Jusqu’où peut-on modifier les conditions d’obtention de la nationalité sur un territoire français, en le différenciant ainsi des autres ? Depuis 2018 et la loi asile et immigration, le 101e département français, Mayotte, est une exception. Il y est plus difficile qu’ailleurs d’acquérir la nationalité par « droit du sol ». Et le gouvernement compte à nouveau en durcir l’accès.

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Un enfant né de parents étrangers sur cette île de l’océan Indien ne peut acquérir la nationalité française que si l’un de ses parents réside sur le territoire français de manière régulière et ininterrompue depuis plus de trois mois avant sa naissance. Une condition qui n’est pas requise dans le reste du pays. L’objectif, en 2018, était alors de réduire l’immigration massive venue des îles voisines de l’archipel des Comores, et de remédier à la saturation de la maternité de Mamoudzou.

« La loi doit s’adapter »

Le gouvernement veut aujourd’hui allonger cette durée à un an. « Un changement profond et révolutionnaire pour lutter contre l’attractivité de Mayotte », a défendu, lundi 30 août, le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin, en déplacement sur l’île. La mesure sera portée dans un projet de loi consacré à cette collectivité, qui doit être présenté en conseil des ministres avant la fin janvier 2022.

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Le député mahorais Mansour Kamardine (LR) s’en réjouit : « Il faut aller plus loin pour canaliser cette immigration incontrôlée qui nous frappe et pour réduire l’insécurité. La loi doit s’adapter, nous ne nous pouvons pas traiter cette question ici comme nous la traitons à Paris. » À territoire exceptionnel, législation exceptionnelle.

Sait-on déjà si la mesure de 2018 a porté ses fruits ? Beauvau n’en apporte pas la preuve. « La loi ne concerne que les enfants nés après son entrée en vigueur. L’effet réellement quantifiable se verra dans une dizaine d’années », répond-on dans l’entourage de Gérald Darmanin. « On n’a aucun bilan de cette loi », conclut Serge Slama, professeur de droit public à l’université Grenoble Alpes, qui y voit une « rupture d’égalité ».

Conseil constitutionnel

Un délai d’un an sur place nécessiterait pour l’un des deux parents l’obtention d’un « visa d’installation, pour le travail, les études, la famille, et non plus seulement un visa de court séjour, correspondant au délai de trois mois, décrypte Jules Lepoutre, professeur de droit public à l’université de Corse. Or, ces visas d’installation sont plus difficiles à obtenir. »

L’obtention de la nationalité n’est pas immédiate. Elle ne peut être acquise qu’à partir des 13 ans de l’enfant, s’il réside de manière habituelle en France depuis ses 8 ans. « Imaginer que les personnes migrantes font le choix de prendre la mer pour cette stratégie de long terme sur treize ans, c’est absurde », estime ce spécialiste en droit de l’immigration et de la nationalité.

En 2018, le Conseil constitutionnel avait validé la disposition, estimant qu’elle était justifiée au regard de la pression migratoire et rappelant l’article 73 de la Constitution : les lois « peuvent faire l’objet d’adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières »des collectivités outre-mer. « Le Conseil n’a pas posé de réserves, analyse Serge Slama. Je ne vois pas ce qui empêcherait le législateur de faire évoluer à nouveau le système. »