Santé

Covid-19 : la nicotine pourrait avoir un rôle protecteur, une étude est lancée

On trouve moins de fumeurs parmi les malades du Covid-19 que dans la population générale : pour des chercheurs français, la nicotine pourrait avoir un pouvoir protecteur spécifique face au virus. Une étude est lancée.

La part de mortalité due au tabac en Europe est de 8% pour les femmes et 20% pour les hommes.

SCIENCE PHOTO LIBRARY / R3F / Science Photo Library via AFP

Il devient de plus en plus clair que les fumeurs sont moins présents parmi les malades du Covid-19 que dans la population générale. Un composant du tabac protègerait-il du virus ? Parmi eux, la nicotine est la meilleure candidate, d'après des chercheurs français dans une nouvelle publication. Pour le savoir, des essais préventifs et thérapeutiques vont être entrepris avec des patchs à la nicotine, à l'hôpital de La Pitié-Salpêtrière à Paris. En attendant les résultats, il ne faut surtout pas tenter de se protéger du virus en fumant avertissent les experts, le tabac étant un remède potentiel bien pire que le mal !

Moins de fumeurs parmi les malades que dans la population

En Chine où 30% des adultes sont fumeurs, une étude publiée dans le New England Journal of Medicine rapporte seulement 12,6% de fumeurs sur 1.000 cas de Covid-19. Même son de cloche aux Etats-Unis, où l'organe officiel CDC (Center of Disease Control) rapporte 1,9% de fumeurs sur 7.000 cas de Covid, soit "10 fois moins que dans la population générale", s'étonne le Pr Bertrand Dautzenberg, tabacologue, sur LCI le 14 avril. Ces données troublantes sont à l'origine d'une question : la nicotine contenue dans la cigarette est-elle protectrice contre le virus ?

Après que les premiers doutes ont été soulevés, un sondage français lancé par les associations Aiduce et Sovape, avec la collaboration du Pr Bertrand Dautzenberg, avait interrogé 4.315 vapoteurs exclusifs (qui ne fument pas de tabac). Parmi eux, 2,8% suspectent d'être infectés par le Covid-19. Alors que les estimations de l'époque évaluaient à 3% la part de Français infectés, l'étude avait conclu que les vapoteurs n'étaient pas plus épargnés que les autres. 10 jours plus tard, l'Institut Pasteur a cependant révélé le chiffre de 6% de contaminés en France.

La nicotine pourrait limiter la pénétration du virus

L'hypothèse d'un rôle protecteur de la nicotine est étayée par un article à paraître dans les Comptes Rendus de Biologie de l'Académie des sciences. Ces travaux portent sur 350 malades hospitalisés et 150 plus légers qui ont consulté, tous atteints du Covid-19 (confirmé par test PCR). "Parmi ces patients, il y avait seulement 5% de fumeurs", dit à l'AFP le professeur de médecine interne Zahir Amoura, qui a mené cette dernière étude, soit "80% de moins de fumeurs chez les patients Covid que dans population générale de même sexe et de même âge". "Notre étude (…) suggère fortement que les fumeurs actuels ont une probabilité beaucoup plus faible de développer une infection symptomatique ou grave par le SARS-CoV-2 (virus du Covid-19, ndlr) que la population générale", expliquent les auteurs, chercheurs du CNRS, de l'Inserm, de l'Assistance Publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP), de Sorbonne université, du Collège de France et de l'Institut Pasteur.

"L'hypothèse est que la nicotine, en se fixant sur le récepteur cellulaire utilisé par le coronavirus, l'empêche ou le retient de s'y fixer" et donc de pénétrer dans les cellules et de se propager dans l'organisme, explique à l'AFP le Pr Jean-Pierre Changeux, neurobiologiste à l'Institut Pasteur et au Collège de France, co-auteur de ce nouvel article. Ce récepteur, appelé ACE2, module notamment le "récepteur nicotinique de l'acétylcholine", un neurotransmetteur essentiel au système nerveux central. Le rôle central du récepteur ACE2 dans la propagation du virus pourrait expliquer la variété des symptômes du Covid-19, dont la perte d'odorat et des troubles neurologiques, avancent les chercheurs.

Pour vérifier cette hypothèse, une étude est lancée à l'hôpital de La Pitié-Salpêtrière à Paris. Dès le feu vert final obtenu, avec le soutien du ministre de la Santé Olivier Véran, des patchs nicotiniques seront administrés à des dosages différents dans trois essais : en préventif à des soignants, pour voir si cela les protège ; en thérapeutique à des patients hospitalisés en médecine, pour tenter de diminuer leurs symptômes ; et enfin à des patients graves en réanimation, détaille le Pr Amoura. 

Contre le Covid-19, le tabac ferait un remède pire que le mal

Ces premières données ne doivent pas inciter la population à se ruer sur le tabac. "La cigarette fait 200 morts par jour en France, elle n'est pas une solution thérapeutique", rappelle le Pr Bertrand Dautzenberg sur LCI. Même si la nicotine ralentissait la pénétration du virus dans le corps, ce bénéfice sur la santé serait complètement anihilé par les effets toxiques du tabac, insiste-t-il. "On ne soigne pas une grippe en se tirant des coups de fusil dans le poumon". Même la nicotine, si elle se révélait bien protectrice, serait un traitement à manier avec précaution, car mal tolérée par les non fumeurs, comme en avertit le Pr Dautzenberg dans un tweet.

Les malades fumeurs sont sévèrement atteints

Certaines données apparemment contradictoires semblent montrer un facteur aggravant du tabagisme sur le Covid-19. Ainsi, dans la même étude chinoise du New England, le pourcentage de fumeurs passait de 12% à 26% si l'on ne considérait que les cas les plus graves, ventilées et admis en unité de soins intensifs. Bien que d'autres facteurs tels que le diabète ou des maladies cardiovasculaires - dont l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) rappelle que le tabac est un important facteur de risque - brouillent le signal, le tabac a des effets aggravant connus sur les infections qu'il convient de prendre en compte.

"L'une des principales raisons pour lesquelles les fumeurs sont exposés à un risque accru d'infections respiratoires est probablement l'affaiblissement et la mort des cils des voies respiratoires et des poumons", explique le Dr James Gill, médecin généraliste et maître de conférence clinique honoraire de la Warwick Medical School (Royaume-Uni). Ces cils – des "petits poils en forme de brosse" sur nos cellules des voies respiratoires, ont un rôle essentiel d'évacuation des débris, mucus et agents infectieux avant qu'ils ne puissent s'installer dans les poumons. Si la nicotine a vraiment un effet protecteur, cela pourrait signifier que si le virus réussi malgré tout à passer, il fera plus de dégâts chez les fumeurs.

Un sevrage qui laisserait le champ libre au virus

Ces cas sévères chez les fumeurs malgré un potentiel rôle protecteur de la nicotine pourraient s'expliquer par leur sevrage forcé à leur entrée à l'hôpital. Ceux qui ont été assez sensibles à l'infection pour être hospitalisés doivent en effet arrêter de fumer dès leur admission. Or, il apparaîtrait que le tabagisme provoque un surnombre de récepteurs ACE2, portes d'entrées du virus du Covid-19, sur les cellules. A leur sevrage, tous ces récepteurs auparavant occupés par la nicotine se retrouvent subitement disponibles pour le virus, facilitant l'infection, explique un article publié dans Nicotine and Tobacco Research, et un autre dans l'European Respiratory Journal. Cet "effet de rebond" serait "responsable de l'aggravation de la maladie observée chez les fumeurs hospitalisés", suggèrent les auteurs de l'article des Comptes Rendus de Biologie de l'Académie des sciences.

Avec AFP.