Editorial 

Le dilemme de la 5G

Pascal Riché

Pascal Riché

EDITO. Sur la cinquième génération de réseaux mobiles, les pays auraient tout intérêt à coopérer, à étudier ensemble ce qui est bon pour la planète et ses habitants. Mais la logique de compétition les pousse à d’autres choix.

La 5G est-elle un gadget ne servant qu’à « regarder du porno en HD dans un ascenseur » (Eric Piolle) ? Ou trace-t-elle un chemin radieux vers de nouveaux usages indispensables ? Va-t-elle abîmer davantage la planète en augmentant l’empreinte carbone de nos communications ? Ou au contraire faciliter la gestion des flux d’énergie et donc la transition écologique ? Nous met-elle dans les mains des Chinois, qui dominent le marché ? Ou nous aidera-t-elle à muscler l’économie européenne et la rendre plus « souveraine » ? Ah, mes amish, quel étrange débat ! Vous êtes sommés de choisir un camp. Serez-vous un audacieux progressiste ou un nostalgique de la « lampe à huile » ? Un défenseur lucide de la planète ou un technolâtre écocidaire ?

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Rarement innovation aura soulevé de telles passions. Jusque-là, progrès technique rimait avec croissance, et croissance avec bien-être. A gauche comme à droite, ce dogme était largement partagé : seuls les écologistes, les néoluddites et quelques philosophes (tel le cofondateur du « Nouvel Observateur » André Gorz) le questionnaient. Avec la crise climatique, les certitudes se sont fissurées. Le monde a pris conscience que notre modèle économique, en remplaçant la réflexion par le réflexe, en se laissant bercer par le « bluff technologique » comme le dénonçait Jacques Ellul, nous menait dans le mur. Une dynamique qui semble aujourd’hui impossible à freiner.

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Une nouvelle accélération

Si la 5G soulève tant de réactions, c’est qu’elle incarne le mal qui nous paralyse face au dérèglement climatique. Elle représente une nouvelle accélération, à l’heure où nous avons besoin de penser chacune de nos décisions. Stratégique pour certaines entreprises, elle ne changera pas fondamentalement la vie quotidienne des citoyens et elle comporte des risques environnementaux. Mais puisque les Etats-Unis et la Chine s’y mettent, puisque déjà une douzaine de pays européens la déploient, comment prendre le risque de rester au bord du chemin ? Un moratoire, allons… « On ne va pas faire ce cadeau à nos adversaires ou à nos rivaux économiques ! » tranche Bruno Le Maire. Alors, on fonce tête baissée. Et les partisans de la réflexion sont renvoyés à leurs lampes à huile.

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Nous sommes là typiquement dans ce que les mathématiciens appellent un « dilemme du prisonnier », ce jeu qui démontre que l’intérêt individuel peut être contradictoire avec l’intérêt collectif. Les pays auraient tout intérêt à coopérer, à étudier ensemble ce qui est bon pour la planète et ses habitants, mais la logique de compétition les pousse mécaniquement à d’autres choix.

Comme le suggérait la Convention citoyenne sur le Climat, la 5G mérite pourtant une vraie évaluation, par laquelle on mettrait en balance les services additionnels qu’elle va rendre et ses possibles impacts sanitaires, environnementaux, géopolitiques. Fermer sèchement la discussion, en convoquant l’image d’amish fossilisés – ou, symétriquement, celle de pornophiles d’ascenseur –, n’est pas la meilleure façon de l’engager.

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