Elle arrive sur son vélo, malgré la chaleur étouffante qui écrase Bagdad en cet après-midi de mai. Dhikra Sarsam se déplace toujours en deux roues, même quand le thermomètre flirte avec les 50 C˚. La fondation « Bourj Babel pour le développement des arts et des médias », dont elle est codirectrice, se trouve dans l’un des bâtiments anciens qui longent le fleuve Tigre, près du centre historique de Bagdad.

Derrière l’épais portail en bois, des œuvres d’art colorées et des affiches de manifestations pour les droits civiques habillent le mur. L’engagement artistique et l’activisme politique vont de pair, comme pour Dhikra Sarsam. Née à Bagdad, diplômée en arts plastiques de l’institut des Beaux-Arts de la capitale, elle a commencé son activisme avec ses camarades d’études.

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En 2003, ils organisent l’une des premières expositions artistiques en Irak après la chute Saddam Hussein. En 2005, ils soutiennent les élections et militent pour la liberté de parole, en collaborant avec des organisations internationales : rapidement, il ne s’agit plus seulement de soutenir l’art, mais aussi la démocratie.

Recenser les victimes

En 2005, puis 2011 et 2015, Dhikra Sarsam manifeste presque toutes les semaines. Alors que les prises d’otages d’amis journalistes deviennent de plus en plus fréquentes, elle suit de près chaque cas en organisant des conférences de presse et en demandant des comptes aux autorités. « Encore aujourd’hui, nous ne savons pas qui était derrière ces enlèvements », dit-elle.

Quand les manifestations anti-gouvernementales éclatent de nouveau en Octobre 2019, Dhikra les rejoints sur la place Tahrir, pas loin des locaux de Bourj Babel. Face à la répression féroce et les menaces des miliciens armés soutenus par l’Iran voisin, elle commence en novembre 2019 à recenser les victimes, en coordonnant une équipe de journalistes irakiens.

« Nous avons fait une liste de tous les manifestants et activistes tués : 485 personnes pendant les deux premiers mois de protestation. Nous avons collecté leurs certificats de décès et essayons de faire pression sur le gouvernement pour que les enquêtes avancent », explique-t-elle. Et puis ? « Et puis rien ».

Des enquêtes au point mort

Le premier ministre Mustafa al-Kadhimi avait promis justice, mais les enquêtes sont au point mort. « Le gouvernement ne nous répond plus ». Aujourd’hui, la plupart de ses amis activistes ont fui à l’étranger. Elle-même a reçu des menaces anonymes sur les réseaux sociaux.

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« J’essaie d’être plus discrète quand je mets mes postes sur Facebook. Mais partir d’Irak, ce serait difficile. Les gens comptent sur nous, nous avons un combat à mener ». À travers Internet, Dhikra est en contact avec les autres manifestants. « Ils sont tellement jeunes », dit-elle. « Et ils veulent le changement sans rentrer en politique, sans obtenir de sièges au parlement. Je ne veux pas qu’ils se sentent forcés », explique la quinquagénaire en faisant référence à Bourj Babel.

Le regard limpide et la voix posée, Dhikra s’inquiète des conditions de sécurité des prochaines manifestations, prévues mardi 25 mai : « Les milices visent les participants un par un. Mais nous croyons en ces protestations, c’est la seule voie pour le changement ».