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Non, il n' y a (toujours) pas 3 millions de faux centenaires inscrits à la Sécu et touchant des prestations

Le sénateur RN Stéphane Ravier a ressorti ce chiffre, déjà évoqué en septembre par deux parlementaires, et qui repose sur une grosse incompréhension.
par Cédric Mathiot
publié le 20 novembre 2019 à 14h37

Question posée par Alain Grosl le 19/11/2019

Bonjour,

Vous faites référence à une intervention du sénateur RN Stéphane Ravier le 19 novembre, à propos de la fraude sociale.

Dénonçant, à la tribune du Sénat, une fraude aux prestations sociales allant «jusqu'à 45 milliards d'euros», Stéphane Ravier ajoute : «Selon le répertoire national d'identification des personnes physiques, il y aurait dans notre pays plus de trois millions de centenaires, dont la plupart touchent des prestations, alors qu'ils ne seraient que 250 000 selon l'Insee.»

Ces chiffres trouvent leur source dans une déclaration, en septembre dernier, de la sénatrice (UDI) Nathalie Goulet et de la députée LREM Carole Grandjean, qui avaient été missionnées pour évaluer la fraude sociale. Les deux parlementaires, présentant leurs conclusions, avaient notamment évoqué des failles dans le répertoire national d’identification des personnes physiques (RNIPP) de l’Insee, qui permet notamment de certifier l’identité d’une personne, notamment pour les organismes de Sécurité sociale.

Plus de 3 millions de personnes, avaient-elles expliqué, sont inscrites au fameux RNIPP comme étant âgées de plus de 100 ans et «réputées en vie». Bien plus que les quelque 21 000 centenaires dans l'Hexagone en 2016, selon le recensement. Des anomalies représentant un important potentiel de fraude.

Stéphane Ravier ne fait donc que répéter cette déclaration, ajoutant que la «plupart» de ces supposés centenaires fraudeurs «touchent des prestations», et se trompant par ailleurs sur le nombre de centenaires recensés par l'INSEE (non pas 250 000, comme il le dit, mais 21 000). Sauf que comme nous l'avions déjà expliqué à l'époque, cette présentation alarmiste repose sur une grossière incompréhension.

A lire aussiFraude sociale : est-il vrai que 84 millions de personnes, dont 3 millions de centenaires, ont un numéro Insee ?

La mort pas toujours enregistrée dans le répertoire

Le répertoire national d'identification des personnes physiques (RNIPP) n'a rien à voir avec un fichier actif de bénéficiaires de prestations sociales (même si le fait d'avoir un numéro d'immatriculation est nécessaire pour ensuite faire des démarches auprès des organismes sociaux). Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le répertoire liste (avec un numéro) toutes les personnes nées en France, ainsi que celles nées à l'étranger qui ont vécu en France a un moment de leur vie (pour des raisons de travail ou d'étude), et ce quel que soit leur lieu de résidence. On trouvera, par exemple : des personnes vivant en France (surtout), mais aussi un étudiant étranger ayant fait ses études il y a cinq ans et étant reparti ; une personne née en France et expatriée depuis quelques années ; ou une personne de nationalité étrangère ayant travaillé pendant deux ans en France dans les années 70 et ayant quitté l'Hexagone il y a quarante ans. En face de ces identités, on trouve un NIR (numéro d'immatriculation) qui permet éventuellement (ou a éventuellement permis) à ces personnes de bénéficier de prestations.

Le répertoire (qui comporte 110 millions d’identités) distingue en théorie les personnes réputées mortes, et celles réputées vivantes. Sur les 110 millions de noms, 84 sont réputés vivants, et 26 millions sont réputés morts, quand l’information des décès est parvenue. Si la transmission des décès survenus en France se fait sans problème (ils sont enregistrés dès lors que l’Insee ou la Cnav reçoivent un acte de décès), l’information est moins systématique quand la personne meurt à l’étranger. Des personnes figurant comme réputées vivantes sont donc mortes (le plus souvent à l’étranger).

C’est ce qui explique le chiffre selon lequel 3 millions de centenaires réputés vivants figurent dans le répertoire. L’écart entre les 3,1 millions de centenaires réputés vivants figurant dans le répertoire et les quelque 20 000 recensés en France s’explique marginalement par le fait que certains centenaires inscrits vivent à l’étranger, mais donc surtout en raison du défaut d’enregistrement de décès survenus hors de France. En clair, depuis 1945 et la création du répertoire, des personnes ayant été immatriculées décèdent chaque année à l’étranger, sans que la mort ne soit enregistrée dans le répertoire. Et parmi elles, environ 3 millions auraient aujourd’hui cent ans ou plus.

Est-ce que cela à une incidence ?

Cela ne signifie absolument pas, comme le suggère Stéphane Ravier, qu’il y ait 3 millions de faux centenaires touchant des prestations.

Car l'immatriculation au répertoire n'ouvre aucun droit. Elle est donc une condition pour pouvoir bénéficier de versement de prestations sociales, mais est loin d'être suffisante. Ce qu'avaient expliqué les organismes sociaux dans le communiqué de réponse (démarche rarissime) qu'ils avaient publié après les déclarations de deux parlementaires en septembre : «Le maintien, lisait-on, d'un NIR, même pour une personne dont le décès à l'étranger n'aurait pas été déclaré, n'emporte pas versement de prestations. En effet, pour chaque prestation sociale concernée, d'autres conditions sont requises telles que la condition d'existence, de séjour, de résidence, de ressources, etc. Les organismes de Sécurité sociale, dans le cadre de leur politique de maîtrise des risques, s'assurent par la vérification des pièces ou dans les outils partenaires que ces conditions sont bien respectées.»

Pour achever de dégonfler les fantasmes, les organismes avaient chiffré dans le communiqué le nombre de centenaires bénéficiant de prestations de retraites : «Au 30 avril, les chiffres des pensionnés du régime général étaient les suivants : – sur un total de 13,2 millions de retraités vivant en France (DOM TOM inclus), seuls 13 605 centenaires étaient dénombrés (soit 0,10% de ces retraités), – sur un total de 1,2 million de retraités vivant à l'étranger, seuls 1 517 centenaires étaient dénombrés (soit 0,13% de ces retraités).»

Soit moins de 20 000 centenaires pensionnés. Très loin des trois millions de faux centenaires bénéficiaires des prestations que Stéphane Ravier continue donc d’agiter. Deux mois après que cette intox a pourtant été corrigée.

Cordialement

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