Partager
Santé

Covid-19 : selon la pharmacocinétique, le traitement à l'hydroxychloroquine ne peut pas marcher

La pharmacocinétique est une discipline qui étudie l’évolution des concentrations du médicament dans l’organisme. Elle démontre que l'hydroxychloroquine ne peut pas être efficace contre le Covid-19. Explications.

39 réactions
Le Pr Didier Raoult

Didier Raoult à l'IHU de Marseille

Crédit : GERARD JULIEN / AFP

INEFFICACE. Le 22 avril 2020, devant les sénateurs, le ministre de la Santé, Olivier Véran déclarait à propos de l’hydroxychloroquine et de l'azithromycine : "Les dernières publications qui ont été publiées et validées ne sont pas en faveur, hélas, de l’utilisation en pratique courante de ce traitement en mono ou en bithérapie". Des mauvais résultats qui dès le début étaient prévisibles au regard de la pharmacocinétique, cette discipline qui étudie l’évolution des concentrations du médicament dans l’organisme. "La raison est simple. Les doses qu’il faudrait utiliser pour atteindre l’efficacité supposée de l’hydroxychloroquine sont tellement énormes, qu’elle tuerait les patients à coup sûr", indique le professeur Mathieu Molimard spécialisé en pneumologie et en pharmacologie, chef de service de Pharmacologie Médicale du CHU de Bordeaux.

67 comprimés de Plaquenil

Pour bien comprendre cela, il faut revenir à l’hypothèse de départ qui a amené à utiliser l’hydroxychloroquine dans le traitement de la Covid-19. Des essais in vitro (culture de cellules infectées par le virus) ont montré que la molécule était efficace contre le SARS-CoV-2, le virus du Covid-19. La concentration à laquelle un produit est efficace in vitro se mesure par un indicateur de référence, l’EC50. Il indique que pour telle concentration d’un médicament, on arrive à 50% de son efficacité maximum. Les différentes études in vitro montrent que l’EC50 de l’hydroxychloroquine varie d’environ 1 micro Molaire (µM) à 13 µM, soit converti en microgramme/litre (µg/l), 335 µg/l à 4355 µg/l*.

En tenant compte d’un "volume de distribution" de 40.000 litres (volume pharmacocinétique dans lequel semble se diluer l’hydroxychloroquine si on mesure l’effet d’une dose sur l’évolution de la concentration dans le plasma), il faudrait théoriquement au minimum 67 comprimés de Plaquenil dosé à 200 mg soit 13.400 mg, pour avoir une concentration dans le plasma et la salive (les virus se trouvant dans les postillons) comparable à celle minimale nécessaire in vitro (1µM). "Or, la posologie habituelle, est de 1 à 2 comprimés par jour voire 2 à 3 maximum dans le traitement du lupus, soit 600 mg. On ne peut pas arriver à donner une telle dose même sur une semaine. Dans le traitement du Covid-19, un essai mené en Chine est monté à 1000 mg par jour. A 2000 mg c’est la mort assurée", s’empresse de rappeler Mathieu Molimard.

DOSE. En plus, une telle dose de 67 comprimés serait non seulement mortelle, mais certainement insuffisante pour avoir un effet in vivo contre le virus. En effet, elle correspond à la valeur basse si l’on revient aux études in vitro, celle d’une concentration de 1 µM pour obtenir l’EC50. Pour atteindre cette même efficacité contre le virus in vitro, une étude indique qu’il ne faut pas une concentration de 1µM mais 13µM, soit 13 fois plus. On atteindrait alors des doses encore plus importantes.

Et ce n’est pas tout. Comme nous venons de l’indiquer, ces posologies ne valent que pour atteindre l’EC50. Dans le cadre d’un traitement efficace, l’objectif est plutôt d’atteindre l’EC90 donc des concentrations d’au moins 10 µM. Il faudrait donc encore augmenter la dose. A combien de comprimés ? Ce n’est plus la peine de calculer, tant le chiffre est déjà invraisemblable. Donc en résumé, il faudrait entre 60 et 800 comprimés de Plaquenil pour atteindre seulement la moitié de l’efficacité de ce médicament. Or, une dose de 10 comprimés est déjà mortelle.

Pour contredire ces calculs, il est possible d’évoquer les modélisations dites PBPK, des simulations, qui à partir de données expérimentales évaluent la concentration d’un produit dans différents compartiments de l’organisme (coeur, poumons etc…). Or, ces modèles prédisent que la concentration de l’hydroxychloroquine serait 700 fois plus forte dans les poumons que dans le plasma sanguin. Cette valeur est d’ailleurs indiquée dans une étude d’une équipe chinoise publiée le 9 mars. “Mais ce raisonnement est encore faux. Car la valeur sur laquelle est basée cette concentration dans les tissus pulmonaires repose sur une valeur que l’on ne connaît pas, celle de la concentration de l’hydroxychloroquine dans les cellules. Les fameuses concentrations des données in vitro, allant d’environ 1 à 13 µM sont les concentrations que l’on met dans les boîtes de Petri dans lesquelles les cellules infectées par le virus sont cultivées. Mais on ne sait pas quelle concentration se retrouve effectivement dans ces cellules. Donc, dans les modèles PBPK, on compare deux choses qui ne sont pas comparables : des concentrations intracellulaires et des concentrations extracellulaires. C’est un biais important qui invalide les prévisions de ces modèles", commente Mathieu Molimard.

COEUR. Mais même dans le cadre d’une posologie normale, l’utilisation de l’hydroxychloroquine n’est pas sans risque. Le produit est connu pour être responsable d’un trouble cardiaque appelé torsade de pointe, pouvant mener à l’arrêt cardiaque. Il est aussi admis que le SARS-Cov-2, le virus responsable de la maladie, agit sur le système hormonal rénine angiotensine avec pour conséquence, une réduction de la concentration en potassium dans le corps. Problème, une réduction du potassium favorise encore la torsade de pointe et donc le risque d’arrêt cardiaque. Le virus est aussi connu pour provoquer des atteintes cardiaques (myocardites) qui favorisent les troubles du rythme du cœur. Plus inquiétant encore, l'azithromycine (utilisée en synergie avec l’hydroxychloroquine) est elle-même connue pour favoriser la torsade de pointe. “Donc dire que le traitement hydroxychloroquine avec ou sans azithromycine est sans risque, c’est oublier le terrain, celui d’une infection virale qui augmente le risque de complications cardiaques”, rappelle Mathieu Molimard.

Donc en conclusion : il n’est pas surprenant que les nombreuses études n’aient pas montré d’efficacité de l’hydroxychloroquine avec ou sans azythromicine contre le Covid-19. C’est ce que prédisait la pharmacocinétique dès le début. Par contre, le risque du traitement, notamment la survenue de troubles cardiaques potentiellement mortels, est lui bien avéré ! Pourtant, selon le site Clinical Trials, 120 essais cliniques utilisant l’hydroxychloroquine contre le Covid-19 sont en cours dans le monde à la date du 23 avril. Est-ce bien raisonnable ?

*Pour ce calcul : 1 Molaire noté M est le nombre de moles par litre. La masse molaire de l’hydroxychloroquine est environ 335 g/mole, donc 1 µM est égal à 1x335 soit 335 µg/l. 13 µM est donc égal à 13x335 soit 4355 µg/l

39 réactions 39 réactions
à la une cette semaine

Centre de préférence
de vos alertes infos

Vos préférences ont bien été enregistrées.

Si vous souhaitez modifier vos centres d'intérêt, vous pouvez à tout moment cliquer sur le lien Notifications, présent en pied de toutes les pages du site.

Vous vous êtes inscrit pour recevoir l’actualité en direct, qu’est-ce qui vous intéresse?

Je souhaite recevoir toutes les alertes infos de la rédaction de Sciences et Avenir

Je souhaite recevoir uniquement les alertes infos parmi les thématiques suivantes :

Santé
Nature
Archéo
Espace
Animaux
Je ne souhaite plus recevoir de notifications