et après un parcours en 7 développement, les coaches visent désormais la compétition, le haut niveau, à XV. Pas par prétention, mais vraiment, comme dans le football, pour lancer la discipline. Avec le soutien entier du Comité corse mais aussi de Pierre Camou, le président de la Fédération française.

Un effectif doublé cette saison

A l’inverse, au sein des clubs corses, ça bloque un peu, ça freine. Heureusement, Bastia XV cède volontiers un créneau sur son terrain d’Erbajolo. Même si c’est sur le tuff et même si les seniors proposent un bout de pelouse aux fi lles, pour Henri Bonino et Romain Geronimi, c’est un vrai soutien. Idem, pour la commune de Vescovato qui a trouvé une place sur son synthétique, le mercredi soir.

Une forme de solidarité qui réchauffe les coeurs. Qui pousse ses fi lles à représenter l’île sur les terrains de la poule 7 de Fédérale 3. « L’an passé, pour notre première saison, nous avons fi ni sixième sur huit, indique Romain. Au cours de cinq rencontres on a empoché le point bonus. Et on ne s’est pris véritablement qu’une seule rouste, un 28-0. C’est vraiment bien, sachant qu’à l’entraînement, on se retrouvait souvent seulement à douze. Attention, les autres fi lles s’entraînaient à Ajaccio ou dans leurs clubs. Mais évidemment pour la cohésion, pour le jeu d’équipe, il vaut toujours mieux avoir un vrai groupe. Cette année, nous sommes une vingtaine à chaque entraînement, on a doublé l’effectif. »

Pour la nouvelle saison, il y a déjà eu deux matches. Le premier, c’était face au SMUC, le plus coriace des adversaires de cette poule 7. Une défaite logique. Le deuxième match, cette fois à Aix, était déjà plus disputé, avec une courte défaite 21 à 16. Dans un championnat avec de belles cylindrées comme Montpellier, Saint Mandrier, Nîmes, la mayonnaise insulaire semble prendre.

C’est que ces fi lles vivent une véritable aventure. Comme des pionnières. Il y a les étudiantes de Corte qui taillent la route des entraînements deux fois par semaine. Celles de Balagne également. Le genre de rendez-vous qui forge une équipe, qui cimente une solidarité.

Et puis le club, en 2015, veut promouvoir les cadettes. Car oui, il y a des adolescentes qui s’adonnent à l’ovalie. Trois viennent de Ventiseri. Et ne ratent aucun entraînement. « On apporte nos sandwiches, nos boissons, parce que c’est tout de même environ une heure de trajet, témoigne Cécile, maman ravie de Marie, 16 ans, talonneur. Notre famille n’a jamais eu de culture rugby. Moi, je fais du judo et de la natation, c’est vous dire ! C’est son frère, plus jeune de trois ans, qui a fait un test. Elle a essayé. Et elle a accroché. »

Bénédicte, elle, est la mère d’Aude, blondinette qui n’oublie jamais son protège-dents y compris à l’entraînement : « Elle joue à Ventiseri depuis maintenant quatre ans mais avec la fi n de la mixité, elles ont besoin, avec leur copine Océane, d’évoluer dans leur propre championnat. Et c’est compliqué parce qu’elles ne peuvent pas non plus aller en seniors. Du coup, c’est bien qu’elles s’intègrent déjà à l’entraînement des seniors. Les Ponettes, c’est vraiment du sérieux. Nos fi lles sont heureuses. »

Oui, il y a des bleus sur les jambes, des coups reçus, des coups donnés également. Marie se souvient de ce placage cathédrale qu’elle a subi à Corte. Le match avait « fi ni en baston » et, elle, prenait la direction des urgences, s’en tirant avec un simple trauma crânien. « Depuis j’ai les os du cou qui craquent, » s’amuse-t-elle. Aude, pour sa part, garde le souvenir d’un tournoi mixte à Calvi et d’un sévère tampon d’un jeune joueur néo-zélandais. Correct mais violent. A entendre tout cela, sur le banc, ce soir d’entraînement, Agathe sourit. D’habitude, elle joue avec Les Ponettes mais ce soir-là, elle se contente d’observer : fi ssure de la maléole après un placage terrible lors d’un match face à Aix. Pour dire que le rugby chez les fi lles, c’est aussi du contact, ça avoine sec dans les regroupements et la casse n’est pas exclue. Ce n’est décidément pas une association de patchwork ! « Si Aude n’avait pas pu jouer avec Les Ponettes cette année, elle se serait inscrite à la boxe, » glisse encore Bénédicte.

Le Comité corse a réussi à réunir une dizaine de fi lles de moins de 18 ans. Trop jeunes pour évoluer en seniors, trop âgées pour rester avec les garçons (la limite c’est 16 ans, comme au foot), elles vont pouvoir tout de même effectuer deux ou trois dates dans un championnat national à 7. La relève germe.

En attendant, sur le pré de Vescovato, l’heure est à la mêlée, exercice hautement technique, les plus expérimentées, essentiellement en première et deuxième lignes donnent les consignes, « attrape-lui le short... glisse ta tête là ». Une débutante cherche sa place, les corps s’encastrent. Sans pousser d’abord, juste pour tester le respect des positions.

Au milieu du brouhaha, Henri Bonino fait entendre sa voix. Quelques minutes plus tard, les fi lles testent leurs automatismes en touche. Là encore, il y a de nombreux réglages à effectuer, « il faut une sauteuse parfaitement gainée, une fi lle qui sache rester droite, » lance Agathe.

Des rires fusent, des bras se tendent pour maintenir la joueuse à la réception. Bonne ambiance. Malgré des moustiques particulièrement voraces !

Des joueuses de tout âge

Ce qui fait aussi l’alchimie de cette équipe, outre le regroupement géographique, c’est bien cet amalgame entre joueuses trentenaires, voire quadragénaires, et jeunettes.

Deux générations totalement complémentaires. Il y a là Alex Lezier (3e ligne), pur produit de la formation insulaire, qui a grandi dans les pas de son père ancien président du RCA. Elle a parfait sa formation du côté de La Valette pendant de nombreuses années, joue en première division féminine et fête quelques capes en équipe de France junior. La Corrézienne Triskele Bonneval (3e ou 2e ligne), mutée au sémaphore de Sisco, est, elle, carrément, à l’initiative de l’aventure et évolue aussi au sein de l’équipe de France de la Marine. Sans oublier, Séverine Collombat (centre ou demi d’ouverture), ancienne internationale qui totalise une cinquantaine de sélections et 6 tournois du grand chelem, avec un titre championne de France, deux Brennus avec Montpellier !

« Moi j’ai commencé au foot, témoigne Stéphanie, 46 ans, ancienne lanceuse de javelot, joueuse de hand. Je jouais aussi au foot à Ponte-Leccia ! Et puis ma soeur m’a initiée à ce sport alors que j’étais juste passionnée par les matches à la télé. Le rugby, c’est assez dur physiquement mais on s’éclate. » Sur le terrain d’Erbajolo (sans doute le plus minable de toute l’île), le vendredi, elles ne sont plus que neuf à s’entraîner.

« C’est sûr que ce n’est pas facile, reconnaît Jiji, habitant Vignale et depuis trois ans dans Les Ponettes. Les sept fi lles d’Ajaccio ne nous rejoignent que les jours de matches, à l’aéroport... Le vendredi, les fi lles de Balagne ne viennent pas forcément. Et ce qui rend les choses encore plus diffi ciles, c’est que dans les autres clubs, elles sont souvent bien plus jeunes que nous. »

Mais peu importe, l’esprit rugby, plus que dans le football, c’est aussi de faire face aux défaites, avec une certaine philosophie. Elles font la gueule, s’emportent mais ça ne dégénère pas. Et la troisième mi-temps, chez les filles ?

« Quand on jouait à 7, on gagnait plus de matches qu’aujourd’hui. La 3e mi-temps, on la faisait même si, personnellement, je ne bois pas d’alcool, explique Carole, joueuse au centre. Sinon, il y a une tradition. C’est le Cagollin ! Pour celle qui a fait la plus belle boulette du match : elle doit porter un costume de cheval et venir avec à l’entraînement suivant... d’ailleurs on a oublié de le faire après le match d’Aix ! A part ça, on ne se voit pas que pour le rugby, on se fréquente en dehors. »

Henri, lui, glisse que, parfois, il se passe des choses dans le mini-bus. Mais bon... ce qui passe dans le mini-bus, reste dans le minibus ! Les joueuses donnent rendez-vous aux amateurs de ruck, de raffût, de placages, le 8 novembre, à Ajaccio, à 13 heures, face à Velleron (Vaucluse), en ouverture du match du RCA.

Puis, le samedi suivant, Les Ponettes seront à Erbajolo à 15 heures, pour affronter La Valette. Mieux qu’un concours Miss France, un match des Ponettes, c’est l’assurance de voir des fi lles corses avec de la hargne, du coeur et du courage.

 Extrait du Settimana, en supplément de votre Corse-Matin du vendredi 30 octobre