Le terrorisme n’est-il qu’islamiste ?

Le terrorisme n'est-il qu'islamiste ?
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Le terrorisme n’est-il qu’islamiste ?

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Les attentats islamistes constituent-ils la seule menace terroriste en Europe ? C'est la question au cœur des Idées Claires, notre programme hebdomadaire produit par France Culture et franceinfo destiné à lutter contre les désordres de l'information, des fake news aux idées reçues.

Le 19 février 2020 un homme de 43 a ouvert le feu sur plusieurs bars à chicha fréquentés par la communauté kurde, faisant 9 victimes. Le 9 octobre dernier, à Halle-sur-Saale, un autre Allemand a visé une synagogue puis un restaurant turc. Bilan de cette attaque, 2 morts. 

Ces deux attaques terroristes ont été perpétrées par deux hommes se revendiquant de l'extrême-droite et ouvertement xénophobes.

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Pourtant, lors de plusieurs autres attaques sur le sol européen, certains média et responsables politiques n'ont pas attendu d'en savoir plus pour spéculer sur les motivations de l'assaillant. Une seule alternative est souvent proposée : le djihadiste ou le déséquilibré au profil psychiatrique trouble.

Le terrorisme est un mode d'action violente, pas une idéologie. Ce mode d'action se fait au nom d'un projet politique, qu'il soit islamiste ou d'extrême-droite.

Mais à partir de quand peut-on employer le terme "terroriste" ? Le terrorisme d'extrême-droite a-t-il été sous-estimé ? Nous avons posé nos questions à Cyrille Bret, professeur à Sciences Po Paris.

Le terrorisme n’est-il qu’islamiste ? 

Cyrille Bret : "Les islamistes n’ont pas le monopole du terrorisme. Bien d’autres mouvements ont recouru à ce type de violence politique que ce soient. Les séparatismes régionalistes, les mouvements révolutionnaires, les gouvernements d’extrême-droite ou les gouvernements autoritaires."

C’est quoi exactement le terrorisme ?

Cyrille Bret : "Le terrorisme se définit par trois éléments. Un élément de motivation politique, c’est une violence qui est commise au nom d’idéaux politiques quels qu’ils soient.

Le deuxième élément, c’est l’usage d’une violence extrême qui choque, blesse, tue, mutile des civils qui ne sont pas pris dans une confrontation guerrière.

Le troisième élément, c’est la volonté de dominer politiquement, par la panique, par la diffusion d’un sentiment de peur généralisé où tout le monde peut se sentir visé n’importe quand par n’importe qui."

Pourquoi a-t-on du mal à parler de “terrorisme” quand ce n’est pas un attentat islamiste ?

Cyrille Bret : "Le terrorisme islamiste et les différents courants Al-Qaïda, Daech, les shebabs, ont pris une telle place depuis 2001 dans le débat public, à travers les relations internationales que les journalistes sont tentés d’amalgamer islamisme et terrorisme.

Cet amalgame sert aussi bien les islamistes que les mouvements d’extrême-droite."

Tout islamiste est un terroriste, tout terroriste est un islamiste, c’est insinuer que tout musulman peut devenir un terroriste. On a vu les méfaits de cet amalgame durant la crise des migrants de 2015 -2016 où tout migrant a été assimilé à un musulman, tout musulman a été assimilé à un islamiste et donc ultimement à un élément violent et dangereux.

Cet amalgame, c’est une victoire pour les terroristes ?

Cyrille Bret : "C’est effectivement l’effet que recherchent les islamistes, dresser une partie de la population contre une autre. C’est faire penser à une entité nationale que toute une partie de la population constitue une 5e colonne potentiellement violente et faire croire à cette minorité qu’elle va être discriminée, ciblée dans des contre-attentats."

Avant 2001 le terrorisme n’était pas seulement islamiste...

Cyrille Bret : "Avant 2001, le terrorisme n’est pas du tout dominé par l’islamisme. Ce sont les mouvements séparatistes régionalistes, au Pays basque, en Irlande, en Corse, qui dominent la scène terroriste en Europe.

Ce sont aussi les mouvements marxistes, révolutionnaires, Action directe en France, en Italie, en Allemagne, en Amérique latine et en Asie du Sud. Ce sont surtout des causes sociales et régionales qui sont invoquées pour justifier cette violence extrême."

Y a-t-il une résurgence du terrorisme d'extrême-droite ?

Cyrille Bret : "Les attentats d’extrême-droite ont tendance à se multiplier et à faire de plus en plus de victimes.

Depuis les attentats en Norvège en 2011, au nom de la défense des valeurs européennes par Anders Breivik, des imitateurs se sont révélés dans le monde occidental, notamment en Nouvelle-Zélande à Christchurch en 2019 et en Allemagne récemment.

C’est le plus inquiétant, + 300 % d’attentats motivés par des idéaux d’extrême-droite pour justifier la violence. C’est la tendance qui me semble la plus préoccupante actuellement."

Qu’est-ce qui différencie une agression terroriste d’une agression homophobe ?

Cyrille Bret : "Le discours justificatif est différent mais la violence est la même. Prendre un couteau pour assassiner au nom d’idéaux conservateurs, qu’ils soient inspirés par l’Islam ou d’autres corpus idéologiques importe peu.

Dans les deux cas, une communauté qu’elle soit nationale, sexuelle, sociale, le but est de diffuser dans ces communautés un peur panique, d’être ciblé n’importe quand, par n’importe qui."

Qui sont les principales victimes du terrorisme aujourd’hui ?

Cyrille Bret : "Aujourd’hui, ce sont les Afghans, les Somaliens, les Irakiens, les Syriens. Il existe un index mondial du terrorisme qui répertorie les 16 000 attentats qui ont lieu chaque année, ce sont eux les premières victimes. Il faut se garder d’être européocentriste en matière de terrorisme. Chaque victime du terrorisme, européenne ou non a la même dignité. Mais d’un point de vue quantitatif, les victimes sont généralement extérieures à l’Europe."

Certains ont parlé de “terrorisme” lors des violences dans les manifestations ...

Cyrille Bret : "Ce n’est pas du terrorisme. L’attentat se caractérise par la violence aléatoire, les victimes des attentats se retrouvent là par hasard, sont ciblées au hasard, elles ne sont pas ciblées nommément.

Dans un affrontement entre les forces de l’ordre et les manifestants, la décision de manifester et de réprimer est volontaire. Il s’agit d’un combat politique qui peut dégénérer dans des violences, légales ou pas, mais il ne s’agit pas d’attentat."

Les journalistes parlent parfois de “déséquilibré”...

Cyrille Bret : "C’est une façon de minimiser la violence, de ne pas lui donne de charge politique. C’est un moyen de ne pas l’affronter sur le domaine politique mais sous un angle psychiatrique. Mais qu’on soit fou ou pas, invoquer un régime de justification politique inscrit l’acte dans un régime terroriste.

C’est exactement la question qui s’est posée pour Anders Breivik. Une première expertise psychiatrique l’avait déclaré fou. Mais lui voulait être reconnu sain d’esprit pour que la charge politique du message de son massacre de plus de 150 personnes soit prise au sérieux. Dans tous les cas on n’échappe pas au débat politique que soulèvent ces massacres de civils."

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