« Je suis née du mauvais côté du rideau de fer… » Samedi 26 octobre, la présidente croate, Kolinda Grabar-Kitarovic, a prononcé ces mots alors qu’elle recevait, à Washington, un prix de l’association Fullbright pour ses « contributions remarquables en tant que leader, diplomate et fonctionnaire ». Une phrase polémique de la part d’une telle personnalité, née à Rijeka à la fin des années 1960.

Car la Croatie, à l’époque du « rideau de fer », faisait partie de la fédération de Yougoslavie. Un pays communiste, certes, mais qui avait rompu avec l’URSS depuis 1948. Loin de se trouver sous la coupe soviétique, ses citoyens ont bénéficié d’une bien plus grande liberté de mouvement que leurs voisins d’Europe centrale.

Réécriture de l’histoire et relativisation du passé oustachi

Ce n’est pas la première fois que la présidente croate est accusée de participer à la réécriture de l’histoire, qui tend à faire de la Croatie une victime du communisme yougoslave et à nier la violence meurtrière du régime oustachi de l’État indépendant croate, allié à Hitler. « Toutes les recherches montrent la résurgence des discours haineux et celle de l’antisémitisme en même temps que la relativisation des crimes commis pendant la Seconde Guerre mondiale », pointe Vesna Terselic, responsable de l’ONG Documenta, qui promeut la confrontation de la Croatie avec son passé.

« Voilà trois ans que des commémorations séparées se tiennent au camp de Jasenovac », rappelle-t-elle. Les représentants des victimes refusent en effet de participer aux commémorations officielles dans l’ancien camp oustachi où ont péri au cours de la Seconde Guerre mondiale plus de 80 000 personnes, parce qu’elles étaient serbes, juives, roms ou opposantes politiques. Ils accusent les autorités de soutenir le discours, de plus en plus populaire, qui diminue le nombre de victimes et la responsabilité de l’État dans leur meurtre.

Cette relativisation du passé accompagne depuis 2015 la forte présence au pouvoir de l’Union démocratique croate (HDZ), le parti conservateur auquel appartiennent la présidente croate et le premier ministre, Andrej Plenkovic. « Le révisionnisme et les discours haineux ne sont plus limités aux marges », met en garde Sasa Milosevic, secrétaire général du Conseil national de la minorité serbe, qui représente les quelque 186 000 Serbes de Croatie.

Une figure de la minorité serbe battue à mort en juin

Selon lui, la minorité est confrontée à « un pic » de violences : des travailleurs ont été attaqués sur l’île de Brac à cause de leur accent serbe, des bars sont vandalisés et les clients brutalisés alors qu’ils regardent le match d’une équipe de football serbe… Le vice-président du Conseil national de la minorité serbe Radoje Petkovic a été battu à mort en juin par un vétéran croate de la guerre des années 1990.

Recevant la récompense Fullbright le 26 octobre, la présidente Kolinda Grabar-Kitarovic a dit qu’elle rêvait, dans sa jeunesse, de pays « où l’on pouvait s’exprimer librement », alors même que les ONG en Croatie, comme la presse, dénoncent une liberté d’expression en danger. S’opposer publiquement au révisionnisme historique signifie s’exposer au harcèlement et aux menaces de mort. Mi-septembre, le journaliste Gordan Duhacek a été arrêté après avoir parodié une chanson nationaliste croate.

L’approche de l’élection présidentielle, qui doit se dérouler fin 2019, risque d’accentuer encore les crispations. La présidente croate a donné le ton en annonçant sa candidature dans les colonnes de Hrvatski Tjednik, un hebdomadaire de droite nationaliste.