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Le sénateur Philippe Folliot : "Pourquoi je voterai contre le projet de loi constitutionnelle"

TRIBUNE - Le sénateur Philippe Folliot (Alliance centriste) explique les raisons pour lesquelles il s'opposera au projet de loi constitutionnelle complétant l'article 1er de la Constitution et relatif à la préservation de l'environnement qui arrive ce lundi en séance publique au Sénat.

Rédaction JDD , Mis à jour le
Le député Philippe Folliot.
Le député Philippe Folliot. © AFP

La tribune : "Afin de répondre aux aspirations, légitimes j'en conviens, d'une partie de l'opinion publique, en particulier de nos jeunes concitoyens, sur les questions liées à l'environnement, le Président de la République a jugé bon d'inventer le concept de Convention citoyenne, qui donne à des citoyens 'tirés au sort' la possibilité de faire des propositions 'jugées égales' à des propositions de loi émises par la voie parlementaire.

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Lors de la Convention citoyenne sur le climat, première du genre, ce procédé, aux motivations certes louables et sympathiques, a toutefois pris une tournure qui risque de faire de ce dernier un dangereux précédent. Deux de ses aspects fondamentaux me semblent même constituer un risque éminent pour notre démocratie.

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Tout d'abord, dans notre démocratie représentative, le fait que des citoyens 'tirés au sort' soient susceptibles de prendre à leur charge le rôle de leurs représentants élus aux deux chambres du Parlement, Assemblée nationale et Sénat, participe à renforcer la défiance, déjà présente, de nos concitoyens envers leurs élus. Comment ne pas s'interroger, en effet, sur la légitimité des commissions parlementaires chargées de l'environnement, si l'image qui est donnée de ce travail, mené en profondeur, avec la conscience des nombreux enjeux qui sous-tendent chaque proposition, peut être 'concurrencée' par des comités informels?

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'Un tirage au sort' ne répond en aucun cas aux exigences de la représentation démocratique

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Il ne s'agit pas de blesser personnellement les membres de cette Convention, qui ont fourni un important travail compte tenu du temps qui leur était imparti et de l'ampleur de la tâche. Néanmoins, nous touchons là à l'un des piliers de notre démocratie qu'est la représentation : 'un tirage au sort' ne répond en aucun cas aux exigences de cette dernière. Nous, élus de la République, comment pouvons-nous permettre de laisser fouler aux pieds de la sorte notre représentativité et notre responsabilité, par le biais d'un tel procédé, qui plus est au profit d'une assemblée éphémère qui ne prend en considération qu'une partie des conséquences de ses décisions?

L'autre aspect de cette Convention qui m'a consterné a ainsi été l'injonction de la part de ses membres de voir l'ensemble de ses propositions reprises telles quelles, et surtout que cette injonction ait été, en grande partie, acceptée par notre premier représentant, le Président de la République. Il s'agit là d'une véritable forme de braquage législatif! Là encore, comment peut-on protéger notre démocratie si de tels courts-circuits peuvent être soutenus par ses propres représentants? Sans débat, sans accès à un degré de nuance supérieur, où est la recherche de la vérité, du bien commun, de l'unité de la nation, ou encore du progrès humain dans son ensemble?

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Exiger ainsi une acceptation 'aveugle' d'un ensemble de propositions, au prétexte qu'elles ont déjà été 'débattues et mûries' par d'autres, ce n'est pas cela, participer au processus démocratique. Et de la part de ses représentants, aller jusqu'au bout de cette acceptation, pour céder à la 'tendance' et à la pression de l'opinion publique, ce n'est pas gouverner dans l'intérêt général, qui dépasse bien souvent les préconçus de cette opinion.

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Tout ajout ou modification de la Constitution entraîne de facto un bouleversement de tous les autres droits

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La proposition clef de modification de la Constitution, qui s'est traduite par un projet de loi constitutionnelle, tel qu'adopté le 16 mars dernier par l'Assemblée nationale, contient à elle seule une véritable 'bombe à retardement', et ce sera le juge, non pas le législateur, encore moins le citoyen, qui en détiendra le bouton déclencheur.

'Cent fois sur le métier remettez votre ouvrage' disait Boileau. Et Montesquieu d'ajouter que toute loi doit être votée 'la main tremblante', autrement dit le doute vissé au corps. Aucun débat n'est inutile, aucun compromis n'est vain s'il permet de se rapprocher au plus près de toutes les réalités qui composent un sujet. En effet, ce qui est vrai pour la loi ordinaire l'est encore plus pour une loi constitutionnelle. Tout ajout ou modification de la Constitution entraîne de facto un bouleversement de tous les autres droits.

Inscrire le droit de l'environnement dans celle-ci, avec une notion de garantie assortie à ce droit, implique qu'il prend le pas sur l'ensemble des autres droits de notre pays. Le droit social, les libertés économiques, les projets locaux d'aménagement et de développement et tous les acquis économiques et sociaux devraient ainsi être relus à l'aune du droit de l'environnement, or les enjeux de l'un et ceux de l'autre sont encore, dans notre société telle qu'elle est - et non dans celle qu'elle devrait être dans le fantasme de l'opinion - contradictoires ou sujets à des arbitrages.

De plus, comment ne pas redouter les retombées juridiques et judiciaires d'un tel précédent, qu'aucun de nous n'est capable de mesurer?

Devoir renoncer à la construction d'une école, d'un hôpital, d'une crèche, d'une route, d'une entreprise avec ses emplois, d'un logement, social ou non, à cause de cette 'garantie' accordée à l'environnement, voilà ce qui risque d'advenir. Tout élu prendra également le risque de voir sa politique et ses projets systématiquement attaqués en justice au nom de l'environnement, ce qui aboutira à la victoire du 'principe de précaution', c'est-à-dire à une non-assumation généralisée du risque.

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L'environnement est une composante de cette supériorité, un élément qui nous impose de grandir en son sein, non la supériorité elle-même

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Je n'avais pas voté pour la constitutionnalisation de ce principe en 2005, craignant déjà à l'époque et plus encore aujourd'hui, qu'il n'entraîne une judiciarisation à outrance et, à terme, l'immobilisme de notre pays au détriment de ceux qui essaieront de continuer à prendre des risques mesurés, pesés et arbitrés.

Ce lundi, je voterai contre ce projet de loi de modification constitutionnelle, sans céder à l'argument du 'c'était un engagement du Président', ou encore à la folie du tendance et du politiquement correct.

Notre démocratie mérite mieux qu'un procès permanent entre ses citoyens, même au nom d'un principe environnemental 'supérieur'. Pour moi, la défense de l'environnement, de la biodiversité et la lutte contre les changements climatiques est quelque chose d'essentiel. Mais la supériorité va à l'humain, à l'humanisme, aux humanités. L'environnement est une composante de cette supériorité, un élément qui nous impose de grandir en son sein, non la supériorité elle-même. Nous devons agir pour notre environnement pour améliorer notre humanité, travailler pour elle et pour son avenir, non contre elle et contre ceux qui ne pourront ou ne voudront pas suivre une telle injonction."

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