Médecins en retraite, infirmiers intérimaires : ils vaccinent depuis janvier sans être payés

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Médecins en retraite, infirmiers intérimaires : ils vaccinent depuis janvier sans être payés

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Selon les témoignages recueillis par France Inter, des "vaccinateurs", médecins à la retraite ou infirmiers qui participent à l'effort de la campagne depuis janvier, n'ont pas été payés.
Selon les témoignages recueillis par France Inter, des "vaccinateurs", médecins à la retraite ou infirmiers qui participent à l'effort de la campagne depuis janvier, n'ont pas été payés.
© AFP - Hans Lucas / Bastien Marie

INFO FRANCE INTER - Des soignants, mobilisés depuis janvier, vaccinent sans être payés d'après les témoignages recueillis. En cause, le retrait de communes qui n'ont pas le personnel pour gérer la prise en charge de cette rémunération inhabituelle. L'Assurance maladie a pris le relai et tente de rattraper le retard.

Ils sont au charbon depuis le mois de janvier. Pourtant, selon les témoignages recueillis par France Inter, certains soignants engagés dans la campagne de vaccination n’ont toujours pas été payés. Médecins retraités, infirmiers intérimaires, salariés d'hôpitaux ou de centres de santé, ces derniers n’ont rien perçu, contrairement à leurs collègues qui exercent en libéral. 

Au total, ils seraient des dizaines (et pas uniquement en Île-de-France) à réaliser chaque jour des injections dans des gymnases et salles polyvalentes et dans l'attente d'être payés pour avoir accepté de participer à l'effort national contre la Covid-19.

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"À 20 ou 10 euros de l'heure, je l'aurai quand même fait !"

55 euros de l’heure, c’est le tarif qui avait été annoncé à Mathieu*, infirmier de 30 ans, lorsqu’il s’est porté volontaire au mois de janvier. “On nous a dit ‘Venez, venez ! On a besoin de vous’. Mais on est maintenant en avril et on nous balade, il n’y a plus personne pour nous dire quand et combien on va toucher notre dû”, témoigne cet intérimaire en région parisienne qui se dit aujourd’hui “dégoûté”.  

Depuis le 18 janvier et l'ouverture des centres où il effectue des vacations, il se donne sans compter. Il réalise selon les jours entre 20 et 60 injections. Des actes “gratuits” se désole le jeune homme, dans sa blouse de protection bleue. Ces 55 euros à l’heure, c’est “le même tarif que celui que touchent les infirmiers libéraux”, explique-t-il. “On nous aurait dit dès le départ que c'était 20 ou 10 euros de l'heure, je l'aurai quand même fait ! Je donne 80 % de mon temps à la vaccination parce que j'ai envie de faire avancer les choses, mais je vous avoue que sans rémunération, ça fait trois mois que je ne paye pas mon loyer, que je n'honore pas mes crédits et que ma banque est sur mon dos…”

Dans le box mitoyen de ce centre de vaccination, un médecin à la retraite* raconte que, lui aussi, pique à tour de bras. Selon cet ancien gériatre, les jeunes comme Mathieu sont les plus à plaindre. Lui non plus n'a pas été payé mais ne se retrouve pas tout à fait dans la même galère que son collègue infirmier, avec qui il est régulièrement en binôme pour vacciner. 

Il dénonce toutefois une situation anormale et irrespectueuse : “Au premier trimestre, nous avons signé une convention avec le Centre communal d'action sociale qui établit un contrat entre le médecin et le centre de vaccination. Au mois de mars, on a appris que c'est finalement l’Assurance maladie qui récupérait ça ! Avec des bordereaux différents et des tarifs différents aussi. Et à ce jour nous n'avons rien touché.” L’infirmier confirme : “On nous dit maintenant que ce sera du 24 euros de l'heure, sans savoir si c'est du brut ou du net. On a dû se rapprocher de la CPAM de notre département de résidence.” 

"Maltraitance institutionnelle" 

Alors qui est responsable de ces promesses non tenues sur le non-paiement et le montant des rémunérations de ces vaccinateurs ? Visiblement, certaines municipalités, qui s'étaient engagées à les payer, ont visiblement sous-estimé la charge de travail, les lourdeurs administratives que la prise en charge de cette rémunération impliquait. Elles ont appelé la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) à la rescousse, qui va devoir, selon nos informations, récupérer des dizaines de dossiers en souffrance. 

Pour Thierry Amouroux, porte-parole du syndicat infirmier SNPI, il y a là “une maltraitance institutionnelle envers les soignants”. Selon lui, “c'est toujours la même idée du bénévolat et de l'engagement. On avait vu ça il y a un an, pour la première vague. Des infirmiers qui ont été payés 12 euros de l'heure avec un Bac +3 !”. Ce qui est certain c'est que les tarifs annoncés au début de l’année étaient destinés à mobiliser un maximum de soignants. “On a voulu nous appâter”, soupire Lolita*, une infirmière intérimaire qui, comme Mathieu, a refusé d'autres contrats de travail pour se dédier uniquement à la vaccination. 

Depuis le mois de janvier, c'est le mari militaire de l'infirmière qui fait vivre le couple et ses deux enfants. Lolita ne gagne rien et se décourage en regrettant qu'il y ait deux poids, deux mesures. “Les libéraux, médecins ou infirmiers, qui ont répondu présents perçoivent réellement ce qu'on leur a promis : pour des vacations de quatre heures, c'est 105 euros l'heure pour les médecins et 55 euros l'heure pour les infirmiers à leur compte. On s'est faits avoir !”, s’agace-t-elle.

Des "délais de traitement" qui s'expliquent, d'après l'Assurance maladie 

Sollicitée par France Inter, la CNAM confirme son implication récente dans la rémunération des "vaccinateurs" et indique que “ce dispositif de rémunération des professionnels de santé non libéraux par l’Assurance maladie vient compléter les solutions de paiement des professionnels concernés mais n’a pas vocation à se substituer à celui d’ores et déjà en place. Le dispositif principal est bien le paiement par les communes. L’ARS les rembourse ensuite”

La réponse écrite précise encore que “le dispositif mis en place par l’Assurance maladie n’intervient que dans le cas où [le paiement par les communes] n’est pas possible. Le dispositif de l’Assurance maladie a été mis en place le 1er avril, il n’est pas anormal que sa mise en place génère des délais de traitement un peu plus longs au début, le temps que les caisses s’organisent pour faire face à cette activité nouvelle qui nécessite un traitement manuel.”

*Les témoins de cet article ont demandé le respect de leur anonymat. Les prénoms de Mathieu et Lolita ont été modifiés.

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