Aïssa Maïga : "Je suis une espèce de miraculée"

Aïssa Maïga est l'héroïne de la fiction poignante "Le Rêve français", diffusée les 21 et 28 mars à 20h55 sur France 2. Cette actrice de talent nous fait part de ses convictions, de ses doutes et de ses ambitions.

Aïssa Maïga : "Je suis une espèce de miraculée"
© Aurore Marechal/ABACAPRESS.COM

Comédienne française d'origine sénégalaise et malienne, Aïssa Maïga s'est fait connaître du grand public grâce à son rôle dans le deuxième volet de la saga d'Eric Klapish, Les Poupées russes, dans lequel elle interprète la petite amie de Romain Duris, au côté duquel elle joue également dans L'Ecume des jours. Dernièrement, elle a excellé dans Bienvenue à Marly-Gomont et Il a Déjà tes Yeux. Entretien avec la lumineuse héroïne du "Rêve français".

Pourquoi vous dans ce rôle ?
C'est avant tout une demande des producteurs (France Zobda et Jean-Lou Monthieu, ndlr) avec lesquels j'ai le plaisir de collaborer depuis quelques années sur des projets engagés. Ils partagent mes valeurs. Etant donnée la situation en France, il fallait également tenir compte du choix restreint pour trouver une comédienne d'origine antillaise connue. 

Présentez-nous le personnage de Doris…
Guadeloupe, années 1960, Doris est amoureuse d'un jeune homme de son âge, Samuel, un peu trop noir pour son père, et surtout un peu trop pauvre. Puis elle se retrouve enceinte, mère célibataire d'un enfant de la honte... Son père l'envoie en France et elle se retrouve dans un institut de province au milieu d'un tas de jeunes filles qui apprennent à devenir des servantes pour la bourgeoisie française.

Connaissiez-vous le Bumidom ? Dans quelles circonstances en avez-vous entendu parler ?
Oui, beaucoup. Petite, je voyais des gens rentrer chez eux pour les vacances, tous les quatre ans, avec des billets gratuits. Je ne comprenais pas pourquoi ils avaient droit à ce retour… C'est mon premier souvenir du Bumidom. Plus tard, j'ai connu cet épisode par le biais de nombreux témoignages.

Cette histoire est assez méconnue des Métropolitains… 
La population antillaise visée était démunie. C'était une honte de dire que l'on avait pas les moyens de partir par ses propres moyens. Ces personnes ne devraient pas avoir ce sentiment, car elles ont été victimes de cette situation. Il n'y a pas de honte à avoir d'être pauvre, si ce n'est manquer de moyens financiers. A ce moment-là, la France avait besoin d'une cette main-d'oeuvre peu qualifiée, qui allait prendre les emplois dont les Français ne voulaient pas.

Pensez-vous que le film soit bien reçu par les Français originaires des Antilles ?
Il y a déjà eu une première diffusion sur les chaînes locales de Martinique et de Guadeloupe, qui a engendré une effusion sur Twitter ! Les gens sont très touchés. On sent le besoin de combler un vide énorme, aussi bien au sein de la famille que dans les manuels scolaires, ou même à l'écran en général. Dans une société de l'image, c'est aberrant que des franges entières de la société soient ignorées.

Vous êtes née à Dakar, d'un père malien et d'une mère sénégalaise et vous êtes pourtant très crédible dans le rôle d'une Créole...
Merci ! En France, il n'y a pas de coach d'accent comme aux Etats-Unis ou en Angleterre. On est donc très seul pour faire un travail d'expert donc je préférais m'abstenir de reproduire l'accent antillais. Accent qui a été et est encore très moqué et qui peut se transformer en insulte si on ne sait pas bien le faire.

Vous êtes  arrivée en France à l'âge de 4 ans. Avez-vous rencontré des soucis d'intégration ?
Non. La plupart des enfants qui naissent ou grandissent ici sont intégrés de fait, puisqu'ils parlent la langue et que leurs parents vivent et parfois meurent ici. En revanche, j'ai subi une forme de discrimination.

Avez-vous été victime de racisme, récemment ?
J'habite à Paris, ville métissée, je suis comédienne, donc les gens sont plutôt "contents" de me voir. En tant que femme, je ne représente pas une menace, à la limite une proie, mais ma situation personnelle fait que je suis protégée.

© France 2

Ce téléfilm libère la parole...
C'est une libération au sein même des familles et des communautés ultramarines comme pour nos voisins qui n'ont rien à voir avec les Antilles. C'est une découverte d'un pan entier de l'histoire contemporaine.

Vous avez été maman tôt (21 ans), cela vous-a-t-il empêché de continuer votre carrière avec succès ?
Non. A l'époque, on m'a conseillé de ne pas garder ce bébé, mais c'était lié à mon âge pas à mon métier. Je ne pense pas que les enfants nous empêchent de faire quoi que ce soit. J'ai eu la chance de ne pas les avoir élevés seule. C'est une question d'organisation à laquelle toutes les femmes sont confrontées dans le monde du travail ! Il n'y a pas de spécificité en tant que comédienne. Même si c'est un métier précaire, ponctué de hauts et de bas, "ça marche". Mes enfants sont contents de voir que je m'épanouis et c'est un bon signal à leur envoyer pour leur développement.

Que souhaitez-vous transmettre à vos fils ?
Le respect avant tout, de soi, des autres ainsi que la notion de liberté. Je leur dis constamment que le monde leur appartient.

Votre père était un journaliste talentueux et engagé, avez-vous songé à le devenir ?
J'ai changé d'avis et n'ai pas commencé des études de journalisme. L'ombre du père était trop forte et l'opacité qui entourait les raisons de sa mort, trop épaisse. 

Vos deux derniers films : Bienvenue à Marly-Gomont et Il a Déjà tes Teux, s'amusent des clichés sur la couleur de peau... Est-ce votre façon de lutter contre le racisme ?
Il faut de tout. Ce sont des actions multidirectionnelles, pas trois comédies qui vont changer la mentalité d'un pays. Des prises de position politiques réelles, des témoignages, du militantisme, des actions locales sont nécessaires... Sinon, on va droit dans le mur. On doit vivre ensemble.

"Le Rêve français" est sélectionné au Pan African Film Festival de Los Angeles, vous a-t-on déjà proposé un rôle à l'étranger ? 
D'abord en Italie, il y a quelques années. Plus récemment, avec Chiwetel Ejiofor, l'acteur principal de Twelve Years a Slave, qui a réalisé son premier long-métrage. J'ai également joué dans un film en Afrique du Sud il y a un an et demi. Il y a de choses à l'extérieur, ça fait du bien. J'adore voyager, j'ai la sensation que les horizons s'élargissent, que je ne dépends pas que du cinéma français, que j'adore. Et justement, parce que la France est mon pays, j'ai des choses à lui dire !

Croyez-vous toujours à l'ascenseur social ?
Pas complètement. J'ai essuyé tellement de plâtres, traversé tellement d'épreuves que beaucoup de comédiennes blanches ne traverseront jamais et dont elles n'ont même pas idée, contrairement aux comédiennes arabes, asiatiques ou non blanches. Je suis une espèce de miraculée, chanceuse d'avoir eu des rôles dans des comédies populaires qui ont marché, des rôles pas "typés" en termes ethniques, ce qui fait que l'on a finit par m'envisager autrement que pour ma couleur de peau. L'ascenseur social, tant qu'il marche pour des exceptions, on ne peut pas l'appeler ascenseur social. Ce qui marche à fond, c'est le plafond de verre. Allumez la télé et vous verrez.

"Le Rêve Français" mercredi 21 mars et mercredi 28 mars à 20h55 sur France 2