Manifestations à Cuba : 5 minutes pour comprendre une crise économique et politique

Des manifestations ont éclaté sur l’île de Cuba dimanche, alors que le pays fait face à une grave crise économique et alimentaire. Le gouvernement en tient les Etats-Unis pour responsables.

Le pays subit une importante crise économique, aggravée par la pandémie de Covid-19. REUTERS/Alexandre Meneghin
Le pays subit une importante crise économique, aggravée par la pandémie de Covid-19. REUTERS/Alexandre Meneghin

    Un événement que les spécialistes de la région n’auraient pas cru envisageable il y a un an et demi. À Cuba, des rassemblements de protestation, portés par les jeunes, se sont tenus dans tout le pays ce week-end. C’est un fait rare, alors que les seules manifestations autorisées sont celles organisées par le Parti communiste, et qui pourrait mener à un point de rupture.

    Que s’est-il passé dimanche ?

    Dimanche, des milliers de Cubains ont manifesté à travers le pays. À La Havane et à San Antonio de los Baños notamment, ils ont lancé des cris comme « Liberté », « A bas la dictature », ou « Qu’ils s’en aillent ! ». Ces mouvements ont été relayés sur les réseaux sociaux sous les hashtags #SOSCUBA ou #SOSMatanzas. Les réseaux sociaux jouent un rôle important dans l’opposition au gouvernement depuis que l’accès à Internet a été élargi en 2018 sur l’île.

    En réaction, la 3G a été coupée une bonne partie de l’après-midi, et au moins dix personnes ont été arrêtées. Lors d’une allocution télévisée, le président cubain, Miguel Díaz-Canel, a encouragé ses partisans à combattre les manifestants : « Nous appelons tous les révolutionnaires du pays, tous les communistes, à sortir dans les rues où vont se produire ces provocations, dès maintenant et les prochains jours. Et à les affronter de manière décidée, ferme et courageuse ». Des échauffourées ont éclaté dimanche entre des manifestants et des policiers, et lundi, les rues restaient sillonnées par les forces de l’ordre.

    Pourquoi ces Cubains manifestent-ils ?

    À l’origine de ce mouvement : une crise économique aggravée par la pandémie. Cuba était déjà extrêmement dépendante des échanges avec l’extérieur : le pays importe habituellement plus de 70 % de ses besoins alimentaires. Mais ces denrées se font rares, puisque le gouvernement peine à renflouer les caisses de l’État.

    Deux des secteurs économiques forts de l’île ont été mis à mal cette année : l’exportation de sucre et le tourisme. « Cuba a été construite comme un mono producteur (de canne à sucre), et ils n’ont pas réussi à changer cela », décrypte Janice Argaillot, maître de conférences en civilisation latino-américaine à l’Université Grenoble Alpes. Or, les récoltes de sucre ont été très mauvaises cette année, ne représentant que 66 % de ce qui était attendu. C’est, selon le président du groupe sucrier étatique Azcuba, l’une des pires récoltes de l’histoire de Cuba. Quant au tourisme, la pandémie de Covid-19 est venue mettre un coup d’arrêt à ce secteur clé de l’économie cubaine.



    C’est ce qui a mené le pays aux événements de dimanche : « Une mobilisation populaire de gens qui ont faim », avance Janice Argaillot. « Les Cubains sont fatigués. Ils font parfois la queue pendant 6 heures devant les magasins d’État vendant de la nourriture pour s’entendre dire qu’il n’y en a plus. Le repas n’est plus un moment convivial pour eux, ils mangent rapidement ce qu’ils ont pu trouver », relate-t-elle. Pour cette spécialiste des questions liées à Cuba, le message que les jeunes veulent faire passer dans les manifestations est qu’ils sont lassés d’agir pour la révolution si elle ne fait rien pour eux.

    Le président cubain a admis dimanche que la situation économique était difficile dans le pays, mais en a attribué toute la responsabilité à l’embargo mis en place par les États-Unis depuis 1962. Ce « blocus » comme les Cubains l’appellent, ne concerne plus les denrées alimentaires, mais reste appliqué à certains secteurs, comme celui de la santé. Selon Janice Argaillot cependant, toutes les difficultés économiques ne viennent pas de l’embargo. Il serait tout au plus un facteur aggravant de problèmes déjà présents.

    Pourquoi le gouvernement cubain accuse-t-il les États-Unis ?

    Le gouvernement cubain estime que les manifestations de dimanche ont été orchestrées par les États-Unis. « Il y a un groupe de personnes, contre-révolutionnaires, mercenaires, payées par le gouvernement américain, de façon indirecte à travers des agences du gouvernement américain, pour organiser ce genre de manifestations », a affirmé le président cubain Miguel Díaz-Canel lors d’un discours télévisé dimanche.



    Les relations entre Cuba et les États-Unis, très tendues depuis 1962, se sont dégradées pendant le mandat de Donald Trump. L’ex-président des États-Unis a, entre autres, instauré de nouvelles restrictions de voyages et d’envoi d’argent vers Cuba, et remis le pays sur la liste des « États soutenant le terrorisme ».

    Janice Argaillot explique que cela a toujours été dans la ligne politique du gouvernement cubain d’accuser les États-Unis de tous les maux, mais que « ce n’est plus une bonne stratégie, ils ne font cela que pour éviter de faire leur autocritique. Cela agace les jeunes, le gouvernement cubain a un vrai problème de communication ».

    La réaction des États-Unis a été rapide : sur Twitter, Julie Chung, secrétaire d’État adjointe des États-Unis pour les Amériques, et Jake Sullivan, conseiller en sécurité auprès de Joe Biden, ont condamné toute violence à l’encontre des manifestants.

    Le gouvernement cubain a répondu à ces déclarations sur Twitter également, via le compte de Bruno Rodriguez, le ministre des Affaires étrangères : « Le conseiller à la sécurité nationale de la Maison Blanche n’a aucune autorité politique ou morale pour parler de Cuba. Son gouvernement a alloué des centaines de millions de dollars pour promouvoir la subversion dans notre pays et met en œuvre un embargo génocidaire, qui est la principale cause des pénuries économiques » y est-il écrit.

    Lundi, c’est le président américain Joe Biden qui, dans un communiqué, a appelé le « régime cubain à entendre son peuple et à répondre à ses besoins », tandis que le président cubain Miguel Díaz-Canel réitérait ses accusations vis-à-vis des États-Unis.