Didier Raoult menacé par l'Ordre des médecins : coup du parapluie ou coup de com' ?

Le Pr Raoult, bientôt suspendu, voire radié. On a presque tout lu et entendu ce week-end sur une éventuelle condamnation par la juridiction disciplinaire d'un "apprenti sorcier". On n'en est pas là.

Le Pr Raoult, bientôt suspendu, voire radié. On a presque tout lu et entendu ce week-end sur une éventuelle condamnation par la juridiction disciplinaire d'un "apprenti sorcier". On n'en est pas là.

Photo Valérie Vrel

Marseille

L'Ordre des médecins menace entre les lignes et se range derrière l'ANSM sur la légalité des essais

Dans les débats homériques entre les anti et les pro-Raoult, il avait été jusque-là d'un silence assourdissant. Deux mois après le début de la crise sanitaire et des polémiques qui vont avec, l'Ordre national des médecins, via un communiqué daté du 23 avril, a remis un euro dans la machine à polémique. Sans même citer son nom, il a, en faisant subtilement référence en bas de page, à différents articles du code de déontologie dont celui rappelant "l'interdiction du charlatanisme", tourner tous les regards vers Didier Raoult. Et ouvert la voie à une kyrielle d'interprétations.

Une communication (ir) responsable

"Les gens comprennent très bien ce que nous faisons", élude Didier Raoult quand on l'interroge sur l'impact de ses déclarations récurrentes sur les réseaux sociaux. Dans son communiqué, l'Ordre rappelle "le sens important" que prend la parole des médecins en cette période de crise sanitaire : "Il serait inadmissible dans ce contexte de susciter de faux espoirs de guérison". Le communiqué ne le cite pas nommément mais il y est clairement visé. Dès le 25 février, il annonçait par la vidéo "Fin de partie" (depuis renommée "Vers une sortie de crise) que le Covid-19 "est probablement l'infection respiratoire la plus facile à traiter". Notamment grâce à la chloroquine, livrant même la posologie. Les autorités sanitaires ont tout de suite craint des automédications dangereuses et une ruée sur cette molécule, qui a manqué, à un moment, à certains patients qui la prennent à l'année pour traiter des maladies chroniques. Avec des milliers de followers et ses vidéos à plusieurs millions de vues, le professeur marseillais n'ignore en rien l'impact qu'il a eu dans l'opinion. Et les espoirs qu'il a suscités.

"Il était temps que l'Ordre réagisse. Mais c'est très tardif, regrette un médecin hospitalier marseillais. Le problème n'est pas tant que Raoult fasse des essais sur la chloroquine, mais qu'il dise tout et n'importe quoi sur sa chaîne Youtube. On n'est pas des stars, on est des médecins. C'est incroyable tout ce qu'on voit".

La crise sanitaire n'autorise pas à s'exonérer de l'humilité et la discrétion ordinaires qui ont cours dans le milieu de la recherche médicale. "Lorsque le médecin participe à une action d'information du public (...) il doit ne faire état que de données confirmées, faire preuve de prudence et avoir le souci des répercussions de ses propos auprès du public", dit le code de déontologie. La communication débridée de Didier Raoult qui publie régulièrement des données et des résultats irrite nombre de médecins. "Il y a matière à poursuivre", estime un proche du dossier. Mais pas uniquement l'infectiologue marseillais. Plusieurs médecins se sont exprimés publiquement dans la presse pour affirmer l'efficacité du traitement prescrit "de manière empirique" à leurs patients : pour certains, un antihistaminique, pour d'autres, un cocktail combinant l'antibiotique azithromycine, du zinc et un traitement de l'asthme.

Essais cliniques illégaux ?

Plus grave, le CNOM annonce avoir informé l'Agence nationale de sécurité du médicament de protocoles qui s'inscrivent en dehors de la législation en vigueur et tirera le cas échéant les conséquences de l'avis de l'ANSM (lire ci-dessous). Sans citer aucun des dits protocoles. "Je ne suis évidemment pas concerné par les menaces de l'Ordre des médecins, a répondu sur Twitter, Didier Raoult. Je m'inscris dans le cadre du décret du 25/03. Les doses d'hydroxychloroquine prescrites à l'IHU sont des doses habituelles, administrées sous surveillance. L'azithromycine est le traitement de référence des infections respiratoires".

C'est le gendarme de la recherche qui donne les autorisations dans le cadre des essais cliniques. Une autorisation qu'il a donnée pour la première étude réalisée par l'IHU sur 24 patients mais pas pour la suivante. L'IHU avance qu'il s'agissait d'étude "rétrospective observationnelle qui n'entre pas dans le cadre d'une Recherche impliquant la personne humaine", l'exonérant de toute demande d'autorisation. L'ANSM affirme avoir demandé des précisions à l'IHU sur le cadre juridique de cette étude. Lequel a répondu.

"L'Ordre départemental prend acte de ce communiqué du CNOM dont les prises de position sont suffisamment rares pour mériter qu'on les regarde avec sérieux, dit Pr Guillaume Gorincourt, vice-président de l'Ordre des médecins des Bouches-du-Rhône. Nous serons donc vigilants aux résultats de l'enquête engagée par l'ANSM. Si non-respect de la réglementation il y a eu, cela relèvera du pénal, qui n'est pas de notre ressort. Mais s'il existe des implicites déontologiques, l'Ordre s'y penchera, sachant que la chambre disciplinaire peut être saisie par n'importe quel médecin cotisant. Ce sujet se discutera à froid, après la crise. Il y a actuellement trop d'émotion autour de ce dossier". Et encore trop d'incertitudes : si beaucoup pensent que Didier Raoult a tort, personne ne peut encore prouver qu'il n'a pas raison.