Syrie : comprendre en cinq minutes l’alliance surprise entre Assad et les Kurdes

Le régime de Damas porte assistance aux Kurdes alors qu’il n’a jamais toléré l’autonomie acquise de facto par ces derniers dans le nord du pays depuis 2011.

 Les forces syriennes se sont déplacées dimanche dans le nord du pays en soutien des Kurdes.
Les forces syriennes se sont déplacées dimanche dans le nord du pays en soutien des Kurdes. SANA/AFP

    Sacrifier l'autonomie politique bâtie depuis maintenant huit ans dans le nord de la Syrie pour sauver son peuple : voici à quoi ont été contraintes les autorités kurdes, une semaine après l'annonce par Donald Trump du retrait des troupes américaines.

    Dimanche, les Forces démocratiques syriennes ont conclu un accord avec le régime de Damas pour contrer l'offensive turque dans le nord du pays. Deux divisions de l'armée ont ainsi été envoyées. « Nous sommes maintenant debout, la poitrine nue, face aux couteaux turcs », s'est justifié Mazloum Abdi, le commandant en chef des forces kurdes, dans une lettre publiée par le magazine Foreign Policy.

    « L'urgence, ce sont les Turcs, après ils verront »

    En termes de politique intérieure, tout oppose en effet les deux parties. Les Kurdes, partisans d'une Syrie fédéraliste dans laquelle ils jouiraient d'une autonomie politique et d'une liberté religieuse dans ce qu'ils appellent le « Rojava », ont toujours été discriminés et marginalisés par Damas. Par le passé, le régime est même allé jusqu'à qualifier de « traîtres » les combattants de la minorité pour leur alliance avec Washington dans la lutte contre Daech.

    Leur seul point de convergence, en définitive, c'est cette hostilité face aux velléités territoriales d'Erdogan. « Le régime de Bachar al-Assad n'a jamais accepté l'occupation de cette zone. Ils ont toujours dit que l'intervention turque était illégale, rappelle Patrice Moyeuvre, chercher associé à l'IRIS et spécialiste de la Turquie. C'est une alliance de circonstances pour combattre l'ennemi commun. L'urgence, ce sont les Turcs, après les deux camps verront ».

    D'ores et déjà ce lundi, le régime syrien s'apprêtait à investir Manbij et Kobané à la frontière turque, mais aussi Kamechliyé et Hassaké sur l'arrière-front. Rien ne garantit toutefois que l'armée syrienne s'installe durablement tout le long de la frontière, et encore moins qu'elles s'attaquent directement aux chars turcs. Wassin Nasr, journaliste spécialiste du Moyen-Orient pour France 24, se montre incrédule. « Cela reste un slogan, a-t-il affirmé sur France Inter. À Afrine (en mars 2018, NDLR), Damas avait dit la même chose mais au final ils avaient seulement envoyé des miliciens et pas l'armée régulière […] Ce n'est pas un accord gravé dans le marbre, c'est évolutif ».

    La Russie, maître du jeu

    Pour saisir les tenants et aboutissants de ce brasier géopolitique, il faut aussi s'intéresser aux forces présentes en coulisses. Au cœur du jeu, il y a évidemment la Russie, peu concurrencée, il faut dire, par l'impuissante communauté internationale. Mais on peine encore à lire sa partition.

    D'un côté, Moscou est le parrain du régime de Damas et fait office d'intermédiaire dans les négociations avec les Kurdes. De l'autre, elle traite avec la Turquie dans le cadre du processus d'Astana censé régler le conflit syrien avec l'Iran. Istanbul pourrait également lui apporter une aide précieuse dans la lutte contre les poches djihadistes dans la région d'Idlib, à l'ouest.

    « Poutine comprend mais n'approuve pas forcément cette intervention syrienne. Il estime que cela va déstabiliser la région encore plus qu'elle ne l'est déjà. Mais depuis 2011, sa priorité, c'est de sauver Bachar », estime Patrice Moyeuvre. Coup de bluff ou non, Recep Tayyip Erdogan a en tout cas salué l'« approche positive » de la Russie, qui selon lui, ne devrait pas s'opposer à son offensive sur Kobané. Wassim Nasr estime de son côté que les derniers soubresauts dans le dossier syrien se sont faits « en bonne intelligence entre Ankara, Moscou et Téhéran ». Se dirige-t-on vers une répartition des zones entre les Turcs et les forces du régime ?

    « Difficile de savoir à qui faire confiance »

    Les Kurdes eux-mêmes ne sont pas dupes. Ou plutôt, ils ont conscience qu'ils peuvent se faire duper à tout moment. « Les Russes et le régime syrien ont fait des propositions qui pourraient sauver la vie de millions de personnes qui vivent sous notre protection, a expliqué le commandant Mazloum Abdi. Nous ne faisons pas confiance à leurs promesses. Pour être honnête, il est difficile de savoir à qui faire confiance ».

    Alors que près de 130 000 civils ont déjà dû fuir les zones de combat, le responsable appelle son ancien allié américain à « user de son pouvoir et de son influence pour parvenir à un accord avant de se retirer ».

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