Le scandale Remdesivir, ou comment l'Europe s'est fait délester de plusieurs dizaines de millions d’euros

L’OMS a retiré fin novembre son conseil de prescription pour le médicament antiviral. Trop tard pour les achats de stocks par l’Union européenne, mais pas pour les bénéfices de la multinationale Gilead. Multinationale qui a bien pris soin de cacher à ses clients les mauvais résultats du Remdesivir dans le traitement du ­Covid-19… Cette stratégie cynique a permis au laboratoire américain d’empocher près de 900 millions de dollars à travers le monde. Récit d’un fiasco spéculatif exemplaire.

C’est une histoire édifiante qui, plus que toute autre sans doute, condense tous les maux actuels d’une lutte contre la pandémie totalement dictée par les impératifs de profits des multinationales. Elle est d’ailleurs au cœur de la démonstration que fait l’Afrique du Sud à l’Organisation mondiale du commerce.

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Cette histoire, c’est celle du remdesivir. Un médicament que le laboratoire américain Gilead, célèbre pour sa politique de tarification extrêmement élevée sur des traitements contre l’hépatite C ou le VIH, et détenteur des brevets, a, le 23 mars, quelques jours avant la déclaration officielle de pandémie, réussi à faire inscrire par l’administration Trump sur la liste des médicaments orphelins – une gamme de produits censés servir dans le cas des maladies rares, où les prix explosent littéralement depuis une dizaine d’années. Et un traitement qui, après avoir suscité un espoir démesuré – largement sur la base, comme pour les vaccins de Pfizer-BioNTech ou Moderna, de communiqués de presse –, vient d’être retiré, faute de résultats probants dans les essais cliniques, des conseils de prescription par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

Au moins 70 millions de dollars de fonds publics

« Rien ne prouve à ce jour que le remdesivir améliore, pour les patients hospitalisés, quelle que soit la gravité de leurs symptômes, les chances de survie et les autres résultats sanitaires », a écrit, vendredi dernier, une agence onusienne particulièrement catégorique. Entre ces deux balises dans le temps, la spéculation aura largement rempli les caisses d’un des champions de Big Pharma…

Développements à partir de recherches largement publiques aux États-Unis, brevets ensuite déposés par Gilead, fonds publics versés – 70 millions de dollars au moins – pour tester ce traitement contre les fièvres hémorragiques provoquées par le virus Ebola… Fin mars, le classement du remdesivir comme médicament orphelin par la Food and Drug Administration (FDA), l’autorité de régulation sanitaire des États-Unis, ressemble à un énième cadeau fait à Gilead et, du coup, il suscite un tel tollé que le groupe est contraint, dès le 25 mars, de promettre qu’il n’en tirera pas avantage pour gonfler ses tarifs…

Les États-Unis chapardent presque tous les stocks

C’est dans ce contexte que Gilead fixe un prix de marché de 2 640 euros aux États-Unis et de 2 000 euros dans le reste du monde, pour les six doses de remdesivir nécessaires à un traitement, alors qu’une équipe de chercheurs évalue, dans une revue scientifique, le coût de production complet, avec les six doses, à 7,50 euros (lire l’Humanité du 16 avril). Rapidement, durant le printemps, la multinationale, qui conteste ce chiffrage, s’engage à accorder des licences pour permettre à d’autres laboratoires dans le monde de fabriquer du remdesivir. Mais, d’après l’ONG états-unienne Public Citizen, près de 3,7 milliards de personnes ne sont pas couvertes par ces accords et doivent donc passer par Gilead pour acheter un traitement qui, à l’époque, malgré des résultats déjà controversés, promet de réduire la durée des séjours dans les hôpitaux.

Entre les grandes puissances capitalistes, la course au remdesivir est alors lancée, préfigurant, à petite échelle, celle autour des vaccins que nous traversons cet automne. Début juillet, les États-Unis se vantent d’avoir chapardé presque tous les stocks de remdesivir : 500 000 doses, sur les 550 000 disponibles. « Le président Trump a fait une affaire incroyable pour que les Américains puissent avoir accès au premier traitement thérapeutique autorisé contre le ­Covid-19 », nargue son ministre de la Santé, Alex Azar. L’Union européenne s’aventure également dans des négociations secrètes avec Gilead. Elles aboutiront, début octobre, à un contrat entre Gilead et l’Union européenne, portant là aussi sur 500 000 doses pour un montant déclaré par la Commission de 70 millions d’euros – un chiffre en décalage net avec le montant officiel, qui devrait être plutôt 165 millions d’euros.

Gilead  a sciemment caché des résultats controversés

Une bonne affaire, dans ce cas, pour les Européens ? Rien n’est moins sûr… Alors que, dès la mi-septembre, la Haute Autorité de santé en France publiait une évaluation très mitigée sur l’utilité du remdesivir dans le traitement du ­Covid-19, les Européens achètent, en fait, pile au moment où les résultats des essais cliniques Solidarity, coordonnés dans ce cas, à la différence de ceux sur les vaccins, au sein de l’OMS, commencent à tomber, et ils sont loin d’être flatteurs pour Gilead. D’après une enquête parue dans Science, fin octobre, la multinationale californienne les a d’ailleurs sciemment cachés à ses acheteurs. Rien que sur le troisième trimestre 2020, sans même prendre en compte le contrat avec l’UE, Gilead a vendu pour 740 millions d’euros de son remdesivir, avec des bénéfices plus que juteux, sans doute, vu son prix de production. Et l’UE, elle, peut bien rester avec ses stocks totalement superflus désormais. Socialisation des pertes, privatisation des profits : on n’est pas bien, là ?

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