Changement climatique : un scientifique déclenche un tollé en accusant la réputée revue Nature d’être partiale

« J’ai omis de dire toute la vérité pour que mon article sur le changement climatique soit publié », assure l’expert américain Patrick Brown. Une méthode qui a scandalisé ses pairs.

L'expert américain raconte comment, dans une étude sur les incendies de forêts, il s'est délibérément focalisé sur le rôle du réchauffement climatique dans l'augmentation des risques tout en n'étudiant pas sciemment la contribution d'autres facteurs potentiels, comme la gestion des terres. (Illustration) LP/Philippe de Poulpiquet
L'expert américain raconte comment, dans une étude sur les incendies de forêts, il s'est délibérément focalisé sur le rôle du réchauffement climatique dans l'augmentation des risques tout en n'étudiant pas sciemment la contribution d'autres facteurs potentiels, comme la gestion des terres. (Illustration) LP/Philippe de Poulpiquet

    Ses aveux ont eu l’effet d’une bombe dans le milieu scientifique. Un expert américain a accusé l’une des revues scientifiques les plus cotées, Nature, de favoriser les études collant à un « récit » climatique à sens unique. Patrick Brown révèle qu’il a réalisé une étude dans ce seul but, sans le dire à ses coauteurs : une méthode qui a suscité la réprobation parmi ses pairs.

    « J’ai omis de dire toute la vérité pour que mon article sur le changement climatique soit publié », assure Patrick Brown dans un article du site The Free Press, le 5 septembre. Il y raconte comment, dans une étude sur les incendies de forêts publiée le 30 août, il s’est délibérément focalisé sur le rôle du réchauffement climatique dans l’augmentation des risques tout en n’étudiant pas sciemment la contribution d’autres facteurs potentiels, comme la gestion des terres.



    « Je viens d’être publié dans Nature parce que je m’en suis tenu à un récit dont je savais qu’il plairait aux rédacteurs en chef », écrit ce chercheur. Immédiatement, des médias américains et britanniques qui relaient régulièrement des opinions climatosceptiques, en pleine recrudescence, se sont emparés de ses accusations.

    « Pas de preuves »

    L’étude concluait que le changement climatique augmente de 25 % le risque d’incendies extrêmes de forêt. Ce résultat n’est pas lui-même soupçonné de manipulation : c’est la volonté délibérée de ne pas quantifier d’autres facteurs potentiels, dans le but d’accuser Nature, qui lui est reproché, a fortiori en trahissant la confiance de ses coauteurs.

    L’un d’eux, Steven Davis, de l’université de Californie, n’a pas caché sa surprise : « Patrick a peut-être pris des décisions qu’il pensait de nature à favoriser la publication, mais nous ne savons pas si un article différent aurait été rejeté, a-t-il réagi. Je ne crois pas qu’il dispose de beaucoup de preuves pour étayer ses affirmations que les rédacteurs en chef et les comités de lectures sont partiaux. »

    La rédactrice en chef de Nature, Magdalena Skipper, a défendu le processus interne de relecture par les pairs. Les éditeurs ont notamment interrogé le chercheur sur les autres facteurs. « Nous avons été persuadés qu’un article focalisé sur ce sujet avait de la valeur pour la communauté scientifique, grâce à la quantification » de l’impact climatique.



    Trois récentes études dans Nature, sur les canicules marines, les émissions de carbone en Amazonie et les incendies, ont par ailleurs évalué d’autres facteurs que le réchauffement, a-t-elle rappelé.

    « Éthique douteuse »

    Patrick Brown, qui n’a pas répondu à l’AFP, est un responsable du Breakthrough Institute, qui étudie les réponses technologiques aux problèmes environnementaux. Pour Ivan Oransky, cofondateur du Retraction Watch, site de veille sur les rétractions d’articles académiques, la démarche de Patrick Brown « ressemble à un coup monté… à l’éthique douteuse ».

    « Le problème est que sa tentative de démonstration s’appuie sur une logique défaillante, qui va évidemment convaincre ceux déjà convaincus que les scientifiques ne sont ni rigoureux ni honnêtes, en particulier sur le changement climatique », s’inquiète-t-il.

    Les scientifiques se plaignent souvent de la pression sur les jeunes chercheurs, exprimée par le dicton « Publish or perish » (« publier ou périr »). « Il est compréhensible que les évaluateurs et les rédacteurs en chef des revues s’inquiètent de la manière dont un sujet complexe, en particulier politiquement délicat, sera reçu par le public », relève Brian Nosek, psychologue cofondateur du Center for Open Science, organisme américain qui promeut la transparence scientifique. « Mais la science donne le meilleur d’elle-même lorsqu’elle s’appuie sur cette complexité et ne laisse pas des récits idéologiques simplifiés à l’extrême déterminer la manière dont les preuves sont rassemblées ».

    « Il est regrettable, mais pas surprenant, que Patrick ait eu l’impression qu’il devait participer à la simplification à outrance de son travail pour faire carrière dans la science », mais « à long terme, cela ne rend service ni à lui, ni à la science, ni à l’humanité ».