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Interview

Précarité : «22 millions de citoyens sont engagés dans des actions bénévoles»

Enseignant à l'université de Nantes, Lionel Prouteau brosse un portrait du monde du bénévolat fort de 22 millions de personnes dont 7 millions très investies. Mais ces volontaires sont souvent des retraités et la peur du Covid a amené certains à se retirer.
par Marie Piquemal
publié le 23 novembre 2020 à 10h19

Alors que la campagne hivernale de distribution alimentaire et de biens de première nécessité s’ouvre mardi, de nombreuses associations souffrent du contexte sanitaire. Lionel Prouteau, maître de conférences émérite en économie à l’université de Nantes, a mené de nombreux travaux sur l’économie des associations, la participation associative et le bénévolat.

Quelles sont les conséquences du Covid-19 sur l’engagement militant ?

Il est encore un peu tôt pour mesurer son impact sur la vie associative. Mais c’est évident que le virus a des conséquences, quand on sait la composition des associations caritatives : les seniors constituent une partie importante du bénévolat. Forcément, avec le Covid, une partie d’entre eux se sont mis en retrait, c’est naturel. Pendant le confinement, les conséquences n’ont pas été visibles : de nouvelles personnes, parce qu’au chômage technique ou à un rythme de travail ralenti, ont donné de leur temps. Le manque de bénévoles se fait plus ressentir aujourd’hui. Le quotidien a repris ses droits et les nouveaux bénévoles sont retournés à la fac ou au travail… Sauf que les seniors restent pour une partie en retrait, par peur de l’épidémie. Et dans le même temps, la demande d’aide augmente, avec la crise économique.

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Les associations en France tournent majoritairement avec des seniors ?

En France, 22 millions de citoyens sont engagés dans des actions bénévoles, à des degrés très divers. Cela se résume parfois à quelques heures par an. Un tiers d’entre eux (7 millions) assurent en réalité 80% du temps total consacré au bénévolat en France. C’est donc très concentré. Il n’y a pas de portrait-robot du bénévole. Le seul trait commun, peut être, c’est l’influence du diplôme sur l’engagement : les plus diplômés sont surreprésentés parmi les bénévoles. Cela varie aussi d’un secteur d’activité à l’autre. Les jeunes sont plus impliqués dans les activités de sport, de loisirs, d’éducation aussi. On retrouve surtout des seniors dans les actions sociales et caritatives.

S’investit-on plus ou moins qu’avant en France ?

Tout dépend ce qu’on appelle «avant». Pendant longtemps, il n’existait aucune statistique publique sur l’engagement, ce qui limite les comparaisons ! La première enquête de l’Insee date de 2002 et c’est la seule. En 2017, après deux ans de travail acharné pour trouver les financements, j’ai fait réaliser une autre enquête de grande ampleur qui permet des comparaisons. L’une de mes conclusions : le bénévolat progresse en France, via une myriade de petites associations.

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Beaucoup de personnes engagées ont le sentiment de faire le travail à la place de l’Etat et en souffrent…

Oui, cela revient beaucoup. Les bénévoles vivent mal ce rôle de substitution, ils ont parfois l’impression de porter une responsabilité trop grande. Au point que certains d’ailleurs se retirent des associations pour cette raison, alors qu’en réalité, les études montrent que, très souvent, Etat et associations sont avant tout complémentaires. Cela m’amène à pointer un autre sujet : la gestion des bénévoles. Comment faire pour qu’ils restent engagés, pour qu’ils en tirent de la satisfaction… C’est une question délicate pour les associations, qu’elles ont du mal à résoudre. Un bénévole déçu a vite fait de claquer la porte !

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