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Agriculture

Oui, la betterave peut se passer de néonicotinoïdes

Le Parlement se penchera à l'automne 2020 sur un projet de loi ré-autorisant l’utilisation des néonicotinoïdes sur la culture de betterave. La récolte cette année a en effet été gravement fragilisée par le virus de la jaunisse. Des alternatives existent mais il faudra que les agriculteurs changent drastiquement leurs pratiques agronomiques.

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Jaunisse de betterave.

La betterave malade de la jaunisse dans le nord de la France.

DENIS CHARLET / AFP

Les néonicotinoïdes sont interdits en France depuis le 1er septembre 2018. Mais cette mesure doit être levée. C'est ce qu'a annoncé le gouvernement de Jean Castex : il va proposer une modification législative à l'automne 2020 pour autoriser à nouveau les agriculteurs à utiliser dès 2021 et jusqu'en 2023 maximum, sous "conditions strictes", des semences de betteraves enrobées de néonicotinoïdes. L'objectif est en effet de lutter contre la jaunisse de la betterave, maladie qui menace cette culture. La ministre de la Transition énergétique Barbara Pompili parle d'une "décision difficile" sans laquelle "il n'y aura plus de filière sucrière en France" d'ici 6 mois. Présidente du parti Génération Ecologie (GE) et ancienne ministre de l'Ecologie, Delphine Batho dénonce elle une mesure prise "sous la pression des lobbys de l'industrie du sucre" et dont les conséquences sont "monstrueuses" pour "l'environnement", "les insectes, les oiseaux et l'ensemble du vivant"... Sciences et Avenir explique ci-dessous les éléments clés du débat.
O.L.

Qu’est-ce que le virus de la jaunisse ?

Il s’agit plutôt d’une famille de quatre virus dont le mode de fonctionnement est similaire et contre lesquels il n'existe aucun traitement. Présent dans des réservoirs naturels que sont les repousses sauvages de betteraves, des adventices et des plantes cousines comme les épinards, ces virus profitent d’un insecte piqueur, le puceron vert du pêcher Myzus persicae, qui se nourrit sur plus de 400 végétaux différents, pour se disséminer. Le cycle de vie de la betterave sucrière, du puceron et du virus coïncide pour un impact maximum.

La betterave est une plante bisannuelle (comme la carotte). Sa première année est consacrée à créer des réserves dans ses racines. Puis le passage de la période du froid hivernal induit la floraison dès les premières chaleurs de la seconde année. La betterave sucrière est donc semée au début du printemps pour une récolte en octobre-novembre avant l’hiver. Elle ne fleurit jamais sauf pour celles destinées à produire de la semence. En mars-avril, la pousse des premières feuilles coïncide avec le réveil des pucerons porteurs des virus. Plus l’hiver est doux, plus précoces et nombreux sont les pucerons et plus importants sont les ravages.

C’est ce qui s’est passé en 2020. Les pucerons émergent avant leurs principaux ravageurs, les coccinelles, les carabes et les syrphes (des petites mouches) ce qui leur laissent jusqu’en juin pour aller se nourrir de sève sur les betteraves. Passé cette date, les prédateurs réduisent fortement les populations de pucerons. Mais le mal est fait. "Ce n’est qu’à partir du moment où la betterave a produit douze feuilles que la plante est tirée d’affaire", précise Xavier Reboud, chercheur en agroécologie à l’Institut national pour la recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l’environnement (Inrae) de Dijon.

Cultiver de la betterave, pour quoi faire ? Réponse, dans l'ordre d'importance...
1. Produire du sucre : 5 millions de tonnes sont fabriquées tous les ans en France, à 95% à partir de betteraves et 5% canne à sucre (les DOM).
2. Fabriquer de l'éthanol. Cet "agricarburant" entre dans la composition de l'essence distribuée quotidiennement dans nos stations services. On parle de 1ère génération pour designer l'emploi direct du fruit ou du légume : cette approche sera bientôt interdite (voir fin de l'article) pour mettre l'accent sur les agricarburants de 2e générations où l'on tire profit des "déchets verts". Autrement dit les fanes de la betterave plutôt que sa racine, ou la tige et les feuilles du maïs en remplacement de ses grains. 
3. De façon minoritaire, la betterave rouge est aussi cultivée pour l'alimentation humaine et la betterave fourragère pour celle des bovins.

Pourquoi les néonicotinoïdes sont efficaces ?

Les néonicotinoïdes sont des produits systémiques. Enrobant la graine, ils ont la faculté de se diffuser dans toutes les parties de la plante et donc de procurer une protection totale. Ils sont très toxiques et agissent donc à faible dose. Ils remplacent plusieurs traitements d’insecticides, trois pour la betterave, qui sont plus dommageables pour l’environnement. Ils réduisent également le temps de travail des agriculteurs.

Pourquoi les néonicotinoïdes ont été interdits ?

"Ils ont les défauts de leurs qualités" résume Xavier Reboud. Présents dans les fleurs, ils sont toxiques pour les pollinisateurs ce qu’ont prouvé des dizaines d’articles scientifiques. Rémanents, ils ont un impact sur la vie des sols bien après que la récolte ait été faite. Très toxiques, ils ont un effet qui dépasse les ravageurs ciblés. C’est pourquoi la "loi pour la reconquête de la biodiversité" du 8 août 2016 imposait l’interdiction de tous les produits phytosanitaires contenant des néonicotinoïdes à compter du 1er septembre 2018.

Un règlement européen en date du 27 avril 2018, a également restreint les usages de 3 substances actives néonicotinoïdes (Thiamétoxame, Imidaclopride, Clothianidine) aux seuls usages sous serre. Par ailleurs, la persistance des néonicotinoïdes dans les sols implique que les cultures semées l’année suivante n’aient pas besoin de pollinisateurs comme par exemple la pomme de terre, le lin ou le maïs afin d’éviter qu’ils ne soient contaminés. Les betteraviers s’y sont engagés mais cela leur laisse peu de choix dans la rotation de leurs cultures : le froment ou l’orge.

La décision d’accorder une dérogation à cette loi (qui explique pourquoi la mesure doit être adoptée par le Parlement cet automne) constitue donc un recul. Le paradoxe, c’est que cette loi va s’appliquer de 2021 à 2023 pour répondre à une situation du printemps 2020 dont on n’a pas encore mesuré les effets (les betteraves sont encore en terre) qui ne se répétera peut-être pas. Si en effet l’hiver 2020-2021 est rigoureux avec plusieurs jours à -10°C sur le nord de la France, l’éclosion des pucerons sera plus tardive et moins virulente. La jaunisse sera donc moins présente. L’argument selon lequel on ne constate plus d’hivers aussi rigoureux incrimine un autre facteur de la baisse des rendements betteraviers, le changement climatique. "En 2018, la récolte française a diminué de 18% non pas à cause des pucerons mais du fait de la sécheresse", note Xavier Reboud.

Est-ce qu’on peut revenir aux produits phytosanitaires ?

A priori non. "Lors de notre évaluation des alternatives aux néonicotinoïdes de 2018, nous avions bien noté que les traitements de cette plante devenaient inefficaces du fait de la résistance développée par les pucerons", rappelle Philippe Reignault, directeur de la santé des végétaux à l’Agence nationale de sécurité sanitaire, de l’alimentation et de l’environnement (Anses).

Les produits chimiques efficaces sur le puceron étaient des mélanges de pyréthrinoïdes et de carbamates. Les premiers ne sont plus du tout efficaces, les seconds à 50% seulement. Il ne semble pas que des alternatives soient en cours de développement surtout dans un contexte de réduction générale des pesticides, la prochaine politique agricole commune (PAC) ambitionnant une réduction de moitié de leur épandage au cours de la prochaine décennie.

Qu’attendre des variétés résistantes et du bio-contrôle ?

Des variétés résistantes à la jaunisse ont été développées notamment au Royaume-Uni au début des années 2000. Ces recherches de gènes induisant une réponse au virus sont longues et ont été freinées avec le développement des néonicotinoïdes qui ont constitué une réponse rapide et efficace immédiatement adoptée par le secteur agricole. La recherche a repris. Quatre variétés sont actuellement en cours d’évaluation et des études sont en cours sur le comportement des pucerons et les mécanismes de transmission du virus.

Le bio-contrôle est nettement plus prometteur et bien plus rapide à mettre en œuvre. "On voit bien à la fin du printemps que les prédateurs réduisent très fortement les populations de pucerons, note Xavier Reboud. Il faut donc trouver les moyens de favoriser leur arrivée en même temps que les pucerons pour éviter que leur nombre explose". Cela nécessite de donner une plus grande place aux végétaux favorisant les coccinelles et les syrphes : bandes enherbées plus étendues, haies, arbres, mares. C’est l’agro-écologie.

Qu’exigera un passage à l’agro-écologie ?

L’agro-écologie va imposer un changement radical de paysage. Les plaines betteravières actuelles sont composées de parcelles de plusieurs dizaines d’hectares dénuées de zones dédiées à la biodiversité. "Les centres de ces grandes parcelles sont accessibles aux pucerons mais pas à leurs prédateurs, regrette Xavier Reboud. Il faut donc prioritairement réduire la taille des champs et les entourer de nature".

Une autre solution développée par l’Université de Wageningen (Pays-Bas) est la culture par bandes. Les différentes cultures voisinent sur des espaces de 6 à 10 mètres de largeur, empêchant ainsi les ravageurs spécifiques à une plante de se développer. La Confédération générale des planteurs de betteraves (CGB) affirme qu’elle mène des recherches sur ces solutions depuis 2016 mais estime qu’il faudra plusieurs années pour arriver à un résultat. Pourtant, le temps presse. "Au vu des pressions techniques, environnementales, sociétales qui pèsent sur le secteur, on voit mal la dérogation décidée aujourd’hui se prolonger au-delà de 2023", estime Philippe Reignault. En 2018, l’Anses concluait son expertise sur les alternatives aux néonicotinoïdes en recommandant "d’accélérer la mise à disposition de méthodes alternatives, efficaces et respectueuses de l’homme et de l’environnement, pour la protection et la conduite des cultures".

Quel avenir pour la betterave en France ?

Le secteur betteravier fait face à d’autres défis. Depuis 2017, les quotas mondiaux de production ont disparu. Le marché est désormais mondial. Il est en surproduction et les prix ont fortement baissé. De plus des pays comme l’Inde ou la Thaïlande aident leurs exportateurs, provoquant des distorsions de concurrence. 1er producteur européen, la filière française compte 25.000 planteurs et 46.000 emplois dans l'industrie. Outre le sucre, les 14 distilleries produisent de l’éthanol incorporé dans l’essence comme biocarburant, un débouché qui devrait se tarir à la fin de la décennie avec l’interdiction des agro-carburants entrant en concurrence avec des filières alimentaires. Une des voies empruntées par les industriels est celle du sucre bio. Quoiqu’il en soit, la filière est effectivement en danger. Mais pas seulement à cause d’un puceron.

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