Les studios de la Victorine à Nice : Hollywood sur la baie des Anges

Les studios de la Victorine, où ont tourné Bardot, Belmondo et Delon, et plus récemment Woody Allen, fêtent leurs 100 ans avec des journées portes ouvertes du 27 au 29 septembre.

 Les studios niçois ouvrent leurs portes au public du 27 au 29 septembre.
Les studios niçois ouvrent leurs portes au public du 27 au 29 septembre. LP/Jean-Baptiste Quentin

    La piscine est vide et le cœur se serre. L'eau n'y a pas coulé depuis une éternité. Cet objet de pur cinéma ne sert plus à rien. L'abandon et les couleurs acidulées. Et ce bassin en forme de cœur qu'on n'avait même pas remarqué sur le moment. Jacqueline Bisset y plongea dans « La Nuit américaine » de François Truffaut en 1972. On croit encore entendre les « Coupez ! », « Moteur ! », l'eau qui éclabousse pour la énième prise. Tout est si calme ce vendredi 13 septembre dans les studios, à Nice (Alpes-Maritimes). La Victorine a cent ans.

    A côté de la piscine, quelques palmiers, mais pas de stars. Enfin si, des voitures : on tourne une publicité pour un nouveau modèle d'Alfa Roméo. Pendant leur pause, des techniciens italiens devisent, assis sous un soleil de plomb à côté du plateau, et nous fixent drôlement. C'est un tournage ultra-secret.

    Qu'ils soient sans crainte. Aux voitures rutilantes, on préfère cet autre vieux bassin en ciment abîmé qui ne ressemble à rien, à l'extrémité des studios. Un trou rectangulaire grisâtre. Presque un terrain vague avec une excavation bizarre. Rex Ingram (1892-1950), cinéaste américain du muet - « le Spielberg de l'époque » dit-on - qui a dirigé la Victorine dans les années 1920 quand le « Hollywood français » méritait pleinement son nom, l'avait fait construire pour des reconstitutions. Comment imaginer que Laurel et Hardy ont tourné dans ce rectangle vide une scène de tempête en mer sur un voilier ?

    Christian Estrosi rêve d'un agrandissement

    Jacqueline Bisset plongea dans ce bassin dans « La Nuit américaine » de François Truffaut en 1972. LP/Jean-Baptiste Quentin
    Jacqueline Bisset plongea dans ce bassin dans « La Nuit américaine » de François Truffaut en 1972. LP/Jean-Baptiste Quentin LP/Jean-Baptiste Quentin

    On vacille presque à ces évocations d'un passé si mythique dont témoignent ces empreintes urbaines. Retour au présent. Un peu plus loin, des Anglais s'affairent dans un autre studio. Eux sont des habitués. Ils préparent la saison 3 de « Riviera », série britannique qui fait pratiquement vivre les studios à elle seule.

    On croyait presque que la Victorine, où fut tourné « Et Dieu créa la femme », avait fermé ses portes. Pas du tout. L'activité continue. Un projet très ambitieux de « Renaissance des studios de la Victorine », piloté par un ancien président du Centre national du cinéma et porté par Christian Estrosi, maire de la ville, qui possède les terrains depuis les années 1960 et gère directement les studios depuis peu dans l'attente de nouveaux investisseurs privés, rêve d'un agrandissement.

    Allers-retours permanents entre passé, présent, futur. Ce charme qui vous prend par la main et vous retient. À l'origine, un pavillon de campagne du début du XXe siècle, abritant sept hectares de vergers, est acheté en 1919 par deux producteurs qui le transforment en studio. La villa apparaît aussi dans « La Nuit américaine ». Les jets d'eau du jardin sont-ils ceux de « Mon oncle » de Jacques Tati ? Non, il tourna dans une autre partie des studios.

    Un « James Bond » et quatre « Panthère Rose »

    Le tapissier Maurice Borghesi, 74 ans, dans son a
    Le tapissier Maurice Borghesi, 74 ans, dans son a LP/Jean-Baptiste Quentin

    On voudrait ralentir le temps. Maurice Borghesi, 74 ans dont 47 passés ici, nous y aide. Il ne veut pas raccrocher. « Les jeunes s'échappent tous. Je ne sais pas à qui transmettre mon métier », lâche ce tapissier dans son atelier des studios. Maurice a découpé, taillé, cousu, collé des tissus pour les intérieurs des voitures de James Bond, par exemple, dans « Jamais plus jamais » avec Sean Connery, tourné ici. Il nous montre une dédicace de 007. « Un soir, je l'ai croisé à un spectacle où il venait se détendre avec sa femme. On ne le reconnaissait pas sous sa casquette. Il m'a vu et m'a adressé un petit signe. La classe. »

    Maurice a tout fait : « L'intérieur d'un train, d'un Spoutnik. Un James Bond et quatre Panthère Rose. Et deux voitures avec du vison partout à l'intérieur pour un clip de Prince ». Il a côtoyé Jean-Claude Van Damme, « très sympa », vénère David Niven, se rappelle que « 442 personnes ont travaillé ici sur Jamais plus jamais ». Maurice aussi croit en l'avenir. Un spécialiste des effets spéciaux vient d'installer ses bureaux à côté de son atelier. « C'est de ça dont on a besoin. Moins de plateaux, mais plus performants. »

    Belmondo, Delon, Bardot…

    Jean-Paul Belmondo, Claudia Cardinale et José Giovanni à Nice, le 14 mai 1972. Keystone-France/Gamma-Rapho
    Jean-Paul Belmondo, Claudia Cardinale et José Giovanni à Nice, le 14 mai 1972. Keystone-France/Gamma-Rapho LP/Jean-Baptiste Quentin

    « Coco » - Charles - Orsini, lui, a pris sa retraite. L'électricien de la « Nuit américaine » tirait des câbles de 100 mètres de long pour éclairer chaque scène : « J'étais spécialiste pour les rouler, je suis fils de pêcheur ». Ce Niçois de 83 ans est remonté au studio pour nous montrer son album de photos, avec Belmondo et Delon à toutes les pages, de « Flic ou voyou » à « Joyeuses Pâques ».

    « Bébel rigolait tout le temps. Un jour, il s'est pris un sac de farine sur la tête par erreur et même pas un agacement. Un type extrêmement gentil. Delon, très pudique, disait juste bonjour. Mais s'il ne vous voyait pas… Il remarquait immédiatement votre absence. Il faisait des apéros. Un soir, je n'y vais pas. Le lendemain, il me dit : ils ne te plaisent pas, mes apéritifs ? Je veux te voir. »

    Les deux rois de la Victorine, qui y ont tourné une dizaine de films chacun, avec Brigitte Bardot, l'autre star des lieux. Ce matin-là, une chatte appelée « Brigitte » pointe son museau sur la véranda de la villa qui abrite les bureaux. « Je l'ai trouvée ici, abandonnée. Je ne pouvais que l'appeler comme ça en hommage à B.B. », sourit Odile Chapel, mémoire du cinéma niçois, qui a dirigé la Cinémathèque de la ville et s'occupe aujourd'hui, avec quatre salariés, de gérer les emplois du temps des tournages : « Quand une production arrive, c'est comme un cirque. La veille de l'arrivée des camions, il n'y a rien. Et quand le tournage est fini, c'est comme éteindre les lampions. Tout redevient désert ».

    Luxe, soleil et bord de mer

    La villa de Rex Ingram, cinéaste américain du muet (1892-1950). LP/Jean-Baptiste Quentin
    La villa de Rex Ingram, cinéaste américain du muet (1892-1950). LP/Jean-Baptiste Quentin LP/Jean-Baptiste Quentin

    Avec son énorme trousseau de clés, celles qui ouvrent les portes des rêves, Odile Chapel nous fait visiter loges et plateaux. Dans les couloirs, cette affiche de « Zig Zig », un vieux film avec Catherine Deneuve clope au bec, et Bernadette Lafont, riant aux éclats.

    Pas besoin de remonter si loin. Woody Allen est venu à la Victorine en 2012 pour « Magic in the Moonlight ». La scène du cabaret, censée se dérouler à Berlin, a été tournée au studio 1. On y a même fait rentrer un éléphant. Gil Kenny, qui a installé ses bureaux de production ici, était sur ce tournage le premier assistant-réalisateur de Woody Allen : « C'est le seul cinéaste américain qui, en France, a tourné avec une équipe purement française. Il aime le soleil de Nice, les décors naturels, et c'est en se baladant dans la région qu'il a eu l'idée de la scène romantique à l'Observatoire ».

    Gil Kenny a aussi travaillé avec U2 il y a quatre ans : « C'était tellement confidentiel qu'on avait tout fermé et chaque technicien devait déposer son téléphone portable en arrivant ».

    Lui qui a commencé à 23 ans dans ces lieux comme stagiaire sur « Le fils de la Panthère rose » de Blake Edwards parle lui aussi au futur : « Il y a de très bons techniciens à Nice. On peut tourner en lumière naturelle des scènes de bord de mer et de montagne. Le climat est un peu le même qu'à Los Angeles… Il y a aussi le luxe, les hôtels, l'aéroport ».

    « La Victorine, c'était une manne incroyable »

    Odile Chapel (au premier plan) gère les emplois du temps des tournages. LP/Jean-Baptiste Quentin
    Odile Chapel (au premier plan) gère les emplois du temps des tournages. LP/Jean-Baptiste Quentin LP/Jean-Baptiste Quentin

    Ici, tout le monde aimerait que ça continue. La Victorine incarne Nice, côté glamour et côté labeur. « Dans chaque famille, quelqu'un a été un jour figurant, cascadeur, ou a fait une retouche couture d'un costume, d'un rideau, d'un décor à la Victorine. Les Enfants du Paradis, tourné en 1943, c'était 1500 figurants par jour », résume Odile Chapel.

    Une vieille dame trop fatiguée pour nous parler ce jour-là, belle-mère d'une employée de la ville, avait cinq ans quand Arletty donnait la réplique à Jean-Louis Barrault dans le film de Marcel Carné. Sa mère, qui nettoyait les loges de ces monstres sacrés, l'emmenait avec elle. « La Victorine, c'était une manne incroyable pour une ville alors très pauvre dans ses quartiers ouest. Pour une femme de ménage, c'était la garantie d'un salaire mieux payé qu'ailleurs. Et les figurants venaient du coin », raconte sa belle-fille. Le livre d'or de l'exposition présentée au musée Masséna regorge d'ailleurs de petits mots personnels, de souvenirs des visiteurs.

    Nice, ce n'est pas seulement la Baie des Anges et les princesses comme Grace Kelly qui a tourné sur les routes de la corniche « La main au collet » sous la direction d'Alfred Hitchcock. En quittant la Victorine, on tombe sur des barres d'immeubles modestes dépareillés. La petite fille dont la mère faisait le ménage dans la loge d'Arletty vit toujours là. Mémoire vive d'une ville qui respire et transpire le cinéma, des machinistes aux déesses.

    Trois journées portes ouvertes, du 27 au 29 septembre. Renseignements sur cinema2019.nice.fr