Le gouvernement a fait publier un décret qui précise les conditions d’application d’un article de loi autorisant le lancement d’une expérimentation visant à surveiller automatiquement certains sites web, afin de repérer d’éventuels fraudeurs. Seuls les messages publics sont concernés, sur certaines plateformes.

Il ne manquait, pour ainsi dire, plus que ce texte, et il est d’importance. Publié au Journal officiel le 13 février, il précise les modalités d’application d’un article de la loi de finances pour 2020, qui avait fait beaucoup parlé de lui à l’époque : le Parlement a validé un dispositif expérimental pour lutter contre la fraude, qui ouvre la voie à la surveillance de certains sites web.

Concrètement, le texte pris par le gouvernement mi-février détaille de quelle façon les deux administrations concernées, fiscale et des douanes, doivent opérer. Car le décret n° 2021-148 précisant l’article 154 de la loi n’autorise pas tout : il s’agit d’un dispositif expérimental et provisoire, puisqu’il est annoncé que ce test est prévu pour trois ans. En outre, son périmètre est relativement restreint.

Ainsi, l’expérimentation vise spécifiquement les opérateurs de plateforme numériques de mise en relation, ainsi qu’à leurs utilisateurs. Dans ces conditions, sont éligibles le site de petites annonces comme Le Bon Coin, la plateforme de location de meublés Airbnb, le service de transport communautaire BlaBlaCar ou bien la place de marché imaginée par Facebook avec son Marketplace.

Impôts

Le site des impôts.

Il est à noter que seuls les contenus publiés sont pris pour cible, non ceux qui sont privés. C’est ce que précise l’article 154, qui évoque des « contenus, librement accessibles sur les sites internet des opérateurs de plateforme en ligne [et] manifestement rendus publics par leurs utilisateurs ». Les contenus inaccessibles au public sont hors champ ; un tel dispositif aurait été trop intrusif et sa légalité contestable.

Ce mécanisme est en revanche jugé licite. Fin 2019, le Conseil constitutionnel a validé ce dispositif, en approuvant la loi de finances pour 2020 (seul un point secondaire a été rejeté). L’instance a pointé « l’objectif de valeur constitutionnelle » qu’est a lutte contre la fraude fiscale. Elle a remarqué la présence de garde-fous, comme le fait qu’il n’y aura pas de procédure déclenchée automatiquement pour chaque cas.

Plus tôt, la CNIL a aussi rendu un avis, avec un préavis très court pour se prononcer. Elle a aussi admis la légitimité des objectifs poursuivis, et reconnu la présence de garanties, mais relevé le caractère « inédit » du dispositif, qui induit un « changement d’échelle dans l’utilisation de données personnelles » et le « développement d’algorithmes pour améliorer le ciblage des contrôles ».

Mobilisation d’algorithmes contre la fraude

Car ce processus ne sera évidemment pas manuel : ce ne sont pas des agents qui vont eux-mêmes se balader d’un site à l’autre et faire les relevés de tout ce qui paraît louche. Ce sont des traitements informatisés et automatisés. En somme, des logiciels dotés d’algorithmes conçus précisément pour collecter et analyser les données, et avec pour finalité de déceler d’éventuels écarts avec la loi ou la déclaration fiscale.

Pour cela, lit-on dans le décret, les outils s’appuieront sur des « indicateurs qui ne sont pas des données à caractère personnel, tels que des mots-clés, des ratios ou encore des indications de dates et de lieux, caractérisant les manquements et infractions recherchés ». Le décret évoque aussi des « modélisations de détection des activités frauduleuses », selon l’analyse et la corrélation de différentes informations.

L’idée de traquer la fraude fiscale par des algorithmes n’est pas tout à fait récente — on en parlait déjà dans nos colonnes en 2017 et 2018. Et même 2013 pour ce qui est de la fraude à la sécurité sociale. C’est par ailleurs un levier parmi d’autres. Par exemple, Bercy utilise aussi des algorithmes pour analyser des fichiers croisés, afin de déceler des incohérences pouvant être le signe d’une fraude.

Avec l’arrivée du décret, l’expérimentation prévue par l’article 154 de la loi de finances pour 2020 va pouvoir démarrer prochainement. Toute la question qui se pose sera de savoir ce qu’il se passera à l’issue de ces trois ans d’essai. Si ce nouvel outil démontre son utilité, on peine à croire que le législateur comme le gouvernement ne voudront pas le pérenniser, et en le rendant encore plus efficace.


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