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En France, la diaspora turque reste sous l'influence d'Erdogan

C'est de Mulhouse, siège d'une importante communauté turque, qu'Emmanuel Macron avait lancé la bataille contre le "séparatisme".

Guillaume Perrier , Mis à jour le
Le site du groupe scolaire Eyyûb Sultan.
Le site du groupe scolaire Eyyûb Sultan. © Capture d'écran

En février dernier, la nébuleuse pro-Erdogan dans l'Hexagone était la cible principale du premier discours présidentiel sur le "séparatisme". Cela n'a pas empêché l'école primaire Avicenne, un établissement musulman hors contrat, d'ouvrir ses portes à la rentrée de septembre. À l'origine se trouve l'organisation islamiste turque Millî Görüs ("Vision nationale"), du nom de la doctrine lancée à la fin des années 1960, à Cologne, par Necmettin Erbakan, père fondateur de l'islam politique turc. C'est auprès de lui que Recep Tayyip Erdogan s'est formé, avant de s'en émanciper pour fonder l'AKP en 2001.

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400 mosquées et salles de prière sur un total de 2.500

Proche des Frères musulmans turcs mais aussi des frères Tariq et Hani Ramadan, la confédération islamique Millî Görüs promeut un islam nationaliste anti-occidental. Elle chapeaute environ 500 mosquées en Europe occidentale, principalement en Allemagne mais aussi en France (71 mosquées), avec de nouveaux projets à Grigny et Creil. Elle investit également dans les écoles privées où est dispensé un enseignement religieux sunnite très conservateur. Outre Mulhouse, l'organisation turque gère le groupe scolaire Eyyûb Sultan à Strasbourg, associé à la grande mosquée du même nom, ainsi que d'autres à Clichy, Corbeil-Essonnes et Villefranche-sur-Saône. Selon sa page Facebook, plusieurs écoles seraient en projet, à Metz, Grenoble, Bordeaux, Besançon et Belfort.

Lire aussi - Islamisme, les risques de l'offensive de Macron

Longtemps autonome du gouvernement turc, le Millî Görüs est désormais au service de la politique du président turc Erdogan et sert de relais auprès de la diaspora en France. Pour cela, elle travaille avec la DITIB, la branche française du Diyanet, la puissante administration religieuse étatique qui salarie les imams et contrôle 250 mosquées turques, sur le sol national comme à l'étranger.

Plus de 150 imams turcs, des fonctionnaires détachés par le Diyanet qui la plupart du temps ne parlent pas français, officient dans ces mosquées. Au total, l'État turc domine le paysage français en ayant la main sur près de 400 mosquées et salles de prière, sur un total d'environ 2.500. Ahmet Ogras, un cousin éloigné de l'épouse du président turc, a d'ailleurs présidé le Conseil français du culte musulman (CFCM) de 2017 à 2019 au nom des organisations turques.

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Au-delà des mosquées et des écoles, l'activisme politico-religieux pro-turc s'est intensifié ces dernières années, le pouvoir turc tentant de renforcer son contrôle sur les 500.000 citoyens turcs ou d'origine turque. Le Cojep (Conseil de la justice, de l'égalité et de la paix), fondé dans les années 1990 à Belfort par quelques militants islamistes et nationalistes de la diaspora, a joué un rôle de pionnier.

Un dispositif pour dénoncer l'islamophobie

Cette organisation peut s'enorgueillir d'être reconnue et consultée par l'ONU ou par le Conseil de l'Europe, avec un agenda clairement politique. Elle s'investit dans la négation du "prétendu génocide arménien" et contre son enseignement à l'école, soutient la lutte contre "le terrorisme" du gouvernement turc et dénonce l'islamophobie en France. Le Cojep, qui a reconnu des liens financiers avec l'AKP, le parti au pouvoir en Turquie, est dirigé par Ali Gedikoglu, militant ultranationaliste condamné pour "incitation à la haine" en 2018. Selon lui, Recep Tayyip Erdogan serait "le Mandela du XXIe siècle". Son fils Hamza Gedikoglu a été nommé conseiller du président Erdogan cet été.

Lire aussi - Loi contre les séparatismes : les représentants du culte musulman prêts à jouer le jeu

Un ancien des membres du Cojep, Saban Kiper, ex-conseiller municipal (PS) à la mairie de Strasbourg, s'est reconverti au sein de la DITIB. D'autres ont été les têtes d'affiche du parti Égalité et Justice, un microparti pro-Erdogan qui a présenté plusieurs dizaines de candidats en France aux législatives 2017. Parmi eux, le délégué de la branche jeunesse, Ahmet Cetin. Ce dernier s'est fait connaître cet été par une vidéo enflammée sur les réseaux sociaux dans laquelle il déclarait : "Si l'État turc nous donne un salaire de 2 000 euros et une arme, alors nous agirons partout en France."

Ces États étrangers qui financent l'islam en France

Le dernier rapport en date sur le financement des lieux de culte musulman dans l'Hexagone a été publié par les sénateurs Nathalie Goulet et André Reichardt en juillet 2016. À cette époque, les rapporteurs indiquaient que ce financement restait "marginal" mais suscitait "des interrogations". Selon le rapport, la Turquie participait davantage à la formation des imams qu'à la construction de mosquées. Le Maroc, propriétaire de la mosquée d'Évry, aurait participé à hauteur de 6 millions d'euros à l'entretien d'autres édifices et à la formation d'une trentaine d'imams. L'Algérie, grâce à un accord passé avec la grande mosquée de Paris, subventionne cette dernière à hauteur de 2 millions d'euros par an. L'Arabie saoudite a indiqué avoir versé au cours des années précédentes près de 4 millions d'euros pour l'entretien de huit mosquées dont celle de Saint-Denis et en versant les salaires de 14 imams résidant en France. F. C.

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