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Athlétisme

Pour les lanceurs de poids, les kilos en plus sont loin d'être superflus

Leur entraînement ne s'arrête pas à la sortie du stade ou de la salle de musculation : il se poursuit en cuisine. «La masse est indispensable à la performance», explique le champion olympique Ryan Crouser.
par Alain Mercier, Envoyé spécial à Doha
publié le 3 octobre 2019 à 8h47

Gargantuesque. Le qualificatif n'a pas été inventé pour eux, mais il leur va comme une seconde peau. Pour les lanceurs de poids, manger n'est pas seulement un acte du quotidien. Il entre dans leur programme d'entraînement, au même titre que le travail technique ou la musculation. Manger pour ne pas fondre. Manger pour rester parmi l'élite. Aux coureurs de fond, pour qui le moindre kilo en trop est perçu comme une menace, ils opposent un coup de fourchette à donner la nausée. «Nous avons besoin de masse, elle est indispensable à la performance», résume l'Américain Ryan Crouser, le champion olympique. Le Luxembourgeois Bob Bertemes, finaliste aux derniers championnats d'Europe, précise : «Avec la technique du lancer en rotation, adoptée par les meilleurs, l'idée est de bouger très rapidement une masse, mais tout en gardant de l'explosivité. La masse assure équilibre et stabilité. La vitesse faite le reste. En deux ans, j'ai pris 10 kilos.»

Douze œufs au petit-déjeuner

Pour la plupart d'entre eux, la nature s'est chargée du gros œuvre. Mais l'exigence de l'entraînement – trente-cinq heures par semaine pour Ryan Crouser – fait planer en permanence un risque d'allègement. Comment compenser ? Le secret se découvre dans l'assiette. L'Américain avoue se mettre à table toutes les deux ou trois heures. Son régime lui impose 5 à 6 repas par jour, avec un minimum de 1 000 calories pour chacun d'entre eux. «Avec 5 000 calories, je maintiens à peu près mon poids de corps (135 à 140 kilos selon les mois), détaille-t-il en réajustant sa casquette de l'équipe américaine. Mais l'idéal est d'arriver à 6 000, voire un peu au-delà. Chacun de mes repas correspond à peu près à la moitié de la nourriture d'une personne normale pour une journée tout entière.»

A l'écouter, l'exercice exige volonté et détermination. Il n'a rien d'une partie de plaisir. Ryan Crouser raconte avaler un demi-litre de lait à chacun de ses arrêts buffet. Une bonne façon, dit-il, d'atteindre le bon nombre de calories. Au dîner, souligné d'un trait épais comme le repas le plus important de la journée, un demi-kilo de viande est devenu sa norme. Son compatriote Joe Kovacs, champion du monde en 2015, confie l'une de ses trouvailles : une boîte de douze œufs au petit-déjeuner. «S'il m'arrive de ressentir une sensation de faim pendant l'entraînement, cela signifie que je n'ai pas fait mon boulot, a expliqué Ryan Crouser au New York Times. Avec un tel régime, se mettre à table n'est plus un plaisir mais une obligation.»

«L’explosivité fait toute la différence»

Joe Kovacs explique : «Un lanceur de poids doit être lourd et fort. Pour nous, le boulot n'est pas terminé lorsque nous quittons le stade ou la salle de musculation. Il se poursuit en cuisine.» En déplacement, le quotidien de ces forçats n'est pas toujours sans contraintes. Ryan Crouser explique demander parfois au personnel de bord, dans l'avion, de lui mettre de côté en toute discrétion un ou deux plateaux-repas supplémentaires. Joe Kovacs se lamente souvent du prix exigé pour un ou deux œufs en extra, sur une pizza ou avec ses toasts, dans les restaurants de New York.

Les apparences suggèrent le contraire, mais la performance au lancer du poids ne se construit pas seulement sur la balance. «L'explosivité fait toute la différence, résume un coach français. Dans le cercle, le lanceur doit allier vitesse et technique.» A l'entraînement, il n'est pas rare de voir ces gabarits hors normes tenir tête aux sprinteurs sur 20 ou 30 m. Jean-Pierre Egger, l'entraîneur du Suisse Werner Günthör, trois fois champion du monde (1987, 1991 et 1993), se souvient de son ancien élève comme d'un sportif les plus athlétiquement doués qu'il ait croisés durant sa carrière. «Il pesait 130 kilos pour une taille de 2 mètres, raconte-t-il, mais sa détente était phénoménale.» Aux Mondiaux en salle à Indianapolis en 1987, un sauteur en hauteur aurait lâché en l'observant enchaîner les sauts verticaux à pieds joints, pendant l'échauffement : «J'avais déjà vu des gazelles sauter haut, mais encore jamais des éléphants.»

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