Omar Sy, retour sur terres

LE PARISIEN WEEK-END. Pour « Yao », le nouveau film de Philippe Godeau, en salle le 23 janvier, l’acteur français a tourné au Sénégal, le pays de ses ancêtres. Nous l’avons suivi lorsqu’il y est revenu, en décembre dernier, pour présenter ce long-métrage aux résonances intimes. Portrait d’un homme enraciné dans sa double culture française et africaine.

    En ce soir de décembre, le village de Diofiorest à la fête. Les habitants de cette commune du Sine Saloum, dans l'ouest du Sénégal, ont sorti tam-tam et micros. Sur la grand-place au sol sablonneux, entourée de maisonnettes aux murs d'argile, les enfants dansent sans interruption, riant aux éclats. A quelques pas de là, des chèvres broutent au pied du grand fromager, un arbre aux plis étranges, point de rencontre des villageois. Ce soir, Omar Sy vient présenter « Yao »*, un road movie africain de Philippe Godeau qui traite d'identité et de quête des origines. Pour les Diofiorois, la fête est double : ils retrouvent avec plaisir l'acteur célèbre qui a tourné chez eux et assistent, événement rare, à la projection d'un film sur grand écran.

    Les habitants de Diofior, le village qui a servi de décor au film, pendant l'avant-première en plein air. (Vincent Boisot pour Le Parisien Week-End)

    Pour se ressourcer et voir sa famille

    La nuit est tombée. Plusieurs centaines de personnes attendent dans un joyeux brouhaha que le comédien prenne la parole. En tenue décontractée (baskets, pantalon beige et tee-shirt blanc), Omar Sy est tout sourire. Mais le roi de la vanne au rire légendaire laisse place à un homme ému, presque grave. « Je suis vraiment heureux d'être là, confie-t-il. On a tourné une grande partie du film chez vous, avec des gens d'ici. Ça nous tenait à coeur que vous soyez les premiers à le voir. »

    L'enjeu est important pour l'acteur de 40 ans, car le Sénégal, où il se rend régulièrement, est la terre d'origine de son père, et « Yao », son premier film africain. Le projecteur s'éteint. Assis au premier rang, Omar Sy regrette de ne pouvoir observer les réactions des spectateurs, mais les gloussements et les murmures le rassurent peu à peu. « Je suis soulagé, confie-t-il. Le pire aurait été que ce public se sente trahi. »

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    Pour le gamin des Yvelines, aujourd'hui citoyen de Los Angeles, le Sénégal est une deuxième patrie. A la différence de Seydou Tall, le personnage qu'il interprète – un acteur d'origine sénégalaise qui se rend pour la première fois sur la terre de ses ancêtres –, Omar Sy n'a rien d'un « bounty », comme les Africains surnomment les Noirs qui seraient « blancs à l'intérieur ». « Peu importe ce qu'en disent les gens, je suis aussi français que sénégalais. » Dès qu'il le peut, Omar Sy retourne dans ce pays pour se ressourcer et voir sa famille.

    Des Peuls, peuple de bergers nomades dont il est issu et l'une des principales ethnies du Sénégal, Omar Sy a hérité une grande discrétion. Il y a une véritable pudeur chez cet homme au physique de géant et au rire tonitruant, qu'on imagine volontiers plaisanter en permanence. Au point que, par instants, l'on peine à reconnaître le showman derrière cet homme qui doute, mais il lui suffit de sourire pour redevenir l'inénarrable Omar Sy.

    Le comédien est heureux de revenir sur les lieux du tournage de « Yao », pour montrer le film à ceux qui y ont participé. (Vincent Boisot pour Le Parisien Week-End)

    Les étés au pays ont forgé sa personnalité

    Son histoire est celle d'un enfant d'immigrés, né et élevé à Trappes dans une cité de banlieue emblématique des politiques de rénovation urbaine des années 1970, hérissée de barres HLM. Omar, quatrième enfant d'une fratrie de sept, a grandi dans un immeuble à taille humaine, entouré de parents aimants. Son père, Demba Sy, originaire d'un petit village du nord du Sénégal, a rejoint la France en 1962, afin de gagner assez d'argent pour revenir au pays et monter un atelier de tissage. Devenu ouvrier dans l'industrie automobile, il n'est jamais reparti. Sa mère, Diariyatou Dia, née en Mauritanie, s'est consacrée à l'éducation de ses enfants. L'attachement du couple à son Afrique natale est viscéral : impensable d'élever leurs bambins loin du Sénégal. Comme leurs revenus sont modestes, ils ont organisé un système de roulement. Les enfants, répartis en « deux équipes », passent, un été sur deux, leurs vacances au pays.

    Le jeune Omar traîne parfois des pieds mais, sur place, c'est un autre monde qui s'ouvre à lui. Le soleil vif, la chaleur mordante, la terre ocre et les prairies plantées de baobabs ne cessent de l'émerveiller. « Ici, j'étais plus près de la nature et des animaux : lézards, oiseaux, chèvres, chevaux, ânes... se souvient-il. Je jouais au lance-pierre, au foot. Il fallait être créatif, c'était stimulant. Parfois, on aidait aux champs, on ramenait les vaches et les chèvres avec les cousins. »

    A chacun de ses voyages, la famille se rend à Korokoro, en Mauritanie, dans le village maternel, et à Dakar, au Sénégal. Ces étés forgent la personnalité du petit garçon. « Ils ont fait de moi un adulte plus ouvert, plus riche, capable de s'adapter facilement. »

    « Je voulais que mon père soit fier de moi »

    A 19 ans, son père l'embarque pour un voyage en tête à tête. Ce périple sénégalais a valeur de rite initiatique pour Omar, qui fait alors ses débuts à la radio. Pour la première fois, les deux hommes se parlent vraiment. « Il m'a raconté son histoire. J'ai enfin compris qui il était, explique-t-il. A partir de là, je suis devenu beaucoup plus exigeant avec moi-même, je voulais que mon père soit fier de moi. »

    Devenu papa à son tour à 23 ans, il emmène régulièrement ses enfants – au nombre de cinq aujourd'hui – sur la terre de leurs ancêtres. « C'est important de savoir qui est son père, qui était son grand-père et celui d'avant, et encore d'avant... Chacun laisse quelque chose au suivant. J'essaie de ne pas rompre la chaîne pour que, à leur tour, mes enfants prennent le relais. »

    Mais la folie médiatique qui entoure le film « Intouchables » (2011) et ses 19,5 millions d'entrées rien qu'en France, le départ pour Los Angeles, la multiplication des opportunités professionnelles et l'accélération brutale de sa carrière éloignent un temps le comédien du Sénégal. Lorsque le cinéaste Philippe Godeau lui propose de jouer dans « Yao », il n'y a pas mis les pieds depuis huit ans. « Pendant cette période, le Sénégal a beaucoup changé. Même si je ne découvrais pas le pays, je m'y suis vraiment reconnecté. » Et d'énumérer les signes d'irruption de la modernité : la construction d'une autoroute, d'un nouvel aéroport à Dakar, l'implantation d'un magasin Auchan dans la ville de M'bour...

    Quand, en février 2018, il part tourner à Diofior, Omar Sy est surpris de découvrir que certains habitants le reconnaissent. Un enfant du pays devenu une star internationale, il y a de quoi être fier ! Même ceux qui ignorent tout de lui ont tôt fait de l'adopter, car l'homme est resté très simple. Les anciens viennent volontiers le bénir. Omar apprécie : « Toute bénédiction est bonne à prendre. »

    A Diofior, dans la région du Sine Saloum, au Sénégal, Lionel Basse, qui joue le rôle-titre de « Yao », pose avec Omar Sy. (Vincent Boisot pour Le Parisien Week-End)

    Retrouver « le lien avec les ancêtres et la spiritualité »

    En acceptant de jouer dans « Yao », qui sortira en France le 23 janvier, l'acteur savait qu'il dévoilerait une plus grande part de lui-même. « Même si on met de soi dans chacun de ses films, celui-là est sans doute le plus impudique », reconnaît-il. Il s'est aussi impliqué dans la production. « Ce projet me tenait vraiment à coeur. J'avais envie de m'y engager au maximum. » Pour la première fois, le comédien a suivi le film de bout en bout, en étant associé à toutes les étapes qui précèdent et suivent le tournage. Avec le réalisateur, ils ont redoublé de vigilance, soucieux de l'authenticité de ce qu'ils montraient. « On ne pouvait pas se louper, on n'avait pas droit à l'erreur », insiste-t-il.

    Le film donne une image lumineuse du pays et se concentre sur ce qui, selon Omar Sy, constitue l'âme du Sénégal, « le lien avec les ancêtres et la spiritualité ». Dans un pays où cohabitent musulmans, chrétiens et animistes, le rapport à l'au-delà est prégnant. De confession musulmane, l'acteur trouve dans sa foi un socle, une éthique. « J'y puise de la force, de l'inspiration par moments, du réconfort à d'autres. Une ligne de conduite. »

    Dans ce long-métrage, le comédien apparaît sous un jour nouveau. Plus en retenue. Il a travaillé son jeu pour coller à ce personnage, très fermé au début du film. Cette performance confirme qu'Omar Sy n'a pas seulement une force comique, mais l'étoffe d'un grand acteur. « Au départ, c'était déstabilisant à jouer, parce que même si je répète que je n'ai pas de méthode, que je travaille à l'instinct, j'ai compris pendant ce tournage que j'avais pris des habitudes et des réflexes que j'ai dû gommer », analyse-t-il.

    Le réalisateur, lui, savait qu'Omar était capable de cette épure dans le jeu, il a même écrit le film en pensant à lui : « Omar n'a pas besoin d'en rajouter corporellement pour faire passer des émotions. Il a cette force-là. Il a juste besoin d'avoir confiance. » L'acteur a tiré de cette expérience un regard neuf sur son métier et cherche désormais des réalisateurs capables de le sortir de sa zone de confort.

    Le 11 décembre 2018, Omar Sy salue le musicien et ministre sénégalais Youssou N'Dour, lors de l'avant-première de « Yao », au Grand Théâtre national de Dakar. (Vincent Boisot pour Le Parisien Week-End)

    « Je veux m'engager pour les enfants »

    Ce tournage de deux mois et demi a également modifié sa relation au Sénégal. « On a parcouru le pays du nord au sud, j'ai traversé des villages et des paysages que je n'avais jamais vus. J'ai découvert d'autres façons de vivre, qui m'ont rendu curieux. » Il aimerait visiter la Casamance, dans le sud du pays, et projette de s'acheter une maison. « Il faut trouver le moment et l'endroit, celui qui te dit "reste ici". »

    Lui qui s'est engagé avec sa femme Hélène, depuis 2004, auprès des enfants malades en France, en fondant l'association CéKeDuBonheur, qui s'est mobilisé en 2017 pour les Rohingyas, minorité ethnique musulmane persécutée en Birmanie, cherche encore la cause qu'il pourrait soutenir au Sénégal. La politique ne l'intéresse pas, il préfère agir plus directement. « Je veux pouvoir m'engager pour un combat que j'aurai envie de soutenir toute ma vie. Une chose est sûre, cela concernera les enfants. »

    Cette générosité est sans doute l'un des traits de son caractère le plus saillant. Revenu à Diofior, il parle et danse avec les enfants en liesse. Au soir de la projection au Grand Théâtre national de Dakar, sous le regard bienveillant du musicien et ministre chargé de la promotion du Sénégal à l'étranger Youssou N'Dour, Omar, en tunique traditionnelle noir et jaune, subit avec une patience admirable les assauts d'anonymes désireux de faire un selfie.

    Il a aussi tenu, dans un planning très minuté, à participer à un débat organisé par le festival de courts-métrages de Dakar. Il y répond avec humilité à ceux qui s'interrogent sur la manière de percer au cinéma. « Ma carrière d'acteur n'a vraiment commencé qu'il y a sept ans, je suis encore en apprentissage. Une chose est sûre, il ne faut pas faire des films pour percer mais parce qu'on a quelque chose à dire et qu'on aime jouer. Le seul conseil que je pourrais donner, c'est de ne jamais lâcher. » Omar Sy, lui, poursuit sur sa lancée, mû par son enthousiasme inépuisable.

    *« Yao », de Philippe Godeau, France, Sénégal (1 h 46). Avec Omar Sy, Lionel Basse… En salle le 23 janvier.