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Violences sexuelles : en Corse, des manifestations pour «en finir avec l’omerta»

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Dans le sillage du mouvement de libération de la parole sur les réseaux sociaux sous le hashtag #IWas, des militantes féministes appellent à un nouveau rassemblement dimanche à Ajaccio pour «éveiller les consciences» sur l’ampleur des violences sexistes et sexuelles.
par Virginie Ballet
publié le 4 juillet 2020 à 10h56

Ensemble, elles veulent «briser le silence». Libérer la parole. Dire haut et fort ce qu’elles ont vécu, en espérant «éveiller les consciences» : ces dernières semaines, en Corse, victimes et militantes féministes se mobilisent pour dénoncer les violences sexistes et sexuelles. Partie des réseaux sociaux via le hashtag #IWas («I was», pour «J’avais» ou «J’étais»), la mobilisation s’étend désormais à la rue. Une manifestation est prévue dimanche à 18 heures, au départ du tribunal judiciaire d’Ajaccio (Corse-du-Sud), à l’initiative de plusieurs victimes, soutenues par des associations féministes locales telles que Donne e Surelle («Femmes et sœurs») ou les colleuses, dénonçant les féminicides. «En manifestant, on espère agir sur la conscience collective, montrer que les violeurs et les agresseurs sont partout, même en Corse», appuie l’une des porte-parole des colleuses corses, qui préfère rester anonyme.

«Sur une île, tout le monde se connaît»

Depuis plusieurs mois, ces militantes tapissent les murs de l'île de messages dénonçant les féminicides, les violences sexistes et sexuelles et le patriarcat, comme cela se fait dans plusieurs grandes villes françaises et européennes. Depuis début juin, les colleuses corses assurent avoir reçu plus d'une cinquantaine de témoignages de victimes de violences sexuelles, signe d'une libération de la parole sans précédent sur l'île qui les a «étonnées et submergées». «Même après #MeToo et #BalanceTonPorc, l'omerta est restée très forte, en partie par peur des représailles : vivant sur une île, tout le monde se connaît. Et en Corse, il y a une vision très ancrée de l'homme comme quelqu'un de fort qui peut s'octroyer le droit de décider pour les femmes, et qui peut donner l'impression que le consentement est un dû», analyse la porte-parole des colleuses, qui sent toutefois la «loi du silence» se fissurer doucement et veut voir en #IWas un véritable tournant.

Né aux Etats-Unis début juin, le hashtag a donné lieu à des centaines de témoignages sur Twitter, dans lesquels des victimes, essentiellement de sexe féminin mais pas uniquement, relatent les violences sexuelles vécues en précisant leur âge. Rapidement, une déclinaison locale a vu le jour, sous la forme de #IWasCorsica. On peut y lire des histoires souvent imprégnées d'emprise, de sidération, voire d'amnésie traumatique, telles que celle de cette utilisatrice, postée le 9 juin : «I was 11 [«J'avais 11 ans», ndlr]. C'était mon grand-père. Sa main était mon dos et s'est retrouvée dans mon pantalon. Je me suis vivement dégagée. Je n'en ai jamais parlé, mais j'envisage un jour l'hypnose. Je vivais à moitié chez mes grands-parents, petite. J'ai peur d'avoir occulté des choses

«Protégeons nos filles, éduquons nos fils»

Une autre raconte avoir fumé du cannabis à l'âge de 16 ans. Et poursuit : «J'ai fait une chute de tension je ne pouvais plus bouger, il en a profité. Je lui ai dit que je ne voulais pas et que j'étais vierge, mais il a continué en me disant "T'inquiète, c'est que moi" alors que je ne le connaissais pas avant ça.» La jeune femme précise ensuite avoir eu «peur du sexe pendant des années», et avoir de nouveau été victime de viol à l'âge de 18 ans, puis à 20 ans : «Le mec a fait semblant de boire autant que moi à mon anniversaire pour me manipuler. Il m'a violée dans mon propre appartement», écrit-elle.

Le 21 juin, environ 300 personnes ont déjà manifesté dans la rue à Bastia (Haute-Corse), pour dénoncer les viols et les violences faites aux femmes, scandant «Protégeons nos filles, éduquons nos fils». A l'issue du rassemblement de dimanche à Ajaccio, une délégation d'organisatrices devrait être reçue à la préfecture, pour réclamer une meilleure prise en charge des victimes par la police et la justice, davantage de sensibilisation, notamment en milieu scolaire, et un renforcement de l'aide psychologique apportée aux victimes de violences sexuelles. Chaque année en France, environ 84 000 femmes de 18 à 75 ans et 14 000 hommes sont victimes de viol ou de tentative de viol. Dans neuf cas sur dix, la victime connaît son agresseur.

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