Napoléon et la Mode : la garde-robe au service du mythe napoléonien

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Napoléon et la Mode : la garde-robe au service du mythe napoléonien

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"Portrait de Napoleon sur le champ de bataille de Wagram", vêtu de son célèbre uniforme de colonel de grenadier à pied. Peinture de Joseph Chabord, 1810, Musée Napoléonien de Rome
"Portrait de Napoleon sur le champ de bataille de Wagram", vêtu de son célèbre uniforme de colonel de grenadier à pied. Peinture de Joseph Chabord, 1810, Musée Napoléonien de Rome
© AFP - Luisa Ricciarini/Leemage

La mode fait partie des nombreux instruments que Napoléon Bonaparte a su exploiter pour affirmer la symbolique de son pouvoir. Deux-cents ans après sa mort, le 5 mai 1821, l’éclat vestimentaire napoléonien continue de briller à travers ses nombreuses représentations.

Comme il le fit avec la politique et les institutions françaises, Napoléon a su incarner, à sa manière, l'image d'un continuateur et d'un restaurateur de la mode du début du XIXe siècle. Comment l'homme, si symboliquement affublé de sa célèbre redingote grise, la main dans son habit militaire en drap de laine, monté de son légendaire bicorne noir, a-t-il pesé de toute son autorité sur la mode ? Elle a été un formidable support parmi d'autres pour affirmer son pouvoir et sa légitimité. 

Chez les hommes comme chez les femmes, la politique déteint sur les modes .

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- Henri D’Alméras, historien et romancier

Au-delà de leur symbolique officielle, quatre des tableaux exposés à l’occasion de l'exposition consacrée au bicentenaire de la mort de l’aigle, à la Grande Halle de La Villette, incarnent le mythe napoléonien. Quatre tableaux célèbres qui continuent à faire vivre l’éclat impérial :

  • Antoine-Jean Gros - Bonaparte au pont d’accole - 1796
  • Antoine-Jean Gros - Napoléon Bonaparte en costume de Premier consul  - 1802
  • François Gérard - L’impératrice Joséphine - 1808
  • François Gérard – Napoléon Ier en costume de sacre - 1808

Quatre objets de représentation qui montrent combien la mode a admirablement servi Napoléon, autant que Napoléon a servi la mode. À quel point le général a-t-il fait transparaitre son système de valeurs par son éclat impérial ? Par la représentation de son apparat vestimentaire, l’aigle fait toujours rayonner sa légende.

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Une certaine idée de la mode héritée du Directoire (1795-1799)

Napoléon fonde sa notoriété en s’appuyant sur la société parisienne du régime du Directoire, où règne la soif des plaisirs retrouvés et les extravagances vestimentaires de celles et ceux que l'on appelle "Muscadins" ou "Incroyables et Merveilleuses". 

C'est à partir d'un éclat vestimentaire déjà bien en vogue, dans les dernières années de la Révolution française (1795-1799), que la mode officielle napoléonienne est vouée à se façonner. 

Après la Terreur et la chute de Robespierre, en juillet 1794, la mode est en pleine révolution.

L’élégance anglaise chez les hommes et le goût de l’habit à l’antique chez les femmes s’imposent. Un style voué à discipliner les excentricités vestimentaires de la bonne société jusqu’à la fin de l’époque napoléonienne. 

Bonaparte engage son ascension et ses premiers succès militaires dans un Paris métamorphosé, qui rattrape le temps perdu en assouvissant sa soif de jouissance et de luxe. Il s’appuie sur l’influence des salons dorés des élégantes célèbres de l’époque, ces femmes à très forte influence qui organisent des cercles de discussion où la mode est reine. Bonaparte y rencontre l'amour de sa vie, Joséphine de Beauharnais ; il fréquente Juliette Récamier ou encore Thérésa Tallien qui font de Paris la capitale de la mode, des distractions et des plaisirs. 

À la veille du Consulat, la vie sociale refleurit dans la recherche des commodités et des vêtements où l’on s’arrache les toilettes somptueuses et renouvelées. 

Des Incroyables et des Merveilleuses à l’époque du Directoire (1795-1799)
Des Incroyables et des Merveilleuses à l’époque du Directoire (1795-1799)
© Getty - Bildagentur online Contributeur

Encore gauche et réservé, Bonaparte fréquente tout ce beau monde. Ce petit homme encore réputé sombre, sec, brusque, farouche est choyé dans ce monde élégant, affecté, très influent. Il sait qu'il devra s'y faire. À l’époque, il n’est encore que général divisionnaire de la République, affublé de son habit de drap de laine bleu-roi, sobre, par dessus sa veste rouge, mode typique des généraux de la République

La première grande peinture à son effigie est celle où il est représenté au pont d'Arcole, galvanisant ses hommes à la tête de l’armée d’Italie, en 1796. Il avait encore ses cheveux longs, marque de sympathie pour le régime révolutionnaire. Le tableau d’Antoine Jean Gros exalte, pour la première fois, ses vertus du chef militaire. Première peinture qui le fait entrer dans la légende. Il l’a bien compris, la mode sera l’un de ses nombreux bras armés. Ce Paris haut en couleurs lui permet de lancer véritablement sa carrière et d’afficher ses premières ambitions. 

Bonaparte au pont d'Arcole, galvanisant ses hommes à la tête de l’armée d’Italie, 1796, Antoine-Jean Gros
Bonaparte au pont d'Arcole, galvanisant ses hommes à la tête de l’armée d’Italie, 1796, Antoine-Jean Gros
- RMN-Grand Palais (Château de Versailles) / Franck Raux

Costumes officiels pour une propagande césarienne 

Dès sa prise du pouvoir, après le coup d’état du 18 Brumaire (9 novembre 1799), c’est à partir de cet héritage vestimentaire-là que le premier Consul entend réglementer celle qui doit faire briller son pouvoir et servir ses intérêts, autant à l’intérieur qu’à l’extérieur. Il s’adresse aux artistes les plus en vogue pour habiller la symbolique de son pouvoir.

En 1800, Bonaparte commande au peintre Antoine-Jean Gros un tableau où il est vêtu du célèbre habit officiel du premier consul, à base de velours rouge, brodé d'or, de feuilles de chêne en argent doré qui vise à faire briller sa jeune gloire. Un uniforme de cour dont le style est partagé avec les autres consuls : Cambacérès et Sieyès.

Bonaparte en costume de Premier Consul, 1802, Antoine-Jean Gros
Bonaparte en costume de Premier Consul, 1802, Antoine-Jean Gros
- RMN-Grand Palais / Gérard Blot

L’uniforme existe aussi à un seul rang de boutons, sans revers, s’évasant toujours respectueusement sur les cuisses, porté à longues basques, avec le col droit typique de l’ère napoléonienne. C’est celui qu'il obtient de la part de la municipalité de Lyon après son retour de Marengo en 1800. Deux habits officiels avec lesquels il se fait représenter, soit avec la culotte longue blanche rentrée dans les bottes, ou avec la culotte courte et les bas de soie rejoignant cette fois-ci des souliers plus légers. 

Mais aucun n’aura autant de portée symbolique que le portrait qu'il commande à François Gérard, achevé en 1808, dont l’objectif est d’exalter la magnificence impériale

Napoléon souhaite inscrire sa légitimité dans la tradition de la représentation des souverains français

Il est représenté, pour la seconde fois, après le portrait de Jean-Auguste Dominique Ingres en 1806, avec le grand costume impérial à la robe longue de velours rouge, par-dessus la tunique de satin blanc, brodée d’or, accompagné des insignes impériaux.

Napoléon en costume de sacre, 1808, François Gérard
Napoléon en costume de sacre, 1808, François Gérard
- Rmn - Grand Palais (château de Versailles) / Franck Raux

Napoléon innove en remplaçant les fleurs de lys de la royauté française par des abeilles de la dynastie impériale, en adoptant la posture frontale. Napoléon se fait le continuateur de la mode cérémonielle pour faire rayonner son empire.

"Simple à l’intérieur, brillant à l’extérieur"

Si, à l’origine, les goûts de Napoléon pour la mode restent simples et modestes, l'éclat construit autour de lui ne répond qu'à l'intérêt de faire briller son pouvoir. L'un de ses proches collaborateurs, Claude François De Meneval, nous rapporte un de ses dictons qu'il aimait répéter à ses proches : 

Dans votre vie intérieure, soyez économes et parcimonieux, modeste dans votre habillement. En public, soyez magnifiques !

Familier de la vie des camps, il a traversé la Révolution aux mœurs farouches et a compris qu’il fallait paraître fastueux pour rayonner auprès des autres. En dehors des cérémonies, il apparaît le plus souvent dans l'habit simple de la garde impériale, carré, cintré, composé d’un frac à longues basques s'évasant sur l'arrière des cuisses, enfilé par-dessus un gilet blanc. Pour ce qui est du bas, il alterne entre la culotte courte et les bas de soie avec de courtes chaussures dans le cadre officiel, et une longue culotte blanche rentrée dans ses bottes noires au quotidien et sur le champ de bataille.

Napoléon dans son cabinet-travail, 1812, Jacques-Louis David
Napoléon dans son cabinet-travail, 1812, Jacques-Louis David
© Getty - Universal ImagesGroup / Contributeur

Il alterne entre l’habit vert de colonel des chasseurs à cheval ou bien l’habit bleu de colonel des grenadiers à pied. Le tout revêtu, souvent sur le champ de bataille, par une redingote grise épaisse

Napoléon à la bataille de Wagram, 1809, Horace Vernet
Napoléon à la bataille de Wagram, 1809, Horace Vernet
© Getty - Photo Josse / Leemage / Contributeur

La mode au service de la Cour et de la noblesse impériale 

Le nobliau corse s'attache au luxe des costumes comme un symbole de sa dynastie, la mode lui apparaissant comme un merveilleux moyen de légitimité apparente. Il commence par faire rayonner son entourage immédiat, exigeant des toilettes resplendissantes. Les hommes et les femmes qui fréquentent sa cour doivent partager sa gloire, porter des habits somptueux, fixer l'admiration, exalter la magnificence napoléonienne. C’est une véritable cour de faste qui se met en place aux Tuileries et à Saint-Cloud. 

La mode sert à façonner sa noblesse d’empire. À ce monarque encore considéré par beaucoup comme un parvenu corse, il fallait dissimuler ses modestes origines sous la magnificence des titres et des costumes. 

André François Mio de Melito, conseiller d’Etat de 1800 à 1814 affirme, au tout début du Consulat que "les mœurs redevenaient monarchiques et la mode avait rétabli partout son empire [...] Avec des livrées brillantes, des vêtements somptueux et semblables à ceux qui étaient en usage sous l’Ancien régime". 

De même, les Almanachs de l’empire rendent compte du cérémonial impérial, qui emprunte constamment à celui de la monarchie d’Ancien Régime, en s’appuyant sur des faiseurs et faiseuses de modes de l’époque de la monarchie dont Louis-Hippolyte Leroy, le premier grand couturier de la mode souveraine. Tous procèdent à la théâtralisation du pouvoir napoléonien en procédant à des répétitions et à une harmonisation préalable des couleurs, des différents fastes environnant la cour impériale, en tenant compte des rangs et des dignités. La plus évocatrice étant celle du sacre impérial commandé au peintre Jacques-Louis David, achevé en 1807. 

Tableau du Sacre de Napoléon, Jacques-Louis David, 1805-1807
Tableau du Sacre de Napoléon, Jacques-Louis David, 1805-1807
© AFP - Joel Robine

Le cérémonial s'exécutait comme s'il eût été dirigé par un roulement de tambour. Tout se faisait au pas de charge 

- Mme De Rémusat, Mémoires, tome II

Les femmes sont habillées en grande pompe, très souvent avec des versions simplifiées du manteau impérial inspiré de l'habit du sacre, en velours ou en soie, brodé d'or, et à la longue traine. Ce sont des robes longues parées, particulièrement décolletées, épousant les formes du corps. On porte une profusion de bijoux, de colliers de perles, de chaines et d'épingles d’or… 

Les tableaux officiels des deux impératrices conditionnent la mode des femmes de cour, dont l'éclat est lui aussi mis au service du pouvoir de Napoléon

L’impératrice Joséphine, 1808, François Gérard
L’impératrice Joséphine, 1808, François Gérard
- RMN-Grand Palais-Château de Fontainebleau)/ image RMN-GP

Il impose également à ses généraux des uniformes coûteux

Il faut joindre l’éclat de la mode à celui des victoires, s'entourer de prestige.

Napoléon ne veut pas que sa nouvelle noblesse garde son aspect soldatesque et exige de ses rudes et farouches généraux une assiduité vestimentaire qui soit digne de son pouvoir. Hors du territoire de la guerre, il faut dépouiller son costume militaire, et faire miroiter ses mérites par des habits de cour, de cérémonie, monté de dorures et de broderies riches et variées. 

Portrait du Maréchal Ney, François Gérard, 1805
Portrait du Maréchal Ney, François Gérard, 1805
© AFP - FineArtImages / Leemage

C'est toute une politique de la mode qui concourt à la puissance, au prestige militaire, au besoin d'ordre qui doit aussi servir à rallier la bourgeoisie révolutionnaire et la noblesse déchue d’Ancien Régime. 

Une conception de la mode qui révèle ses rapports avec les femmes 

L’histoire des modes est en partie celle des mœurs

Félicité, comtesse de Genlis, romancière

À mesure que les valeurs napoléoniennes se rigidifient, la mode échappe très vite à la volonté de création libre et indépendante. Durant l'Empire (1804-1814), la mode est quelque peu conditionnée par son appréciation personnelle qui, de la Cour, va jusqu'à codifier implicitement les parements de la bonne société. De proches témoins racontent qu'il était habitué à surveiller la mise de femmes qui fréquentent sa cour. Son contrôle aurait été à ce point si oppressant qu’il n’hésitait pas à embarrasser volontiers les femmes par la brutalité des questions ou des observations qu'il leur adressait. 

Dans ses Mémoires, Marie-Jeanne Pierrette Avrillon (1774-1853), première femme de chambre de l'impératrice nous apprend que "si sa toilette l'occupait peu, il n'en était pas de même de celle des autres ; il était fort exigeant [...] surtout à l'égard des femmes. Lorsque, dans son salon, il apercevait des dames dont le costume n'était pas frais ou dont la toilette était mal faite, cela lui sautait aux yeux, et il en faisait des reproches. Il fallait être en tenue, même dans les voyages, tant il ne voulait pas même souffrir que nous eussions le matin un châle sur les épaules. Lorsque cela nous arrivait, il nous menaçait de nous jeter au feu".

"La rose de Malmaison : l'impératrice Josephine de Beauharnais et ses dames d'honneur avec, au milieu, l'empereur Napoleon Bonaparte", par Victor Viger du Vigneau
"La rose de Malmaison : l'impératrice Josephine de Beauharnais et ses dames d'honneur avec, au milieu, l'empereur Napoleon Bonaparte", par Victor Viger du Vigneau
© AFP - Photo josse

Sophie Durand (1772-1850), dame de l'impératrice Marie-Louise, témoigne elle aussi de la sévérité dont la toilette féminine fit l'objet de la part de Napoléon : "Lorsqu'il entrait dans le salon, il jetait un coup d'œil sur toutes. Ce regard était une inévitable inspection. Il allait dire un mot gracieux à celle qu'il trouvait bien, et souvent une mauvaise plaisanterie était le partage de celle dont la toilette moins fraîche lui déplaisait. Il détestait les châles, et jamais on ne pouvait en garder en sa présence". 

Toujours est-il que Napoléon Bonaparte aura conditionné un style bien à lui : un caractère impérial en toutes choses. Il y instille son caractère d'obéissance, de discipline, autant que dans les institutions. 

Par la mode, Napoléon fait transparaître les grands rouages de son système

Il se fait le continuateur de la mode cérémonielle pour faire rayonner à son tour l’empire, alliant tradition révolutionnaire et tradition monarchique. 

200 ans après sa mort, le 5 mai 1821, l’éclat napoléonien ne l'a jamais rendu aussi vivant.

Bibliographie 

  • Alméras Henri (D’), La Vie parisienne sous la Révolution et le Directoire, Paris, Albin Michel, 1909, 432 pages. 
  • Bondois Paul, Napoléon et la société de son temps (1793-1821), Paris, Félix Alcan, 1895, 445 pages.
  • La Bédollière Émile (de_)__, Histoire de la mode en France, Bruxelles, Méline Cans et compagnie, 1858, 188 pages._
  • Séguy Philippe, Histoire des modes sous l’empire, Paris, Tallandier, 1988, 282 pages.
  • Uzanne Octave, Les Modes de Paris, variations du goût et de l’esthétique de la femme 1797-1897, Paris, Société française d’éditions d’art, 1898, 238 pages.

Témoins oculaires 

  • André François Miot De Melito, Mémoires, 1803
  • Marie-Jeanne Pierrette Avrillon, Mémoires sur la vie privée de Joséphine, sa famille et sa cour
  • Claude François De Meneval, secrétaire et proche collaborateur de Napoléon Souvenirs historiques
  • Élisabeth Vigée Le Brun, Souvenirs, tome III
  • Louis-François de Bausset, baron et préfet du palais impérial, dans ses mémoires anecdotiques sur l’intérieur du palais et quelques événements de l’empire
  • Sophie Durand, première dame de l’Impératrice Marie-Louise de 1810 à 1814, Mémoires sur Napoléon, l’impératrice Marie-Louise et la Cour des Tuileries

Aller plus loin

EXPOSITION - France Inter est partenaire de la grande exposition organisée à la Grande Halle de la Villette. Les musées nationaux réunissent plus de 150 objets retraçant la vie et la légende de Napoléon Bonaparte. 

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