Madagascar. « On m’a dit : “Tu déranges” »

Militant environnemental, Clovis Razafimalala a écopé de prison avec sursis après avoir dénoncé le trafic de bois de rose, et reste menacé de mort par les magnats de ce négoce illégal.

Tout est parti d’un sentiment d’amour. Celui d’un territoire et de ses coutumes. Celui d’une histoire racontée par les arbres. Celui qui fait écho au Zana Drazana, le fils de l’ancêtre, qui veille sur sa région. « Nous voulions donner du sens à la conservation de notre biodiversité », explique Clovis Razafimalala, assis droit comme un i sur une banquette élimée, dans un bureau du siège parisien d’Amnesty International. On est en décembre, loin de Madagascar. Dehors, il bruine et les respirations s’embuent. Lui a gardé son bonnet sur la tête et sirote un café en attendant d’avoir le temps d’avaler sa salade. De passage en France, il enchaîne les rendez-vous. Ici, avec la diplomatie de l’Assemblée nationale, là avec des représentants de la Convention sur le commerce international des espèces (Cites)… Et des défenseurs des droits de l’homme, évidemment, dont Clovis Razafimalala est tout à la fois acteur et objet de mobilisation, défenseur à défendre dont Amnesty a fait une des figures de sa dernière campagne.

En juillet, la justice malgache l’a condamné à cinq ans de prison avec sursis, après lui avoir infligé dix mois de préventive. On l’accuse de rébellion et de destruction de biens publics. Un grief forgé de toutes pièces, martèlent ses soutiens. Le crime qu’on lui reproche officieusement est autre : depuis bientôt dix ans, Clovis Razafimalala combat le trafic de bois de rose qui gangrène la péninsule de Masoala, plus grande aire naturelle protégée de Madagascar. Et gêne une économie pervertie par ce négoce illégal.

Sur place, un tronc peut s’échanger jusqu’à 100 euros pièce

« Il sévit à toutes les échelles, depuis ceux qui coupent le bois, généralement des paysans, jusqu’à ceux qui le transportent, le stockent et l’acheminent par bateau vers les pays étrangers », explique le militant environnemental. Les grumes partent vers Zanzibar, puis Hong Kong. En bout de chaîne, des consommateurs huppés  – chinois, pour beaucoup –, prêts à débourser quelques milliers d’euros pour s’offrir un de ces meubles en marqueterie rouge, fabriqués dans le cœur lie-de-vin qui fait la valeur du bois de rose.

Sur place, un tronc peut s’échanger jusqu’à 100 euros pièce, une fortune dans l’un des pays les plus pauvres du monde. Mais ceux qui en profitent vraiment sont les « barons » du système, politiciens véreux ou gros bonnets de ce trafic. « Tout cet argent ne passe pas par notre banque centrale et n’a aucune retombée pour la population, assène Clovis Razafimalala. C’est de l’argent flou, généré par une demande venue de l’étranger, qui elle-même crée l’envie de dégrader notre espace naturel. » Le tout avec l’assentiment tacite des autorités. En 2009, avec une dizaine d’autres militants, Clovis décide d’engager une campagne pour combattre les « mauvaises habitudes » de ces dernières.

« Plutôt que de poursuivre ceux qui organisent le trafic, elles s’attaquaient aux menuisiers ou PME locales », reprend-il. La mobilisation des militants dérangera rapidement. Deux radios locales la relayeront : toutes deux essuieront des tentatives d’incendie. De même que la propre maison de Clovis. « Nous avons alors créé l’Alliance Voahary Gasy (Nature malgache) et interpellé la presse nationale. » Un écho médiatique qui n’ira pas sans casse. En 2012, après la sortie de son documentaire dénonçant le trafic de bois de rose, Augustin Savory, journaliste malgache, est poussé à quitter le pays, menacé de mort par les trafiquants. Deux autres sont emprisonnés en 2014.

Au cours de cette même période, le gouvernement fera disparaître une liste de noms, comprenant ceux de magnats du recel, que lui avait remise un ex-premier ministre. Il fera également fermer le bureau de douane de Maroantsetra, poste pourtant stratégique. « Il se situe entre mer et forêt, à la lisière de deux parcs nationaux dont celui de Masoala, classé patrimoine en péril par l’Unesco en 2014. » Depuis, les coupes de bois ont pour ainsi dire cessé. « Mais le trafic se poursuit, particulièrement la nuit, avec les stocks accumulés », reprend Clovis Razafimalala, qui épingle la complicité de la gendarmerie. « Une fois, un commandant m’a dit : “Tu déranges la hiérarchie.” » C’était en juillet 2016, juste avant qu’il ne soit arrêté. Un an plus tôt, son adjoint, déjà, s’était vu condamner à six mois de prison ferme assortis d’une amende de 12 millions d’ariary (près de 3 000 euros) pour diffamation publique après avoir dénoncé des trafiquants. Lui sera accusé d’avoir participé à une révolte locale, ce qu’il dément, témoins à l’appui.

Peu importe : le lendemain des faits, il est arrêté et emmené au poste où il passe la nuit. Le matin, sans avoir pu appeler sa famille, ni changer de vêtements, il est transféré par avion spécial à 400 kilomètres de là. Dix jours de garde à vue précéderont dix mois de détention préventive, avant qu’il ne soit enfin jugé cet été.

Depuis, Clovis Razafimalala vit sous la menace d’emprisonnement de la justice et sous celle de mort des trafiquants. Son entreprise de multiservices en informatique a souffert, passée de quatre employés à un seul. Sa femme et ses deux enfants ont quitté la maison pour se réfugier ailleurs. Clovis, lui, refuse de partir, encore moins de quitter le pays, malgré le soutien qui lui est proposé en France. « Je resterai à Madagascar pour mon combat, dit-il, pour ma famille. Pour rassurer tous ceux qui se battent. »


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