Récit : Donyale Luna, le supermodel américain que la mode a injustement oublié

Premier mannequin noir à faire la couverture de « Vogue », Donyale Luna a connu une ascension stupéfiante, avant de mourir tragiquement. L’heure est venue de réhabiliter celle que la mode a oublié.
Lhistoire tragique de Donyale Luna mannequin et muse dAndy Warhol que la mode a oubli
RDB/ullstein bild via Getty Images

Chevelure sixties surgonflée, œil de biche ourlé de noir, jambes sans fin… Zendaya est stupéfiante pour le magazine Essence, qui consacre sa toute nouvelle couverture numérique à l’actrice que le monde s’arrache. Des clichés noirs et blancs signés du duo Ahmad Barber et Donte Maurice, qui ne manqueront pas d’évoquer chez certains amateurs de mode une autre série de photos toute aussi mythique. Car ce shooting est en réalité un hommage appuyé (et assumé par Law Roach, styliste de Zendaya à l'origine de la séance) à Donyale Luna, supermodel américain qui fréquenta, au cours de sa courte mais étincelante carrière, le gratin de l’art, du cinéma et de la mode.

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Qui êtes-vous Donyale Luna ?

Née Peggy Ann Freeman le 1er janvier 1945 à Détroit, Michigan, la jeune Afro-américaine connaît une enfance normale rythmée malgré tout par les quatre divorces et remariages de ses parents, qui entretiennent une relation tumultueuse (son père, Nathaniel, cultive un penchant pour la boisson). Little-Peggy, c’est son surnom, est « l’enfant du milieu », coincée entre deux sœurs, ce qui ne l’empêche pas de briller à l’école, à l’église ou sur les planches du théâtre local. À l’âge de 18 ans, Peggy Freeman se renomme Donyale George Luna, une façon pour elle peut-être d’échapper à un quotidien turbulent, qui sera marqué en 1965 par le meurtre de son père par sa mère, victime d’abus répétés. Personne ne sait vraiment pourquoi Peggy choisit de devenir Donyale, même si sa sœur n’avait pas manqué de se souvenir dans les colonnes du New York Times que la jeune femme avait toujours été « une enfant étrange, même depuis la naissance, vivant dans un monde merveilleux, un rêve ».

Si Donyale Luna rêve de devenir actrice, son destin va pourtant être bouleversé par le photographe anglais David McCabe, qui la repère dans les rues de Détroit en 1963. Il invite alors la jeune femme à quitter sa ville natale pour New York afin de devenir mannequin, ce que refuse d’entendre Peggy Freeman senior. Cette dernière finit pourtant par céder, et à l’automne 1964 voilà Luna dans le New Jersey, logée chez une tante. Elle arrive dans la Grosse pomme quelques mois à peine après qu’ait été voté le Civil Rights Act, une loi qui met fin à toutes formes de ségrégations ; pour autant les opportunités sont rares pour les mannequins noirs.

McCabe va cependant tenir sa promesse, et introduit la jeune femme dans le cercle très fermé de la mode. Elle rencontre Nancy White, rédactrice en chef d’Harper’s Bazaar ; China Machado, mythique mannequin américain d’origine chinoise et portugaise ; et Richard Avedon, célèbre photographe de mode. La première signe un contrat d’exclusivité d’un an avec Dyonale Luna, la seconde la prend sous son aile, le troisième devient son manager.

Un succès stratosphérique

En quelques mois, Dyonale Luna quitte le New Jersey pour New York, pose au côté de Woody Allen pour le magazine Mademoiselle, et défile pour Paco Rabanne. Ce dernier sera d’ailleurs conspué par les journalistes américains, qui le critiquent pour n’avoir présenté que des mannequins noirs lors de son show. Luna n’en a cure, elle a tapé dans l’œil d’Andy Warhol, qui la capture dans un de ses fameux Screen Tests (le roi du pop-art la fera de nouveau jouer en 1967 dans le film Donyale Luna). Côté mode, Nancy White veille sur elle et le meilleur est à venir : en janvier 1965, le voilà en couverture d’Harper’s Bazaar, devenant la première personne noire à poser en une du magazine en 98 ans de publication. Ces petites victoires n’empêchent pas Donyale de traverser des zones de turbulence : sa relation avec son manager Richard Avedon, très possessif, tourne au vinaigre, tandis que les plus gros annonceurs de la presse refusent de placer leurs publicités dans les magazines qui la mettent à l’honneur.

L’Américaine décide alors de partir pour l’Europe, plus ouverte, où elle espère dépasser les clichés raciaux ; en décembre 1965, elle arrive à Londres en pleine Beatlemania. Les mini-jupes de Mary Quant et les coupes au bol de Vidal Sassoon peuplent les rues de Londres, et Donyale devient très vite l’une des figures-phares des Swinging Sixties.

66, année magnifique

Le mannequin n’a pas pour autant oublié ses premières amours et en mars 1966, elle devient le premier top afro-américain à faire la couverture de Vogue (un cliché d’ailleurs repris par Zendaya pour Essence). Photographiée par l’iconique David Bailey, Donyale Luna porte une robe Chloé et des boucles d’oreilles flamboyantes signés Mimi de N. La série mode qui fait écho à la Une est tout aussi stylée, le mannequin arborant les plus grands designers du moment : Christian Dior, Pierre Cardin, Yves Saint Laurent.

L’histoire tragique de Donyale Luna, mannequin et muse d’Andy Warhol que la mode a oublié

1966 est « l’année Luna », comme l’affirme le Time, qui consacre un long papier à cette « créature de contrastes ». À Paris, elle défile pour Courrèges, Saint Laurent, Valentino, Paco Rabanne (qui présente à ce moment-là ses douze robes importables composées de disques de Rhodoïd) tandis que les magazines Elle et Paris Match se la disputent (Match enverra même onze photographes différents shooter le mannequin le temps d’un édito mode inoubliable). Même Salvador Dalí tombera sous le charme de Donyale Luna, qui lui rend visite à Cadaqués et devient l’une de ses muses – l’artiste surréaliste avait pour habitude de dire que le top était « la réincarnation de Nefertiti ». « Je n’avais jamais prévu d’être un mannequin quand j’étais à Détroit » s’étonne pourtant la principale concernée, qui continue son tour européen jusqu’à s’arrêter en Italie à la fin des années 60. C'est la période où le cinéma se l’arrache, on la voit dans Blow-Up d’Antonioni (1966), Qui êtes-vous Polly Maggoo ? de William Klein (1966), Skidoo d’Otto Preminger (1968) ou encore Satyricon de Fellini (1969). Elle tourne à Rome pour ce dernier et c'est là qu’elle rencontre Luizi Cazzaniga, un photographe qu’elle épouse en 1976 en Californie et avec qui elle aura une fille, Dream Cazzaniga, l’année d’après.

L’histoire tragique de Donyale Luna, mannequin et muse d’Andy Warhol que la mode a oublié

RDB/ullstein bild via Getty Images

Son ascension météorique est pourtant stoppée net le 17 mai 1979 : Donyale Luna meurt d’une overdose d’héroïne dans la confidentialité d’une clinique romaine. Un décès accidentel, expliquera des années plus tard sa fille dans les colonnes du British Vogue, revenant sur les belles heures de la carrière de sa mère. Injustement oubliée, cette dernière, qui a ouvert les pages des magazines de mode à toute une génération de mannequins noirs, retrouve désormais un peu de sa splendeur d’antan grâce à Zendaya et à une poignée de personnalités bien décidées à refaire briller le nom de Donyale Luna.