Terroriste présumé de Romans : les messages injurieux qui sèment l’émoi au barreau de Valence

«Il peut crever.» Sur un groupe Facebook privé d’avocats du barreau de la Drome, des messages injurient ceux qui défendraient l’auteur de l’attaque sanglante au couteau à Romans. Certains assument, d’autres se disent écœurés.

 Un réfugié soudanais a tué deux personnes et en a blessé cinq autres à Romans-sur-Isère (Drôme), samedi 4 avril.
Un réfugié soudanais a tué deux personnes et en a blessé cinq autres à Romans-sur-Isère (Drôme), samedi 4 avril. AFP/Jeff Pachoud

    Mise en cause des confrères, remise en cause du droit à la défense, appel à laisser « crever » un suspect… C'est une discussion sur les réseaux qui sème l'émoi au sein du barreau de Valence (Drôme). Samedi 4 avril, Abdallah Ahmed-Osman, un réfugié soudanais, poignarde mortellement deux personnes et en blesse cinq autres à Romans-sur-Isère (Drôme) dans une attaque au couteau qualifiée depuis de terroriste.

    Le jour même, un avocat du barreau de Valence publie ce message sur le groupe privé Facebook « Avocats Valence », visible par ses 137 membres : « A tous les connards qui veulent défendre les sous merde du type de celui qui a tué deux personnes à Romans ce matin [emoji de doigt d'honneur] continuez à vouloir mettre en avant les droits de l'homme et à déshonorer la profession. Je pèse et j'assume mes propos ».

    Dans la foulée, l'homme de loi publie un second message : « J'ai dit que j'assumais mes propos et les maintenais envers ceux qui passent leur temps à se prévaloir des droits de l'homme pour défendre ces merdes qui n'ont pas le droit à la vie ». Ces propos, qui peuvent surprendre de la part d'un avocat, semblent pourtant approuvés par le bâtonnier en personne.

    « J'ai été très mal compris »

    Me Thierry Chauvin, bâtonnier de Valence depuis le 1er janvier, est en effet l'un des premiers à réagir au texte de son confrère avec le message suivant : « BFM m'a appelé pour connaître le nom de l'avocat que j'allais lui désigner !! (NDLR : c'est au bâtonnier qu'il appartient de désigner les avocats commis d'office dans un dossier). J'ai benoîtement répondu que nous verrions ça à la fin du confinement et encore si j'ai le temps. » Un message qui laisse entendre que le bâtonnier serait réticent à fournir à ce suspect la défense à laquelle toute personne a droit.

    « J'ai été très mal compris, se défend Me Chauvin, joint par téléphone. Depuis le début du confinement, afin de protéger la santé de mes confrères, j'ai suspendu toutes les désignations. Or je savais que ce suspect, dont il est très vite apparu que les agissements pourraient être de nature terroriste, serait transféré en région parisienne. Donc quand je dis que je verrai ça à la fin si j'ai le temps, cela voulait dire si son cas relève encore de notre juridiction. Mais quand j'ai été alerté par des confrères qui ont cru que je remettais en cause son droit à être défendu, j'ai réalisé que je m'étais mal exprimé. »

    Ce jour-là, le bâtonnier a également approuvé (« liké » en langage Facebook) le premier message de son confrère, celui où il traite ses congénères de « connards ». Thierry Chauvin plaide… l'ambiguïté de bouton. « Je ne suis absolument pas familier de Facebook, se défend-il. Quand on m'a dit que j'avais validé ce message, j'ai été surpris. Et puis on m'a expliqué qu'en fonction de l'endroit où on appuyait, cela pouvait générer l'approbation du message. Je découvre tout cela. Mais il était hors de question d'approuver ces propos totalement inappropriés. »

    « J'ai failli pleurer en voyant ces messages »

    La suite de l'échange laisse pourtant entendre que le bâtonnier n'est pas loin de partager les opinions radicales de son confrère. Car, immédiatement après son premier message, il en publie un second en évoquant, une fois encore, le suspect de l'attaque : « Il peut crever où il veut rien à… et moi aussi je pèse mes mots. » Cette fois, Me Chauvin assume. « C'est un jugement de valeur qui n'engage que moi et pas le bâtonnier. C'est une opinion tout à fait personnelle tenue dans un groupe privé. C'est peut-être un peu exagéré, mais cela montre le degré de bienveillance que j'éprouve envers ce genre d'individus. »

    La mise en ligne de ces échanges ébranle en tout cas le barreau. « J'ai failli pleurer en voyant ces messages, s'indigne une avocate drômoise. Qu'un avocat et même le bâtonnier puissent tenir de tels propos, c'est hallucinant. Je ne suis pas la seule à être ulcérée. » Quant à l'auteur du message initial qui a mis le feu aux poudres, il invoque le caractère privé de la conversation. « Je m'en suis expliqué en interne. Et j'ai reçu le soutien d'un certain nombre de confrères », indique-t-il.

    Abdallah Ahmed-Osman a, quant à lui, été mis en examen mercredi pour « assassinats et tentatives d'assassinats terroristes » et écroué. Il est assisté par un avocat commis d'office du barreau de Paris.