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Libération

La Constitution et le mythe du plan B

par Alain Duhamel
publié le 18 mai 2005 à 2h14

Si le non l'emporte, l'Europe n'entrera pas en agonie. Il faut cesser, d'un côté comme de l'autre, d'agiter des épouvantails et de traiter les citoyens comme un troupeau de moutons apeurés. Si le traité constitutionnel européen est ratifié, il n'y aura pas de capitulation devant l'ordre libéral, le drapeau de Wall Street ne flottera pas sur Bruxelles. S'il est rejeté, les institutions européennes ne seront pas bloquées, la France ne sombrera pas dans les poubelles de l'histoire. La Constitution européenne n'est pas le masque derrière lequel se cache la bête du Gévaudan. Le non ne transformerait pas la France en pestiférée de l'Union. Ceux qui cherchent à intimider et à épouvanter apparaissent d'ailleurs cyniques ou inconséquents : puisque tout le monde était d'accord pour proclamer la nécessité d'un référendum, c'est que les deux réponses possibles étaient considérées comme légitimes. Le oui n'est pas antisocial et antinational, le non n'est pas antiéconomique et antieuropéen. Pour la première fois depuis longtemps (en fait, depuis 1981), les Français doivent donner une réponse trop simple à une question trop complexe. Il est donc plus utile de tenter d'expliquer que d'annoncer le retour de la Grande Peste.

Puisque le non aborde les dix derniers jours de la campagne en tête, la question de la renégociation du traité s'impose. Elle est trop souvent présentée dans des décors mythologiques. En fait, aucun scénario précis n'existe actuellement.

Ceux qui prétendent qu'un plan B repose d'ores et déjà dans les coffres-forts de la Commission racontent des histoires. Si, le 29 mai, le non l'emporte en France, la nouvelle provoquera certes un énorme fracas partout en Europe (et une grande liesse à Londres) mais le processus de ratification se poursuivra dans les autres pays. Un rejet français constituerait un choc politique de première grandeur mais dix pays dont l'Allemagne, l'Espagne et l'Italie auront auparavant voté oui. Un non français ne pourrait pas effacer ces dix oui. Les quatorze pays restant voteraient donc à leur tour, les tout derniers se prononçant au début de l'été 2006. Un non français modifierait profondément la donne, encouragerait sans doute d'autres nations à voter non à leur tour. Le plus probable est néanmoins qu'il y aura entre dix-neuf et vingt et un oui, entre quatre et six non.

C'est donc à partir de juin 2006, que, si la France vote non, les vingt-cinq chefs d'Etat et de gouvernement devront décider ce qu'ils doivent faire. D'ici là, la controverse flambera mais le mauvais traité de Nice s'appliquera, comme il continuera d'ailleurs à le faire si une autre solution n'est pas imaginée par la suite. L'article IV-443 du traité constitutionnel envisage d'ailleurs, si au bout de deux ans les quatre cinquièmes des Etats membres ont ratifié le texte, une réunion du Conseil européen pour examiner la situation. C'est à ce moment-là, et à ce moment-là seulement, que fleuriront les plans B. Rien ne prouve que l'un d'entre eux pourrait se substituer à l'actuel traité constitutionnel : il faudrait en effet un accord unanime des Vingt-Cinq sur le principe puis, s'il existe, de nouveau un processus complet d'élaboration d'un traité avec négociations, convention, compromis, signatures et ratifications, comme pour le traité soumis aux Français le 29 mai. Si aucun consensus n'est trouvé, il faudra continuer de vivre sous l'empire du traité de Nice. Si une autre solution voit le jour, elle exigera un accord général.

Certains pensent déjà qu'il suffirait de «déconstitutionnaliser» la partie III, laquelle continuerait d'ailleurs à vivre sous la forme des traités antérieurs. Cela semble optimiste.

Les non européens possibles (Pays-Bas, Pologne, République tchèque, Grande-Bretagne, voire Danemark ou Suède) ne sont en effet pas plus homogènes que les non français : les uns voudraient avant tout protéger leur modèle social, comme les non de gauche français (les pays scandinaves), d'autres voudraient préserver leur souveraineté (les Pays-Bas, à l'instar d'un Philippe de Villiers), d'autres voudraient plus de libéralisme (Grande-Bretagne, Pologne, République tchèque).

Les négociations seraient donc longues et tumultueuses. La France, le plus symbolique des pays fondateurs, pourrait certes faire entendre sa voix et défendre ses intérêts. Au coeur des débats, ce sera cependant le futur président de la République qui mènera le jeu en notre nom. Peut-être sera-il plus social que Jacques Chirac, s'il sort des rangs du non de gauche, peut-être serait-il au contraire plus libéral que lui, s'il s'appelle par exemple Nicolas Sarkozy, hypothèse que la profonde déchirure actuelle de la gauche facilite grandement. Une chose est sûre : si la France conserve tous les moyens juridiques, qu'elle possède aujourd'hui, de se faire écouter, son poids politique sera moindre que pour l'élaboration de l'actuel traité constitutionnel. Outre qu'elle figurerait dans le bloc des pays minoritaires (au plus, cinq ou six sur vingt-cinq), elle n'aurait plus le privilège de présider la convention et elle serait la première nation à avoir réclamé une Constitution puis à l'avoir rejetée. C'est évidemment son droit le plus strict, ce n'est pas le meilleur moyen de renforcer son influence. Le plus probable est qu'à la longue, par réalisme, après huit ou dix ans, un plan B sera adopté. Pas forcément dans le sens que souhaitent les Français.

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