Renault s'enfonce dans la crise, les marchés sanctionnent lourdement

Par Nabil Bourassi  |   |  880  mots
(Crédits : Reuters)
Le groupe automobile français a publié un avertissement sur résultat dont l'ampleur a surpris les marchés. L'action a plongé de 12% ce vendredi. Renault paie les flops de sa stratégie de gamme et la crise managériale sans fin n'augure rien de bon...

"Renault est l'un des très rares constructeurs à ne pas avoir fait de profit warning", clamait il y a une semaine encore, Thierry Bolloré, alors directeur général du constructeur automobile français et qui défendait son bilan alors que son limogeage était imminent. Une semaine plus tard, la nouvelle direction (intérimaire) a procédé à un avertissement sur résultat.

Des objectifs révisés

Dans un communiqué publié jeudi soir, Renault annonce une série de réajustements des objectifs annoncés à court terme comme à moyen terme. Dans un premier temps, le groupe renonce à un chiffre d'affaires stable et vise désormais une baisse de 3 à 4% de ses recettes sur l'ensemble de l'année. L'objectif de marge opérationnelle est réévalué à 5%, soit 1 point de moins qu'initialement prévu.

Enfin, Renault ne promet plus de générer un flux de trésorerie positive sur l'ensemble de l'année, mais seulement sur le second semestre. Autrement dit, les efforts enregistrés ce semestre ne suffiront pas à compenser la très mauvaise performance enregistrée au premier semestre et qui avait fortement déçu les marchés.

La direction justifie cette dégradation de ses prévisions en invoquant "une conjoncture moins favorable qu'anticipée et un contexte réglementaire qui nécessite des dépenses toujours accrues". Pour l'occasion, Renault a avancé la publication de son résultat trimestriel qui confirme une baisse de ses recettes de 1,6%.

Les marchés ont très négativement réagi à cette annonce. Le titre Renault dégringole de plus de 13% depuis le début de la séance... Clotilde Delbos, ancienne directrice financière  et qui a repris les rênes du groupe de manière provisoire et dans le cadre d'un triumvirat, doit réunir les investisseurs ce soir pour tenter de les rassurer.

La cruelle comparaison avec PSA...

Chez Oddo BHF, on a jugé ce profit warning "déroutant par son timing et son ampleur". "Le groupe met en avant des volumes plus faibles que prévu au 3e trimestre et une absence de visibilité sur le 4e, alors qu'il vient d'afficher une forte croissance des volumes sur septembre (+17,5% hors Chine) qui devrait logiquement se poursuivre sur le 4e trimestre", ont complété les analystes du broker.

À la Société Générale, les analystes sont encore plus implacables: "Il n'y a plus de possibilité d'éviter une comparaison défavorable avec Peugeot." Le groupe automobile rival dirigé par Carlos Tavares affiche de son côté des ratios de rentabilité nettement supérieurs à Renault, et les fondamentaux sont réputés plus solides.

Car, en réalité, le malaise est beaucoup plus profond qu'une conjoncture défavorable et un environnement réglementaire hostile. Le groupe Renault a cumulé des lacunes structurelles et paie aujourd'hui des choix stratégiques qui n'étaient pas grave en période de croissance.

Une stratégie de gamme en partie ratée

D'abord, la marque a en partie ratée le renouvellement de sa gamme. Enclenchée en 2013 avec la nouvelle Clio, Renault a multiplié les lancements jusqu'à trois par an... Si la marque au losange a très bien vendu sa Clio, elle a surtout su imposer son leadership sur un segment nouveau très porteur grâce au Captur. Hormis ces deux exceptions, le reste de sa gamme n'a pas rencontré le succès escompté. Et le problème, c'est que c'est sur les segments supérieurs et donc les plus rentables que Renault a échoué. Koleos, l'Espace, Scénic ou encore le Talisman... la marque française a cumulé les flops. Au point de mettre l'usine de Maubeuge, spécialisée sur ce segment, en sous-capacité. Seul le Kadjar est parvenu à fournir des volumes intéressants, mais on est très loin du succès du Peugeot 3008.

Pour remplir ses usines, Renault a été contraint de pousser les immatriculations, comme on dit dans le jargon. Autrement dit, à brader ses voitures à travers des canaux de distribution peu rentables. En outre, Renault n'est pas parvenu à recréer une adhésion à son univers de marque, qui aurait permis de tirer les ventes sur les finitions les plus haut de gamme. D'ailleurs le Kadjar ne dispose même pas de finitions hauts de gamme... Là aussi, la comparaison avec les performances de Peugeot infligent un contraste saisissant.

La cerise sur le gâteau, c'est que les ventes de Renault ne cessent de baisser... Au premier semestre, les ventes ont baissé de 6% en Europe.

Une crise managériale sans fin

Bref, Renault doit faire face à une conjoncture extrêmement dégradée avec une puissance de marque affaiblie et donc peu résiliente qui l'expose au pire en cas de retournement de marché. Le tassement de celui-ci est déjà bien enclenché en Europe. Le renouvellement des Clio et Captur, salué par la presse spécialisée, pourrait néanmoins limiter les dégâts. Il est néanmoins acquis que Renault continuera à souffrir sans un nouveau leadership stratégique et opérationnel. Pour l'heure, la crise managériale sans fin qui a suivi l'arrestation de Carlos Ghosn en novembre 2018, interdit tout espoir de ce point de vue là... Là encore, la comparaison avec PSA où le leadership de Carlos Tavares est incontesté, est cruelle...