Ouïghours en Chine : cinq minutes pour comprendre le sort de cette minorité musulmane

Des documents révélés cette semaine détaillent la politique d’internement ciblant cette minorité musulmane, dans le nord-ouest du pays. Au moins un million d’individus seraient concernés.

 Cette photo prise le 31 mai 2019 montre le mur extérieur d’un complexe comprenant un camp de rééducation où sont principalement détenues des minorités ethniques musulmanes, dans la banlieue de Hotan, dans la région du Xinjiang, au nord-ouest de la Chine.
Cette photo prise le 31 mai 2019 montre le mur extérieur d’un complexe comprenant un camp de rééducation où sont principalement détenues des minorités ethniques musulmanes, dans la banlieue de Hotan, dans la région du Xinjiang, au nord-ouest de la Chine. AFP/GREG BAKER

    Depuis plusieurs années, les ONG alertent sur l'internement dans des camps de nombreux Ouïghours dans le nord-ouest de la Chine. De nombreux documents décrivant en détail le sort réservé aux musulmans dans la province du Xinjiang ont été divulgués ce mois-ci, provoquant la réaction indignée de Paris et une riposte de la Chine.

    Qui sont les Ouïghours ?

    Les Ouïghours sont une ethnie musulmane sunnite, minoritaire en Chine mais majoritaire dans la province du Xinjiang, située au nord-ouest du pays. Turcophone, le peuple ouïghour est aussi présent au Kazakhstan, en Ouzbékistan, au Kirghizistan et en Turquie.

    Dans la province autonome chinoise du Xinjiang, les velléités indépendantistes se heurtent depuis des décennies à la politique de sinisation du gouvernement. Les Hans, une ethnie majoritaire en Chine mais qui représentait 6 % seulement de la population du Xinjiang en 1949, sont arrivés par millions, si bien qu'aujourd'hui, ils sont presque aussi nombreux que les Ouïghours (plus de 10 millions).

    Ce mois-ci, le New York Times a révélé le contenu de discours secrets du président chinois Xi Jinping appelant dès 2014 à lutter « sans aucune pitié » contre le séparatisme au Xinjiang. D'après des organisations de défense des droits humains et le chef de la diplomatie américaine Mike Pompeo, plus d'un million de musulmans, principalement des Ouïghours, sont détenus au Xinjiang dans des camps de rééducation politique.

    Le gouvernement chinois attribue à cette minorité une série d'attentats sanglants ces dernières années.

    Que sont ces camps ?

    « Les camps d'internement sont avant tout des lieux de sanction et de torture, pas d'apprentissage. Des informations persistantes font état de coups, de privation de nourriture et de détention à l'isolement », a affirmé l'ONG Amnesty International dans un rapport publié en octobre 2018. Des chercheurs travaillant pour les activistes du Mouvement national d'éveil du Turkestan oriental (Etnam) ont récemment établi la carte de 500 camps, dont 182 « camps de concentration suspectés ».

    D'autres documents révélés cette semaine par le Consortium international des journalistes d'investigation (ICIJ) détaillent les règlements draconiens régissant la vie des camps. Les détenus y sont qualifiés d'« étudiants » devant « obtenir leur diplôme ». Est notamment instauré un système de points pour évaluer « la transformation idéologique » des détenus, leur « respect de la discipline » et leur ardeur à « l'étude ».

    Les directives chinoises décrivent avec précision comment les gardiens doivent gérer la vie quotidienne des détenus. « Les portes des dortoirs, des couloirs et des étages doivent être fermées à double tour immédiatement après avoir été ouvertes et refermées », détaillent les auteurs. Un document spécifie que les internés doivent être constamment sous surveillance, y compris lorsqu'ils se rendent aux toilettes, afin de prévenir tout risque d'évasion : « Une vidéosurveillance complète doit être établie dans les dortoirs et les salles de classe, sans angles morts, de façon à ce que les gardiens puissent exercer leur surveillance en temps réel, enregistrer les choses dans le détail et rapporter immédiatement tout événement suspect. » Les gardiens n'ont pas le droit d'entretenir des relations amicales avec les internés afin d'éviter tout risque de « collusion », selon les directives. Les détenus n'ont pas le droit d'entrer en contact avec le monde extérieur.

    Les directives prévoient que les « étudiants » doivent rester en détention pendant au moins un an, même si cette règle n'est pas toujours appliquée, selon les témoignages d'anciens prisonniers recueillis par l'ICIJ.

    Qu'en disent les Occidentaux ?

    En octobre, le gouvernement américain a annoncé des « restrictions » dans l'octroi de visas américains à des responsables du gouvernement et du Parti communiste chinois accusés d'être « responsables » ou « complices » de cette « campagne de répression ». Paris a également réagi cette semaine, à la suite des révélations de l'ICIJ. « Nous appelons les autorités chinoises à mettre un terme aux détentions arbitraires de masse dans des camps », a déclaré mercredi la porte-parole du ministère français des Affaires étrangères au point de presse électronique quotidien du Quai d'Orsay.

    « Nous invitons la Chine, outre la fermeture des camps d'internement, à inviter la Haut-Commissaire aux Droits de l'Homme (de l'ONU, Michelle Bachelet) et les experts des procédures spéciales dans les meilleurs délais afin de rendre compte de manière impartiale de la situation », a ajouté le chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian, devant la commission des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale. « Nous suivons avec une grande attention l'ensemble des témoignages et documents relayés par la presse » concernant le « système répressif mis en place dans cette région », a souligné le ministre français des Affaires étrangères.

    La chancelière allemande, Angela Merkel, a déclaré le même jour aux parlementaires qu'elle soutenait la condamnation par l'UE des violations des droits de l'homme dans la région. Elle a réclamé à son tour que des représentants de l'ONU soient autorisés à accéder au Xinjiang.

    Qu'en dit la Chine ?

    Pékin récuse le chiffre d'un million d'internés et évoque des « centres de formation professionnelle » destinés à lutter contre la radicalisation islamiste. La Chine a qualifié lundi d'« inventions » les informations de l'ICIJ, le porte-parole de la diplomatie chinoise, Geng Shuang, accusant « certains médias » de recourir à « des méthodes ignobles pour monter en épingle la situation au Xinjiang ».

    À Londres, l'ambassade de Chine a nié l'authenticité des documents publiés, les qualifiant de » pure falsification » et de « fausses informations ». « Il n'existe aucun document ou ordres pour de soi-disant camps de détention. Des centres de formation et d'entraînement professionnels ont été établis à des fins de prévention du terrorisme », a-t-elle affirmé dans un communiqué au quotidien The Guardian, qui fait partie des médias ayant publié les documents de l'ICIJ.

    La Chine a également répondu aux propos tenus mercredi par Angela Merkel et Jean-Yves Le Drian. « Les affaires du Xinjiang relèvent entièrement des affaires intérieures de la Chine », a martelé le porte-parole de la diplomatie chinoise, Geng Shuang. Des déclarations semblables à celles tenues par Pékin à propos de Hong Kong, en proie depuis des mois à des troubles qui inquiètent les capitales occidentales.