Crise des opiacés : trois questions sur cette addiction qui fait des ravages

Alors que la dépendance aux opioïdes est un fléau aux Etats-Unis depuis plusieurs années, la France connaît une épidémie de moindre mesure.

 En 10 ans, la consommation des antalgiques opioïdes a fortement augmenté en France.
En 10 ans, la consommation des antalgiques opioïdes a fortement augmenté en France. AFP/Jean-Pierre Muller

    Les chiffres donnent le vertige : en 2017, 47 000 Américains sont morts d'une overdose liée à une consommation d'opiacés. Les Etats-Unis sont frappés par ce fléau depuis plusieurs années, à tel point que Donald Trump a fait de la lutte contre ces substances une « priorité nationale ».

    Deux ans plus tard, la guerre judiciaire menée contre les fabricants de médicaments contenant des opiacés commence à porter ses fruits. L'un des principaux distributeurs, Johnson & Johnson, vient d'être condamné à payer 572 millions de dollars à l'Etat d'Oklahoma pour avoir notamment adopté des pratiques trompeuses de marketing. L'occasion de faire un point sur la crise aux Etats-Unis. En France, où l'ampleur est moindre mais pas inexistante.

    Les opiacés, qu'est-ce c'est ?

    Selon la définition de l'observatoire français des drogues et des toxicomanes (OFDT), les opiacés sont des produits obtenus à partir de la plante opium, un sédatif d'origine naturelle provenant de la culture de pavot.

    Dans cette grande famille, lorsque le produit est dérivé partiellement ou totalement de l'opium, il s'agit d'opioïdes. Présentes notamment dans des antalgiques, ces deux substances permettent de soulager la douleur, le stress et de contrôler des émotions.

    Parmi les opioïdes, ceux dits « faibles » sont délivrés sur ordonnance pour lutter contre les douleurs modérées à intenses (CoDoliprane, Topalgic…). Ceux qualifiés de « forts » permettent de soulager les douleurs intenses et chroniques qui nécessitent une ordonnance sécurisée (Fentanyl, morphine, oxycodone…). Selon les pays, ces derniers peuvent être inscrits au tableau des stupéfiants rendant leur consommation illégale.

    De nombreuses études ont montré que les opiacés induisent un très fort risque de dépendance physique et psychique. Depuis 1999, cette dépendance a poussé de nombreux consommateurs de ces médicaments vers des doses de plus en plus fortes et vers des drogues illicites comme l'héroïne, à fort risque d'overdose fatale.

    Une absorption trop importante d'opiacés peut par ailleurs provoquer une dépression respiratoire qui peut être mortelle. La consommation par voie injectable expose en outre à des abcès et à des risques de contamination par le VIH, VHC et VHB.

    Où en est la crise sanitaire aux Etats-Unis ?

    Aux Etats-Unis, l'industrie pharmaceutique est accusée d'avoir joué un rôle majeur dans cette épidémie. Dans les années 1990, elle a particulièrement vanté l'efficacité des anti-douleur opiacés, tout en omettant leur potentiel caractère addictif. Alors qu'ils étaient initialement réservés aux cancers particulièrement graves, ces comprimés ont commencé à être surprescrits pour des maladies chroniques. À mesure que le nombre de dépendants a augmenté, les décès liés à leur surconsommation n'ont cessé de croître.

    Suite à la déclaration de Donald Trump en 2017 faisant de la crise des opiacés une « priorité nationale », plusieurs Etats américains et collectivités locales ont entamé des poursuites judiciaires contre les fabricants de ces médicaments, à l'image de Purdue Pharma, Teva Pharmaceutical Industries et Johnson & Johnson (J & J). Ils sont accusés de commercialisation trompeuse et d'avoir minimisé la dangerosité de leurs produits.

    Et les amendes commencent à tomber. Le 26 août dernier, dans l'Oklahoma, J & J a été condamné dans un procès inédit à verser 572 millions de dollars à l'Etat pour sa responsabilité dans la crise de santé publique. Les deux autres entreprises mises en cause par Oklahoma, Purdue Pharma et Teva Pharmaceutical Industries, avaient quant à eux préféré verser respectivement 270 millions et 85 millions de dollars en mai à l'Etat pour éviter le procès.

    Une deuxième audience devrait se tenir le 21 octobre prochain, dans l'Ohio cette fois. Là encore, les laboratoires et distributeurs pharmaceutiques appelés à paraître sur le banc des accusés pourraient accepter de verser des sommes considérables à l'Etat pour échapper au tribunal. Selon plusieurs médias américains, le groupe Purdue Pharma aurait déjà offert entre 10 et 12 milliards de dollars pour solder plus de 2000 plaintes déposées contre lui. L'argent récolté par les Etats devrait notamment permettre de financer des centres de prévention et de recherches.

    Quelle est la situation en France ?

    La prévention des risques liés aux médicaments antidouleur opioïdes est l'une des « préoccupations majeures » des autorités de santé françaises. Selon le dernier rapport de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), publié en février dernier, la consommation de comprimés antidouleur opioïdes a « fortement » augmenté entre 2006 et 2017.

    Médecins et experts appellent toutefois à la prudence, tous étant unanimes pour dire que l'Hexagone est loin du fléau qui décime les États-Unis. En 2017, 78 % les antalgiques consommés par les Français étaient non opioïdes (paracétamol, aspirine et anti-inflammatoires non stéroïdiens principalement).

    La prescription d'opioïdes forts (l'oxycodone et la morphine en tête) a tout de même augmenté d'environ 150 % entre 2006 et 2017. Mais la consommation globale des opioïdes faibles (tramadol, codéine et poudre d'opium associée au paracétamol principalement), est quant à elle restée relativement stable.

    Une deuxième tendance inquiétante se dégage du rapport : l'augmentation des hospitalisations liées à la consommation d'antalgiques opioïdes obtenus sur prescription médicale et de décès liés à leur consommation, de 167 % entre 2000 et 2017 pour le premier, et de 146 %, entre 2000 et 2015 pour le second. Cela correspond à au moins 4 décès par semaine. Tous médicaments confondus, le tramadol demeure l'antalgique opioïde le plus consommé, avec une augmentation de 68 % sur 10 ans. C'est aussi le plus impliqué dans les décès.

    Le défi est de pouvoir continuer à aider les patients à lutter contre leurs douleurs physiques, sans les rendre dépendants psychiquement. « Il n'est pas question de ne plus en prendre mais de mieux les prendre. Ce qu'il faut, c'est une prise de conscience » affirmait déjà en 2018 au Parisien le professeur Amine Benyamina, psychiatre spécialiste des addictions à l'hôpital Paul-Brousse de Villejuif.

    Le rapport conclut cependant que les modalités de prise en charge ainsi que l'accès contrôlé à ces médicaments permettent à la France « d'éviter une crise de même ampleur qu'aux Etats-Unis ». L'an dernier, l'ANSM a annoncé une série de mesures pour lutter contre la dépendance aux opiacés, comme le renforcement du système de surveillance des médicaments et l'amélioration de l'information des médecins et pharmaciens.